En introduction de la dernière plénière du Breizh Lab, vous avez eu cette formule : « Trump est aux États-Unis ce que le Professeur Raoult était au Covid : mauvais diagnostic et remède miracle. » En quoi la vision économique de Donald Trump est-elle inadaptée ?
Jean-Yves Le Drian. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que Trump propose des solutions du XIXe siècle pour un monde du XXIe siècle : résurrection des empires et retour à un supposé âge d’or du protectionnisme. Il a une appréhension du monde et des rapports économiques comme si nous étions encore au XIXe siècle. Mais la chaîne de valeur est devenue internationale, les économies sont désormais totalement interdépendantes. Les scénarios d’action initiés par Donald Trump pour garantir l’« America First » sont donc totalement inadaptés et risquent de conduire à l’« America Alone » – on passe de l’America First à l’America Alone.
« Trump est aux États-Unis ce que le Professeur Raoult était au Covid : mauvais diagnostic et remède miracle. »
L’idée de bâtir une Amérique forteresse, en imposant des droits d’entrée, ne correspond pas à la réalité des échanges économiques mondiaux après trente ans de mondialisation, plus ou moins réussie, mais dominant l’ensemble des rapports commerciaux. Aujourd’hui, seuls 15 % des biens importés dans le monde le sont par les États-Unis. Le reste est absorbé par d’autres territoires. Trump pense que les autres pays sont totalement dépendants des États-Unis. Ce n’est pas le cas.
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Cette volonté de renforcer la prédominance économique des États-Unis est-elle nouvelle ?
J-Y.LD. Renforcer la prédominance américaine dans le domaine industriel et technologique, et éviter que les États-Unis ne soient dépassés par la montée en puissance de la Chine, ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est, ce sont les choix stratégiques pour y aboutir.
Celui qui avait le mieux anticipé cette évolution et mis en place les outils les plus efficaces pour contrer ce risque, c’est Biden. Dès 2021, en début de mandat, il lance l’IRA, l’Inflation Reduction Act. Ce projet ambitieux devient un immense levier d’incitation pour attirer les entreprises sur le sol américain afin d’y produire les outils industriels et les innovations de la transition écologique et la tech : panneaux solaires, voitures électriques, batteries, IA… L’IRA, ce sont 370 milliards de dollars mobilisés, principalement via des exonérations fiscales, mais pas uniquement. Et cela concerne aussi bien les entreprises américaines que celles venant de l’étranger. Le pari a fonctionné. Sur le plan économique, le mandat de Biden est un succès. Jamais les États-Unis ne s’étaient aussi bien portés, malgré une poussée inflationniste en début de mandat.
Trump, lui, s’inscrit dans une logique tout à fait différente : une sorte d’enfermement car il est convaincu que la puissance naît de l’autonomie totale.
Quel impact la politique américaine de Donald Trump a-t-elle sur les marchés mondiaux ?
J-Y.LD. Les marchés vont s’adapter à cette nouvelle situation. La mondialisation se changer considérablement mais les échanges se poursuivront d’une autre manière, sous la forme d’un libéralisme régionalisé. Je vous rappelle que 85 % des échanges s’effectuent indépendamment des États-Unis. L’adaptation à cette nouvelle donne sera durable, quelle que soit l’évolution politique américaine. Car même si, demain, un autre gouvernement arrive au pouvoir à Washington, les événements auront laissé des traces. Le doute, voire la défiance, resteront très présents.
Nous sommes entrés dans une phase de réorganisation mondiale, initiée par Trump, mais qui n’aura pas nécessairement les conséquences qu’il entrevoyait.
Motivé par un électorat qui se sent dépossédé par la mondialisation, Trump applique ce qu’il avait annoncé. Pourtant, sa logique risque d’être pénalisante pour les États-Unis.
J-Y.LD. Augmenter les droits de douane, c’est faire payer quelqu’un — et ce quelqu’un, c’est d’abord le consommateur américain. Qu’il soit particulier ou entreprise importatrice, c’est lui qui absorbe la hausse des prix. Résultat : de l’inflation, qui a déjà commencé à se faire sentir. Et au-delà, un effet dissuasif sur l’investissement.
Prenons un exemple : si vous êtes producteur de machines-outils et qu’on vous invite à investir aux États-Unis, mais qu’on vous annonce des tarifs douaniers élevés sur les composants que vous devez importer, vous y réfléchirez à deux fois. Dans un monde où la chaîne de valeur est éclatée, cette politique punit la production et freine les implantations industrielles.
À cela s’ajoute un facteur aggravant : l’instabilité. Les investisseurs fuient l’incertitude. Or, les discours changeants de…