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Face à la montée des prix, à quoi peuvent prétendre les entrepreneurs ?

Actualité centrale de l’année 2022, la hausse généralisée du cours des matières premières et de l’énergie continuera, à n’en pas douter, à bouleverser l’équilibre économique des marchés publics de travaux en cours d’exécution en 2023.

Me Guillaume Geffroy et Me Guillaume Emelien, avocats au barreau de Rennes

Me Guillaume Emelien et Me Guillaume Geffroy, avocats au barreau de Rennes ©Pauline Pasquette

Les nombreux projets de travaux portés par les personnes publiques se trouvent ainsi confrontés à la difficile conciliation entre d’une part, la préservation de la pérennité des deniers publics et d’autre part, la soutenabilité économique de l’opération pour leurs partenaires, soucieux de financer ces hausses par une répercussion sur leurs prix et d’épargner leur marge.

En pratique, ce contexte pose la délicate question de la part de cette hausse des prix pouvant être répercutée par les titulaires de marchés publics aux personnes publiques.

En effet, si les personnes publiques peuvent, ou doivent, accéder à certaines demandes de hausse de prix des entrepreneurs, le contenu de ces demandes n’en demeure pas moins contraint par un cadre juridique restrictif afin de prévenir la mauvaise utilisation des ressources publiques.

La prévention des fluctuations économiques : l’obligation des prix révisables

Afin de prévenir les fluctuations inhérentes au monde économique, les personnes publiques sont contraintes de conclure leurs marchés de travaux à prix révisables dans le cas où les parties sont exposées à des aléas majeurs du fait de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d’exécution des prestations.

Cette obligation vise à préserver l’équilibre des relations contractuelles entre les personnes publiques et les entrepreneurs titulaires de marchés publics.
Dans une circulaire transmise le 29 septembre 2022, la Première ministre rappelle à ce titre que les cocontractants doivent veiller à retenir des fréquences et des références ou formules de révision des prix qui soient suffisamment représentatives des conditions économiques de variation des coûts des secteurs objets des prestations, notamment dans le cas des marchés de travaux allotis par corps de métier.

Si cette interprétation des dispositions législatives et règlementaires applicables en la matière est extensive, elle n’en est pas moins incitative.

L’insertion d’une clause de révision permet ainsi dans des conditions normales de prévenir les fluctuations économiques du contrat et de maintenir un équilibre financier.

Toutefois, nonobstant l’insertion de cette clause, des modifications des clauses financières en cours d’exécution du marché – comme une indemnisation – peuvent s’avérer indispensables.

La modification des clauses financières en cours d’exécution pour circonstances imprévues

Certaines variations économiques sont, en raison de leur ampleur, insusceptibles d’être absorbées par les clauses contractuelles de révision des prix, en dépit de toute les attentions prises par l’acheteur public pour les anticiper au mieux. C’est souvent le cas dans le contexte actuel eu égard aux hausses considérables de certaines matières premières ou de matériaux.

En l’absence d’absorption complète de la hausse des prix par la clause de révision, le titulaire du marché public aura tout intérêt à demander à l’acheteur public une modification des prix de son marché par voie d’avenant.

En effet, les cas autorisés de modification des marchés publics permettent de répercuter les hausses de prix « rendues nécessaires par des circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir » dans la limite d’une hausse cumulée de 50% du montant du marché initial du marché.

Ces dispositions ont vocation à compenser les surcoûts imprévisibles supportés par le cocontractant et autorisent une modification des marchés de travaux ne portant que sur le prix, les tarifs, les conditions d’évolution des prix ou les autres clauses financières, sans que cette modification ne soit nécessairement liée à une modification des caractéristiques et des conditions d’exécution des prestations.

Pour être régulière, une telle modification doit être :

  • Justifiée par des circonstances imprévisibles dont les conséquences onéreuses excèdent ce qui pouvait être raisonnablement prévu par les parties ;

L’ajustement des clauses financières n’est possible que si l’augmentation des dépenses exposées par l’entrepreneur ou la diminution de ses recettes imputables à ces circonstances ont dépassé les limites ayant pu raisonnablement être envisagées par les parties lors de la passation du contrat.

Cette condition parait plus largement définie que l’hypothèse de l’imprévision (cf. ci-dessous) dès lors qu’elle n’exige pas que l’économie du contrat soit bouleversée – il n’existe ainsi pas de logique de seuil au-delà duquel les conséquences onéreuses sont considérées comme excédant ce qui pouvait être raisonnablement prévu par les parties : une appréciation au cas par cas doit ainsi être réalisée.

En revanche, cet ajustement n’ouvre pas le droit aux entrepreneurs de se voir couverts des risques dont ils auraient dû tenir compte dans leurs prévisions initiales !

  • Limitée à ce qui est nécessaire pour faire face aux circonstances imprévisibles ;

La modification accordée doit être directement imputables aux circonstances imprévisibles par l’entrepreneur et ne peut excéder ce qui est nécessaire pour y répondre : elle ne peut compenser pleinement l’entièreté de la perte de marge.

Ainsi, toute demande de hausse de prix se doit d’être strictement limitée, tant dans son champ d’application que dans sa durée, à ce qui est rendu nécessaire par les circonstances imprévisibles pour assurer la continuité des travaux.

  • Inférieure ou égale à 50 % du montant initial des travaux.

Ces conditions réunies, la personne publique pourra consentir à une telle demande de modification des clauses financières du marché de travaux dans la limite stricte d’un montant de 50% du marché initial.

Le recours à la théorie de l’imprévision comme palliatif

Il est des cas dans lesquels les modifications des prix consenties par les personnes publiques pour répondre au contexte d’envolée des cours des matières premières et de l’énergie dépassent les 50% du montant initial des travaux ou concernent des prestations déjà réalisées.

Seul le recours à l’imprévision permet alors de rétablir l’équilibre des relations contractuelles par le versement d’une indemnité dans le cadre d’un protocole transactionnel.

Il en va de même en cas de désaccord entre la personne publique et les entrepreneurs sur les modifications à apporter au contrat – la modification des prix du marché n’étant pas un droit pour l’opérateur – empêchant ainsi la signature de l’avenant modificatif des conditions financières du marché.

Le recours à la théorie de l’imprévision, qui est un droit pour les entrepreneurs, leur permet de se voir verser une indemnité pour avoir poursuivi l’exécution de leurs obligations en dépit de la survenance d’un évènement extérieur aux parties, imprévisible (ici, l’envolée du cours des matières premières et de l’énergie) et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, et ce malgré l’existence d’une clause de révision des prix mais qui n’a pas permis d’absorber la hausse des prix.

À ce titre, il est considéré que l’équilibre du contrat est bouleversé lorsque l’évènement extérieur a un impact supérieur à 10% du montant global du marché.

Cette indemnité peut être négociée et versée amiablement entre les parties ou fixée par le juge administratif dans le cas d’un désaccord persistant, mais en toute occurrence, la jurisprudence laisse traditionnellement à la charge du titulaire une partie de l’aléa variant de 5% à 25% du montant de la perte subie, selon la direction des affaires du juridiques du ministère de l’Économie, en fonction des circonstances et compte-tenu des éventuels profits dégagés par l’opérateur chargé des travaux en dehors de la période d’imprévision.

Sur ce point, il doit être insisté sur le fait que cette indemnité doit couvrir non pas la perte de marge nette, mais seulement les charges extracontractuelles, ces charges étant celles qui n’ont pas pu être raisonnablement prévues lors de la conclusion du marché (charges liées aux surcoûts d’approvisionnement des matériaux et de fonctionnement des équipements en raison de la hausse du prix de l’énergie, etc.).

Le montant définitif de l’indemnité d’imprévision est évalué au terme du marché, mais une indemnité provisionnelle peut être sollicitée en cours de marché si cela est nécessaire afin de permettre la poursuite des travaux, laquelle sera régularisé sans son montant à l’achèvement des travaux.

Dans tous les cas, cette indemnité devra faire l’objet d’un protocole transactionnel entre les parties afin de clore définitivement le litige et de sauvegarder leurs droits par un constat mutuel de l’évènement d’imprévision comme de ses conséquences financières.

En définitive, face à la hausse des prix des matières premières, les entrepreneurs peuvent se saisir de trois mécanismes en vue d’obtenir de faire face aux hausses de prix :

  • La stricte application de la clause de révision laquelle est réputée intégrer des indices adaptés à l’objet du marché, en vue de prévenir les fluctuations de prix ;
  • La modification des clauses financières du marché par un avenant afin d’augmenter les prix ou d’insérer/modifier des clauses de révision en vue de suivre l’évolution des cours ;
  • Le versement d’une indemnité d’imprévision, pour pallier le bouleversement de l’équilibre du contrat induit par un contexte de flambée des prix, contre la poursuite des travaux.

La modification des clauses financières et le recours à la théorie de l’imprévision supposent néanmoins que les entrepreneurs de démontrer la réalité des surcharges supportées et la sincérité de leurs demandes, en produisant notamment tout justificatifs utiles (notamment des justificatifs de hausse du coût des matières premières et des matériaux et non de perte de marge) ainsi qu’en intégrant la maîtrise d’œuvre à leurs échanges afin que les maîtres d’ouvrages publics disposent d’un avis technique sur ces sollicitations.

Le juge administratif a d’ailleurs très récemment resserré son contrôle sur le montant des indemnités versées par les personnes publiques à leurs cocontractants, l’objectif clair étant de sanctionner toute dérive et de prévenir la constitution de libéralité.

 

Expertise par Me Guillaume Geffroy et Me Guillaume Emelien, avocats au barreau de Rennes.

 

1 Le code de la commande publique et le cahier des clauses administratives générales
2 CCP, art. R. 2112-13 : « Un prix révisable est un prix qui peut être modifié, pour tenir compte des variations économiques. »
3 CCP, art. R. 2112-14
4 CCP, art. R. 2194-5
5 CCP, art. R. 2194-3 et R. 2194-4
6 CE, 15 septembre 2022, n°405540
7 Cour administrative d’appel de Nancy, 8 avril 2013, n°12NC00503
8 CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux, n°59928 ; CCP, art. L. 6
9 CE, 17 janvier 1951, Hospices de Montpellier, n° 97613
10 CE, 16 décembre 2022, n°455186

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