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Comment faire cesser un trouble de voisinage en matière d’urbanisme et d’environnement ?

La théorie des troubles anormaux de voisinage est une création jurisprudentielle, distincte des fondements de responsabilité civile prévus par le Code civil. Éclairage par Maître Gwendoline Paul, avocat au barreau de Rennes, spécialiste en droit de l'environnement, qualification en droit de l'urbanisme.

Maître Gwendoline Paul, avocat au barreau de Rennes, Spécialiste en droit de l’environnement - Qualification spécifique en droit de l’urbanisme, voisinage

Maître Gwendoline Paul, avocat au barreau de Rennes, Spécialiste en droit de l’environnement - Qualification spécifique en droit de l’urbanisme ©DR

Qu’est-ce qu’un trouble de voisinage ?

La théorie des troubles anormaux de voisinage est une création jurisprudentielle, distincte des fondements de responsabilité civile prévus par le Code civil (1).

Ces troubles de voisinage résultent de nuisances trouvant leur origine dans l’activité ou le comportement d’une personne physique ou morale qui occasionne un préjudice à son voisin.

La notion de voisinage s’entend de « l’aire dans laquelle le trouble anormal est ressenti. Il s’agit donc d’une délimitation au cas par cas, en fonction, notamment, de la nature et de l’intensité du trouble. La notion de voisinage inclut nécessairement un aspect de proximité, mais ne peut être limitée aux seuls immeubles contigus » (Dalloz, Construction-Urbanisme, Trouble de voisinage).

Quelles sont les voies d’action judiciaires pour demander réparation du trouble de voisinage ?

Pour faire cesser le trouble de voisinage et en obtenir réparation, la victime dispose de plusieurs actions.

Outre les fondements de responsabilité civile contractuelle ou délictuelle (articles 1240 à 1244 du code civil) prévus par le Code civil, il est possible d’utiliser l’action spécifique pour trouble de voisinage, créée par la jurisprudence, dans le cas où le trouble dépasse les inconvénients normaux du voisinage.

L’action se prescrit au bout de 5 ans, calculés à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (C. civ., art. 2224).

Le trouble de voisinage en matière environnementale (2)

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Le trouble de voisinage en matière d’urbanisme 

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Quelles sont les conditions à remplir pour demander réparation du trouble de voisinage ?

L’action en réparation fondée sur la théorie des troubles anormaux de voisinage devant le juge civil exige que 4 conditions soient préalablement remplies, à savoir un trouble de voisinage, un trouble anormal, un préjudice et enfin un lien de causalité entre le trouble et le préjudice.

Il est à noter que la théorie de préoccupation fait obstacle à la recherche de la responsabilité du voisin sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage lorsque l’activité pré-existait (art. L. 113-8 du Code de la construction et de l’habitation (3). En d’autres termes, il n’est pas permis de se plaindre de nuisances dont on connaissait l’existence avant de s’installer, sauf à ce que ces nuisances évoluent.

Un trouble de voisinage

Le demandeur doit être victime d’un trouble exercé par son voisin, lequel peut être un propriétaire, un locataire…

On relèvera que le propriétaire est responsable de plein droit des troubles anormaux de voisinage provenant de son fonds, même si ces troubles ont pour origine ses locataires.

Un trouble anormal

Un seuil à franchir

Le trouble doit excéder les inconvénients normaux du voisinage. Selon les Juges, si le voisin est tenu de supporter les inconvénients normaux du voisinage, il est en droit, en revanche, d’exiger une réparation dès lors que ces inconvénients excèdent cette limite (ex. : Cass. 3e civ., 27 juin 1973, n° 72-12.844 : Bull. civ. III, n° 451).

Le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, est limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage (Cass. 3e civ., 1er déc. 1976, n° 75-14.085 : Bull. civ. III, n° 440).

Appréciation in concreto par les juges

Les juges du fond apprécient souverainement si l’anormalité du trouble est, ou non, constituée.

Ils tiennent compte notamment des circonstances de temps et de lieu. La gravité et l’anormalité du trouble ne seront pas appréciées de la même manière selon que l’on se situe en zone urbaine, en zone rurale…

  • Par exemple, en zone urbaine, dans un quartier pavillonnaire permettant d’espacer les constructions, la privation d’ensoleille- ment en raison d’un immeuble trop rapproché constitue un trouble anormal de voisinage (CA Versailles, 1re 1re sect., 7 nov. 1983 : Rev. Loyers 1985, p.419) alors qu’en centre-ville les habitants doivent s’attendre à une diminution d’ensoleillement et de vue à cause du développement des constructions voisines (CA Poitiers, 18 juin 1980, n° 1166/78 : D. 1981, IR, p. 233).

Dans leur appréciation in concreto, les juges tiennent compte également de la fréquence et de la durée du trouble allégué.

  • La persistance et la répétition de bruits et d’odeurs supportables peuvent constituer un inconvénient anormal de voisinage (Cass. 3e , 6 juin 1972, n° 71-11.970 : Bull. civ. III, n° 372).

L’anormalité du trouble est estimée en fonction de la réalité des faits. En revanche, le comportement des personnes parties prenantes ou la sensibilité de la victime aux nuisances sont appréciés par rapport à ce que devrait faire ou ressentir une personne normale.

Circonstances inopérantes

En revanche, certains éléments sont sans incidence sur la caractérisation ou non du trouble de voisinage.

Il en va ainsi, notamment, de l’existence d’une faute de la part du voisin à l’origine du trouble anormal. La partie à l’origine d’un trouble anormal de voisinage en doit réparation, indépendamment de toute faute (Cass. 2e civ., 21 janv. 2021, n° 19-22.863).Si le voisin enfreint l’obligation de ne pas causer à son voisin un trouble dépassant les inconvénients normaux du voisinage, la responsabilité de l’auteur du trouble est engagée sans même que la victime ait à établir la preuve d’une faute (Cass. 3e civ., 4 févr. 1971, n° 69-12.327 : Bull. civ. III, n° 78).

Il en va de même de la conformité de l’activité source de nuisances à la réglementation. Le respect des dispositions légales n’exclut pas l’existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage (Cass. 3e civ., 12 oct. 2005, n° 03-19.759, n° 1061 FS – P + B). Les autorisations administratives sont d’ailleurs toujours délivrées sous réserve du respect des droits des tiers.

Inversement, l’existence des troubles ne peut se déduire de la seule infraction à une disposition administrative. Le juge doit rechercher si ces troubles ont excédé les troubles normaux de voisinage (Cass. 2e civ., 17 févr. 1993, n° 91-16.928 : Bull. civ. II, n° 68).

Un préjudice

Comme dans toute action en responsabilité, le demandeur doit apporter la preuve de l’existence d’un préjudice.

Celui-ci peut prendre des formes diverses : trouble de jouissance (nuisances sonores, nuisances olfactives, perte de vue, perte d’ensoleillement…), un préjudice financier (perte de valeur vénale, perte d’exploitation…), un préjudice sanitaire ou encore moral…

Un lien de causalité entre le trouble et le préjudice

Là encore, classiquement, le demandeur doit démontrer l’existence d’un lien de causalité entre l’activité ou le fait imputable au voisin et le dommage anormal.

Comment le trouble de voisinage est-il réparé ?

Les juges fixent souverainement les modalités de la réparation du trouble anormal du voisinage (Cass. 3e civ., 5 janv. 2017, n° 15-25.241). Ils peuvent ordonner soit la réparation en nature, c’est-à-dire la suppression de trouble (ex : démolition…), soit la réparation en équivalent, par l’octroi de dommages et intérêts (Cass. 2e civ., 21 mai 1997, n° 95-19.688 : Bull. civ. II, n° 151)

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1.Il existe une responsabilité administrative pour dommages de travaux publics (trouble anormal et spécial), relevant de la compétence du juge administratif, qui n’est pas l’objet de la présente étude.

2.Pour un relevé très complet d’exemples : Troubles de voisinage – unique : Troubles de voisinage, JurisClasseur Civil Annexes

3.« Les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions ».

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