Un mois après l’annonce de la disparition de la formation cycliste Arkéa – B&B Hôtels que vous dirigez, comment allez-vous ?
Emmanuel Hubert. Sur le plan de la santé, je vais bien. Mais, psychologiquement, c’est très compliqué à vivre et à digérer. Cela fait mal que ça s’arrête en si bon chemin (quatrième meilleure équipe lors du dernier Tour de France, avec la septième place au classement général de Kévin Vauquelin. N.D.L.R ).
LIRE AUSSI : SPORT & BUSINESS. Essor du trail en Bretagne : quel accompagnement des municipalités ?
En arrivant dans vos locaux, à Bruz, on voit vos équipes encore à pied d’œuvre. Qu’est-ce qui a changé, concrètement ?
E.H. Rien n’a changé. Aujourd’hui, nous avons tous un travail et nous sommes rémunérés jusqu’au 31 décembre 2025.
Vous avez tout tenté pour sauver la boutique. Pourquoi aucun partenaire financier ne vous a suivi ?
E.H. Plusieurs facteurs ont généré des réponses négatives. D’une part, cette conjoncture exécrable n’incite pas à aller de l’avant. Le contexte politique national est, selon moi, désastreux. Ce à quoi il faut ajouter le modèle économique du cyclisme qui ne se renouvelle pas alors qu’il est à revoir totalement.

Ewen Costiou, coureur Arkéa – B&B Hôtels lors du Giro en 2024 © Shutterstock
Des partenariats ont été proches de se concrétiser, parce que malgré tout, le sport cycliste renvoie une belle image. Mais dans le contexte politique, même les entreprises qui vont bien ne savent pas à quelle sauce elles vont être mangées. Elles freinent des deux pieds et dans ce cas, la première chose qu’elles réduisent c’est le marketing.
LIRE AUSSI : SPORT & BUSINESS. Développement de Fitness Park à Rennes : « Il y a des perspectives et nous n’excluons rien »
Qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans le modèle économique cycliste ?
E.H. Je rappelle que l’on vit à 95 % du sponsoring. Aujourd’hui, il n’y a aucun retour sur investissement. Il y a d’autres sports qui sont plus avantageux pour les investisseurs. Nous, on part avec 10 millions d’euros on finit avec 0. Cette ultradépendance au sponsoring fait qu’une équipe qui ne trouve pas de sponsor se casse la gueule très très rapidement.
Que faudrait-il changer ?
E.H. Il faut revoir le trading de coureurs. Quand j’en ai un qui performe sur le Tour de France, on peut me le piquer avec poignée de main, alors qu’il est sous contrat. Ce n’est pas normal. Il faut avoir une réflexion sur de futurs droits télés. Il y aussi un enjeu sur la monétisation du digital (Collecte et vente de données, partenariats digitaux, plateformes payantes… N.D.L.R), et si l’on repense notre merchandising, nous aurons un bon petit matelas.
D’autres équipes françaises sont menacées ?
E.H. Si ça ne bouge pas plus que ça n’a bougé avec moi, on ne sera pas un cas isolé. Je vous l’annonce : il y aura des équipes en grosses difficultés dans les années à venir. Pas seulement des équipes françaises. Quand on voit que des équipes comme Lotto et Intermarché fusionnent (les deux équipes belges ont déposé un dossier de fusion à l’UCI le 16 octobre 2025, N.D.L.R), elles le font parce qu’elles sont en butée financière, et parce qu’elles doivent être plus fortes pour faire face à la concurrence. Ceux qui ne s’inquiètent pas pour leur avenir vont prendre un mur, c’est dramatique.
Je rappelle que l’on vit à 95 % du sponsoring. Aujourd’hui, il n’y a aucun retour sur investissement.
Vous aviez évoqué le possible maintien d’une équipe, mais au niveau Continental (troisième division cycliste), est-ce toujours d’actualité ?
E.H. Non, ce n’est plus d’actualité. Le problème de descendre en Continental et de ne plus participer au Tour de France, c’est qu’il faut beaucoup d’argent alors qu’il y a peu de retentissement médiatique.
Vous avez déclaré dans la presse qu’il était plus facile de retrouver un contrat pour un cycliste que pour les autres membres du staff. Que vouliez-vous dire par là ?
E.H. Le coureur cycliste est acteur de son destin. Il fait de la compétition donc il a une base de performances et de résultats. Concernant les postes back-office (secrétariat, administratif, finances), ils sont adaptables à tous les secteurs. C’est plus compliqué pour les assistants masseurs, les assistants mécaniciens… Demain, ils ne vont pas devenir boulangers (sourire).
Comment se dessine votre avenir personnel ?
E.H. Je n’ai pas réfléchi à mon avenir perso (sic). En ce moment, j’ai surtout mal au cœur d’avoir monté, avec certains de mes collaborateurs, ce beau modèle et cette belle équipe avec une vraie identité bretonne. Mais apparemment, les institutionnels bretons s’en foutent (sic). Je n’ai pas reçu beaucoup d’appels ni de soutien et ça, ça me fait mal au bide. Ce qui est sûr, c’est que moi je pouvais continuer à manager mais je ne pouvais pas subvenir financièrement à l’équipe en tant que telle.
Vous regrettez un manque de soutien des hommes et femmes politiques bretons ?
E.H. Je ne demande pas aux collectivités de financer l’équipe et de m’aider à trouver des sponsors, ce n’est pas la question. Je demandais juste du soutien. Nous sommes tout le temps fier d’agiter le drapeau mais je trouve que, pour mon équipe, on ne l’a pas trop agité. La seule chose aurait été de nous soutenir et de fédérer les entrepreneurs bretons, mais personne n’a bougé.