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EXPERTISE. Recul du trait de côte : quels enjeux ?

L’érosion côtière, phénomène naturel amplifié par le changement climatique, pose des défis sans précédent pour les territoires littoraux. En France, avec ses 20 000 km de côtes, la menace de recul du trait de côte affecte directement des milliers de biens immobiliers et infrastructures, notamment en Bretagne, où 18 % du littoral est déjà touché. Ce phénomène entraîne des conséquences majeures sur la valeur des biens, la sécurité des populations et les pratiques de gestion foncière. Dans ce contexte, le rôle des notaires est crucial pour sécuriser les transactions immobilières et accompagner les acteurs locaux dans l’adaptation à ces transformations.

Matthieu Lebranchu, membre de la Chambre interdépartementale des notaires de la cour d'appel de Rennes

Matthieu Lebranchu, membre de la Chambre interdépartementale des notaires de la cour d'appel de Rennes ©DR

Les aspects juridiques du recul du trait de côte

Le droit de préemption en zones littorales à risque

La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a introduit un droit de préemption spécifique dans les zones littorales exposées à un recul du trait de côte. Ce droit vise à permettre aux communes d’acquérir des biens situés dans les zones identifiées comme menacées à court terme (0-30 ans) pour leur renaturation ou leur usage temporaire, avant leur disparition probable.

Pour les notaires, cette évolution législative implique une vigilance accrue. Lors de la vente d’un bien situé en zone préemptée, le notaire doit vérifier la conformité avec les plans locaux d’urbanisme et les documents annexes. Si la commune décide d’exercer son droit de préemption, cela peut ralentir ou annuler la transaction, exigeant une révision complète des conditions de vente.

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Les obligations d’information précontractuelles

Les transactions immobilières dans les zones à risque imposent désormais des obligations d’information renforcées. Les diagnostics techniques immobiliers doivent inclure une évaluation précise des risques liés à l’érosion côtière, conformément aux dispositions du Code de l’urbanisme.

Le notaire joue ici un rôle central, en assurant que le vendeur informe pleinement l’acquéreur sur les restrictions potentielles et les obligations liées au bien, comme les interdictions de nouvelles constructions ou les démolitions à terme. Ce devoir d’information est une garantie de transparence et de sécurité juridique pour toutes les parties.

Les zones à risque

Ces zones à risque sont classées selon deux échéances temporelles distinctes : un horizon à moins de 30 ans et un horizon entre 31 et 100 ans.

Concernant les zones exposées à un risque à moins de 30 ans, l’article L.121-22-4 du Code de l’urbanisme établit les règles suivantes.

1 – Pour les zones urbanisées :

  • Travaux autorisés : extensions des constructions existantes, à condition qu’elles soient démontables. Réfection ou adaptation des bâtiments existants sans augmentation de la capacité d’habitation.
  • Constructions possibles : celles nécessaires aux services publics ou aux activités économiques exigeant une proximité immédiate avec l’eau, sous réserve qu’elles soient démontables.

2 – Pour les zones non urbanisées : les infrastructures indispensables aux services publics ou aux activités économiques exigeant un accès immédiat à l’eau, sous réserve de leur caractère démontable, seront les seules permises.

3 – Obligation de sécurité : les constructions doivent respecter les exigences techniques permettant de minimiser les risques pour les biens et les personnes, notamment en cas de submersion ou de dégradation rapide des infrastructures.

Concernant les zones exposées à un risque entre 31 et 100 ans, l’article L.121-22-5 du Code de l’urbanisme établit les règles suivantes. 

1 – Constructions autorisées : les nouvelles constructions sont possibles, sous réserve qu’elles respectent les documents d’urbanisme et intègrent les exigences d’adaptabilité aux risques futurs.

2 – Obligation de démolition :

  • Toute construction réalisée après l’entrée en vigueur des documents d’urbanisme définissant ces zones peut être soumise à une obligation de démolition si, dans les trois ans suivant leur édification, il est constaté que la sécurité des personnes ne peut plus être assurée.
  • Le coût de la démolition et de la remise en état du terrain est à la charge du propriétaire.

3 – Consignation financière obligatoire : pour toute autorisation d’urbanisme, une consignation financière doit être effectuée auprès de la Caisse des dépôts et consignations pour couvrir les frais éventuels de démolition et de renaturation.

4 – Droits des propriétaires : aucun droit à indemnisation n’est prévu en cas de démolition, même en cas d’effondrement naturel ou de submersion marine.

Conséquences pour les transactions immobilières :

Le notaire doit impérativement intégrer ces règles dans les actes de vente, en s’assurant que les acquéreurs comprennent pleinement les restrictions et obligations liées aux zones à risque. Ces informations incluent notamment :

  • Les restrictions de construction et les éventuelles obligations de démolition.
  • Les risques pour la sécurité des biens et des personnes à moyen et long terme.
  • L’impact potentiel sur la valeur du bien.

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Les impacts sur les transactions immobilières

Impact sur la valeur des biens immobiliers

L’érosion côtière devrait réduire significativement la valeur vénale des biens situés sur le littoral. En effet, les prévisions de recul du trait de côte, souvent documentées par des organismes comme le Cerema, intègrent des abattements basés sur la durée restante avant que le bien soit touché ou détruit. Ces abattements seront inévitablement pris en compte dans l’évaluation des biens, influençant directement les prix de vente.

Le notaire doit s’assurer que cette décote est reflétée dans les actes de vente, en tenant compte des prévisions à 30 ou 100 ans. En cas de désaccord sur la valeur, le juge de l’expropriation peut être saisi pour fixer le prix, une procédure complexe nécessitant l’intervention d’experts.

Le bail réel d’adaptation à l’érosion côtière

Créé par une ordonnance de 2022, le bail réel d’adaptation à l’érosion côtière est un outil juridique innovant. Ce contrat permet aux propriétaires de maintenir une occupation temporaire de leurs biens en zones à risque, tout en planifiant leur démolition ou leur renaturation à l’échéance du bail.

Pour les propriétaires, ce mécanisme offre une souplesse essentielle face à l’incertitude. Pour les locataires, il garantit un usage sécurisé à court ou moyen terme. Le rôle du notaire est déterminant pour encadrer ces contrats, en veillant à ce qu’ils respectent les contraintes légales et anticipent les évolutions prévisibles du trait de côte.

Les solutions d’indemnisation et de gestion des risques

Absence de couverture complète pour l’érosion

Le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), connu sous le nom de Fonds Barnier, ne couvre pas systématiquement les biens touchés par l’érosion côtière. Cette absence de prise en charge suscite un sentiment d’injustice chez de nombreux propriétaires, car les biens endommagés ou détruits par des phénomènes inévitables et anticipables ne sont pas éligibles à une indemnisation.

Dans ce contexte, le notaire doit jouer un rôle de conseil, informant les propriétaires des limitations du Fonds Barnier et des alternatives possibles, comme la négociation amiable avec les communes ou les assurances spécifiques.

Gestion anticipative des risques par les communes et propriétaires

Les plans locaux d’adaptation au recul du trait de côte sont essentiels pour limiter les impacts de l’érosion. Ces stratégies incluent des mesures de zonage, des relocalisations et des expropriations. Les notaires, en tant qu’interlocuteurs privilégiés des collectivités, participent à la mise en œuvre de ces plans en sécurisant les transactions et en veillant à la légalité des procédures.

Dans des cas comme le Projet partenarial d’aménagement (PPA) de Lacanau, les notaires accompagnent les acteurs locaux dans la gestion foncière complexe, anticipant les relocalisations et intégrant les nouvelles règles d’urbanisme dans les actes.

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Expertise proposée par Matthieu Lebranchu, membre de la Chambre interdépartementale des notaires de la cour d’appel de Rennes

Conclusion

Face au recul du trait de côte, les notaires jouent un rôle central en garantissant la transparence des transactions et en intégrant les contraintes environnementales dans les actes. Leur mission consiste à protéger les intérêts des parties tout en veillant à la sécurité juridique et à la conformité des démarches avec des règles complexes. À mesure que ce phénomène s’intensifie, ces dispositions légales deviendront des leviers indispensables pour une gestion durable et responsable des littoraux français.

Avec le dernier décret publié le 11 juin 2024, s’ajoutent 76 nouvelles communes aux 242 communes françaises qui se sont engagées dans l’adaptation de leur territoire au recul du trait de côte, conformément aux décrets des 29 avril 2022 et 31 juillet 2023. À compter de leur inscription sur la liste officielle, ces communes disposent d’un délai de quatre ans pour établir la carte visant à délimiter les zones exposées au recul du trait de côte à moyen terme (30 ans) et à long terme (100 ans), afin d’adapter les documents d’urbanisme et les politiques d’aménagement en conséquence. Cette cartographie n’existe pas à cette heure. Sans cette cartographie, la tâche des notaires reste complexe pour informer et sensibiliser les parties aux risques liés au recul du trait de côte. Toutefois, en s’appuyant sur les données disponibles et notre expertise, nous accompagnons nos clients et les acteurs immobiliers de manière sereine et éclairée. Une cartographie claire viendra renforcer cette mission en offrant une visibilité partagée, essentielle pour anticiper les enjeux tout en préservant la confiance et la stabilité du marché.

Les outils juridiques récents, comme le bail réel d’adaptation ou le droit de préemption, illustrent une évolution nécessaire pour répondre à cette problématique croissante. À mesure que le changement climatique intensifie l’érosion, le rôle des notaires continuera de s’élargir, les plaçant au cœur des solutions pour sécuriser les territoires littoraux et protéger les populations. Ce qui est la nature même des officiers ministériels que nous sommes. Chargés d’une mission de service public dans l’intérêt et pour la sécurité de nos contemporains.

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