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PAROLE D’EXPERTES.BZH. Retraite des dirigeants : pourquoi attendre est devenu risqué ?

Préparer sa retraite est un sujet souvent repoussé, comme s’il marquait la fin d’une aventure. Pourtant, les réformes récentes, les évolutions fiscales et la complexité des régimes rendent l’anticipation indispensable. Une retraite bien préparée, c’est une stratégie à long terme qui sécurise l’avenir personnel, patrimonial, et parfois même entrepreneurial. Or, dans un système de répartition fragilisé par la baisse du nombre de cotisants et une durée de pension qui dépasse 25 ans, l’équilibre devient précaire. C’est une alerte silencieuse pour les dirigeants, souvent concentrés sur le pilotage de leur entreprise au quotidien. Par Valérie Lafforgue, responsable middle office chez Corre Finance et Stratégies (Quimper) et membre des Expertes.bzh.

Valérie Lafforgue, responsable middle office chez Corre Finance et Stratégies. ©DR

Valérie Lafforgue, responsable middle office chez Corre Finance et Stratégies. ©DR

Des erreurs fréquentes et coûteuses

Beaucoup de dirigeants comptent sur la vente de leur entreprise ou sur leur patrimoine pour compenser une retraite mal anticipée. Mais sans vérification, une carrière marquée par des périodes non cotisées, par des années en SARL non rémunérées ou mal arbitrées peut aboutir à des surprises désagréables. La Cour des Comptes estime qu’un retraité sur six ne perçoit pas l’intégralité de ses droits, pour une perte moyenne de 554 euros par an, souvent irrécupérable. Cette sous-valorisation des droits est d’autant plus regrettable qu’elle pourrait être évitée par une analyse minutieuse en amont.

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Anticiper, c’est gagner en liberté

Agir tôt permet de se prémunir d’une baisse de niveau de vie. Repousser les décisions, c’est risquer de subir. Miser uniquement sur le produit de cession de son entreprise, une stratégie fragile. Certaines sociétés florissantes ont été liquidées deux ou trois ans avant le départ de leur dirigeant, à la suite d’un retournement de marché. Dans un contexte de mutation rapide des modèles économiques, cette exposition au risque s’intensifie. L’anticipation, au contraire, permet de maîtriser le calendrier, d’organiser la passation et de garantir une sortie choisie, et non subie.

Les nouveaux défis posés par la réforme de 2023

La réforme a repoussé l’âge légal de départ à 64 ans et renforcé les conditions d’une retraite anticipée. Un dirigeant né en 1968 doit désormais valider 43 annuités, contre 42 auparavant, pour bénéficier du taux plein. Chaque trimestre manquant entraîne une décote de 1,25 %. Une seule année incomplète équivaut donc à 5 % de pension en moins à vie. Vérifier et régulariser ses droits devient essentiel bien avant l’échéance. D’autant plus que certaines régularisations ne sont efficaces que si elles sont décidées suffisamment tôt.

En Bretagne, où près de 75 % des entreprises sont des TPE et PME familiales et indépendantes, retraite et transmission sont intimement liées.

Quels outils pour agir ?

Divers dispositifs existent : PER, PEE, PERCO, article 83, rachats de trimestres, arbitrage salaire/dividende, ou encore structuration via une holding, etc. Par exemple, un dirigeant qui place 500 euros par an sur un PER pendant 20 ans, avec un rendement moyen de 4 %, constitue un capital d’environ 185 000 euros, tout en profitant d’une fiscalité avantageuse à l’entrée. Ce capital devient une vraie soupape de sécurité au moment du départ à la retraite.

Autre levier : un dirigeant percevant 50 000 euros de dividendes par an qui affecte 25 000 euros à un PER, peut, tout en économisant jusqu’à 7 500 euros d’impôt, se constituer une retraite complémentaire efficace.

Le poids du temps

On connaît tous le vieil adage : « Le temps, c’est de l’argent ». Dans l’équation retraite, trois variables comptent : l’épargne, le rendement… et surtout, le temps. Investir 500 euros par mois pendant 20 ans à 4 % rapporte plus que 5 000 euros par mois pendant trois ans à 15 %. Le temps démultiplie les effets d’un effort modeste mais régulier, à l’image de l’effet boule de neige. L’effet cumulé est souvent sous-estimé par les dirigeants, alors qu’il constitue l’arme la plus simple pour lisser l’effort financier dans le temps.

Cela vaut aussi pour la transmission. Un dirigeant transmet 40 % de son entreprise à 50 ans : valorisée à 1 million d’euros, avec 300 000 euros de dettes, la valeur nette transmise est de 280 000 euros. Avec le pacte Dutreil (article 787 B du CGI), l’abattement de 75 % et l’abattement pour donation de 100 000 euros permettent de ne payer aucun droit. Dix ans plus tard, sans dettes et valorisée à 2 millions d’euros, cette même transmission représente 800 000 euros : après abattements, 100 000 euros restent taxables, soit environ 20 000 euros de droits à payer. Anticiper, c’est transmettre plus, pour beaucoup moins.

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Les spécificités bretonnes

En Bretagne, où près de 75 % des entreprises sont des TPE et PME familiales et indépendantes, retraite et transmission sont intimement liées. Le dirigeant breton, souvent propriétaire de son outil de travail, doit penser sa sortie dans une approche globale. Les dispositifs d’exonération (Dutreil, donations-partages…) doivent s’articuler à une stratégie retraite pour limiter la pression fiscale. Dans un territoire où le lien à l’entreprise est souvent personnel, humain et territorial, cette réflexion s’inscrit aussi dans une logique de pérennité.

Préparer sa retraite ne se limite pas à calculer une rente. C’est un projet stratégique à part entière. Pour les dirigeants, attendre est devenu risqué. Anticiper, s’informer, être bien entouré, c’est transformer une contrainte en opportunité, et s’offrir la liberté de partir dans de bonnes conditions, au moment choisi.