Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots ce qu’est une fiducie et en quoi elle peut intéresser un chef d’entreprise ?
Laurent Verdes. La fiducie, c’est avant tout un contrat, et non une société. La fiducie n’a pas la personnalité morale. C’est un peu un trust à la française. Elle réunit trois acteurs : le constituant (souvent le chef d’entreprise ou une société dont il est l’associé et le dirigeant), le fiduciaire (qui reçoit et gère les biens) et le bénéficiaire (celui qui en bénéficie selon les conditions prévues).
Ce contrat entraîne un transfert juridique de propriété : les biens sortent du patrimoine du constituant pour être placés dans un patrimoine fiduciaire autonome, géré par le fiduciaire pour le compte du bénéficiaire. C’est un peu comme un cloud juridique, un espace sécurisé et indépendant, très utile pour protéger ou structurer un patrimoine professionnel.
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Dans quels types de situations la fiducie est-elle particulièrement utile pour une entreprise ?
Laurent Verdes. La fiducie se décline sous deux formes principales :
- La fiducie-sûreté, utilisée comme outil de garantie dans un financement. Elle permet à la banque d’éviter la lourdeur d’une saisie immobilière et de récupérer plus rapidement sa créance en cas de défaut de paiement. C’est pour cette raison qu’on l’appelle souvent « la reine des sûretés ». Elle bénéficie également d’une meilleure protection en cas de procédure collective puisque le créancier bénéficiant d’une fiducie-sûreté passe devant tous les autres créanciers.
 - La fiducie-gestion, davantage tournée vers la protection du patrimoine et la préparation de la transmission. Par exemple, un dirigeant souhaite protéger un enfant dépensier ou malade : il peut placer un million d’euros en fiducie et prévoir que son fils recevra 3 000 euros par mois pendant vingt ans. Les fonds sont gérés par le fiduciaire selon un contrat précis — une manière d’assurer l’avenir sans dilapidation.
 
Pouvez-vous partager un exemple concret où la fiducie a permis de résoudre une situation complexe ?
Laurent Verdes. Un cas très parlant : un couple de dirigeants décède brutalement dans un accident. L’entreprise se retrouve paralysée, les comptes sont bloqués, les salaires ne peuvent plus être versés.
S’ils avaient mis en place une fiducie préventive, le fiduciaire aurait pu organiser la poursuite de l’activité, toutes assemblées générales et nommer un dirigeant provisoire.
Autre exemple : un chef d’entreprise peut craindre, un jour, d’être en difficulté financière et de déposer le bilan de son entreprise, la justice lui reprochant des fautes de gestion. Pour se protéger, il peut, par exemple, placer 500 000 euros, bien en avance et en dehors d’une situation de difficultés financières, en fiducie, en France ou à l’étranger, dans un cadre parfaitement légal. Ces fonds sortent du patrimoine du chef d’entreprise et se retrouvent à l’abri des créanciers pour autant qu’il ne s’agisse pas de l’organisation frauduleuse de son insolvabilité. Ce placement pourrait ensuite l’aider à rebondir après la liquidation.
François-Xavier Verdes. Dans le monde du sport, certains athlètes placent leurs droits à l’image en fiducie pour protéger leurs revenus des abus d’intermédiaires ou des “conseils” d’un entourage parfois intéressé. Les sommes générées sont sécurisées sous le contrôle d’un avocat fiduciaire, puis réinvesties (immobilier, actions, etc.) par un conseiller en gestion de patrimoine selon une stratégie bien définie et pérenne. Ce dispositif assure au sportif un revenu régulier et le préserve des dérives financières post-carrière, qu’elles soient dues à des proches opportunistes ou à des agents indélicats.
La fiducie peut-elle être un levier de croissance ?
Laurent Verdes. Un chef d’entreprise, propriétaire à la fois de son outil d’exploitation (SA) et des murs détenus via une SCI, peut utiliser la fiducie pour mobiliser la valeur de son patrimoine immobilier. Concrètement, il transfère temporairement son bien (parts sociales de SCI) en fiducie au profit de la banque, qui accepte alors de financer un nouveau projet ; par exemple, l’achat de nouveaux locaux ou d’une résidence secondaire.
En cas de défaut de remboursement, la banque récupère et revend le bien en dehors de toute procédure de vente aux enchères, à un prix fixé suite à l’avis d’un expert et non par le tribunal : elle recouvre sa créance, et le solde éventuel revient au constituant.
Ce mécanisme, sécurisant pour la banque et souple pour l’entrepreneur permet donc de lever des fonds sans vendre ses actifs.
À partir de quel montant la fiducie devient-elle pertinente ?
François-Xavier Verdes. La Fiducie devient pertinente dès qu’il y a un actif significatif à protéger ou un enjeu de confiance entre les parties. En dessous de 500 000 euros d’actifs, ce n’est généralement pas pertinent, car les coûts de mise en place et de gestion peuvent être trop élevés. Concrètement à partir de 500 000 euros d’actifs, ou lorsqu’une opération implique plusieurs parties aux intérêts divergents, la fiducie prend tout son sens et devient un outil stratégique essentiel : elle permet de sécuriser, garantir, gérer ou réinvestir son patrimoine.
Quels sont les principaux avantages de la fiducie pour un dirigeant ?
François-Xavier Verdes. La fiducie est à la fois souple et personnalisable. Elle offre une protection patrimoniale forte (les biens placés sont intouchables et hors d’atteinte des créanciers) ; une neutralité fiscale et une efficacité juridique élevée. C’est un outil stratégique de financement – une garantie imparable en cas d’impayé et une formule redoutablement efficace pour isoler et placer ses actifs – et de transmission (OBO, FBO, levée de fonds, protection familiale). Un véritable coffre-fort juridique, qui protège à la fois l’entreprise, le dirigeant et sa famille. À noter : il existe un registre des fiducies, mais seules certaines personnes qualifiées (magistrats ou administrations telles que Tracfin) peuvent y accéder.
La fiducie reste peu connue en France : pourquoi selon vous ?
Laurent Verdes. Le mécanisme n’existe que depuis 2007 et sa pratique ne s’est réellement développée que récemment. La culture juridique française reste prudente vis-à-vis de ce type d’outil contractuel. Pourtant, la loi a évolué : aujourd’hui, tout est en place pour un usage sécurisé et encadré. Les banques et les établissements financiers, notamment Arkéa Crédit-Bail basé à Rennes, filiale du Crédit Mutuel Arkéa, ont même développé une offre de prêt spécifique en s’appuyant sur la fiducie-sûreté, preuve que l’outil s’installe durablement dans le paysage économique. Surtout, la fiducie permet une déjudiciarisation des garanties et de la protection du patrimoine.
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Quels sont les points de vigilance avant de recourir à une fiducie ?
François-Xavier Verdes. Il faut anticiper : une fiducie ne se met pas en place en urgence. Elle entraîne des frais de constitution et de gestion, et doit respecter certaines limites légales : durée maximale de 99 ans, respect de la réserve héréditaire, interdiction d’en faire un instrument de libéralité ou de fraude, en particulier fiscale.
Quel rôle joue l’avocat fiduciaire ?
Laurent Verdes. L’avocat fiduciaire est à la fois rédacteur et gardien du contrat. Il détient les biens transférés en fiducie et veille à leur gestion selon les clauses convenues. Il exécute le contrat et agit en toute indépendance, dans le respect de règles déontologiques strictes et du secret professionnel de la profession d’avocat. Il justifie d’une assurance de responsabilité spécifique pour sa mission et doit rendre compte de sa gestion. Il peut être assisté par un tiers protecteur qui sera soit un membre de la famille soit tout autre tiers tel qu’un expert-comptable, un notaire, un gestionnaire de patrimoine ou un banquier.
La fiducie en 5 points clés
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 1. Définition simple  | 
 Contrat tripartite : un constituant transfère des biens à un fiduciaire, qui les administre pour le bénéfice d’un ou plusieurs bénéficiaires.  | 
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 2. Deux usages principaux  | 
 Fiducie-sûreté (garantie de dette) — fiducie-gestion (protection, transmission, gestion patrimoniale).  | 
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 3. Durée et limites légales  | 
 Jusqu’à 99 ans maximum. Respect impératif des droits successoraux (réserve héréditaire, interdictions de libéralité abusive).  | 
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 4. Avantages pour le dirigeant  | 
 Sécurité patrimoniale, neutralité fiscale, souplesse contractuelle, anticipation & protection dans les crises.  | 
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 5. Coûts et vigilance  | 
 Coûts initiaux et de gestion à prévoir ; anticipation essentielle ; contrôle juridique rigoureux du contrat.  |