La colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer, située au large des côtes bretonnes dans le Morbihan, a marqué l’histoire pénale française pendant près d’un siècle. Fondé en 1820, le pénitencier a d’abord été un bagne militaire, une prison politique, un camp de prisonniers prussiens, lieu d’internement et de transfert pour les communardes de 1871, avant de devenir un bagne pour enfants « délinquants » en 1880, jusqu’à sa fermeture en 1977. Au fil du temps, l’institution a évolué, passant du statut de colonie pénitentiaire en 1880, à celui de Maison d’éducation surveillée en 1927, puis d’Institution publique d’éducation surveillée (IPES) après 1945.
Le site principal de la colonie se trouvait à Haute-Boulogne, près de la citadelle de Le Palais. En 1902, le ministère de la Justice a acquis le domaine de Bruté, qui est devenu une ferme école, élargissant ainsi les installations de la colonie. Des pavillons supplémentaires, construits en 1906 et 1910, ont augmenté la capacité d’accueil jusqu’à 320 enfants. La colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer se distinguait par sa double vocation agricole et maritime puisqu’à Belle-Île, les hommes étant presque tous marins, il manque de la main-d’œuvre. Déjà, le préfet, en octobre 1879, explique au ministre de l’Intérieur qu’« à plusieurs points de vue, il est désirable que l’effectif de la population détenue soit augmenté […] car, depuis plus de 20 ans, l’agriculture et l’industrie ont trouvé dans la partie valide de la population détenue le complément nécessaire de bras. »
Des évasions presque impossibles
Pour assurer le volet maritime de la formation, l’administration pénitentiaire a doté la colonie d’un navire nommé Le Siréna dès 1895. Les conditions de vie dans la colonie étaient particulièrement dures. Les jeunes détenus étaient soumis à une discipline militaire stricte et parfois violente. Ils portaient des uniformes gris et avaient le crâne rasé, ce qui renforçait l’atmosphère carcérale de l’établissement. La situation insulaire de Belle-Île représentait pour ces jeunes un véritable isolement, rendant les évasions presque impossibles. L’histoire de la colonie a néanmoins été marquée par plusieurs événements notables, dont l’évasion spectaculaire de 56 colons en 1934 (voir encadré ci-dessous). La littérature s’est également emparée de cette évasion. Ainsi, Sorj Chalandon, dans son roman L’enragé paru en 2023, évoque lui aussi la colonie de Belle-Île-en-Mer.
Après sa fermeture en 1977, les bâtiments de la colonie sont tombés en désuétude. Aujourd’hui, des projets de réhabilitation sont en cours pour préserver ce patrimoine historique. L’association La Colonie travaille à la collecte de témoignages et de documents relatifs à cette histoire, dans le but de créer un lieu ouvert au public qui raconterait l’histoire de ces mineurs détenus. Un projet vise à convertir près de 1 000 m² de bâtiments en un tiers-lieu insulaire nommé « Propice », pour offrir une programmation artistique et culturelle. La restauration de ce site est estimée à près de 2 millions d’euros pour la mise hors d’eau et hors d’air. La réhabilitation intérieure complète des bâtiments sera ensuite entreprise.
Dernier volet de notre série d’été, explorant les liens, parfois méconnus, entre la Bretagne et le bagne.
La Chasse à l’enfant*, de Jacques Prévert (EN COLONNE STP 🙂
Ce poème de Jacques Prévert évoque la mutinerie qui eut lieu en août 1934 à la maison d’éducation surveillée de Belle-Île-en-Mer : à la suite d’une punition infligée à l’un des leurs, 56 pupilles s’évadèrent de l’établissement. Habitants et touristes, attirés par la récompense promise pour chaque enfant ramené à l’administration pénitentiaire, pourchassèrent les enfants : tous furent ramenés dans l’établissement.
« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu’est-ce que c’est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Il avait dit « J’en ai assez de la maison de redressement »
Et les gardiens, à coups de clefs, lui avaient brisé les dents
Et puis, ils l’avaient laissé étendu sur le ciment
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant, il s’est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes, les touristes, les rentiers, les artistes. »
*(1936 ; publié dans le recueil Paroles en 1946)