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L’intelligence artificielle peut-elle être auteure d’une œuvre ?

Et si un robot pouvait écrire une partition musicale, générer une photo, un texte, un tableau, mais aussi, une œuvre d’art numérique : toutes ces créations sont désormais réalisables par l’intelligence artificielle (IA), posant la question des droits de propriété intellectuelle sur ces œuvres numériques.

Me Ludovic de la Monneraye ©Atypix

Le lancement du dernier logiciel de la société Open AI, dans l’IA, « ChatGPT », un générateur de texte capable de répondre à des questions, en est la parfaite illustration.

Ces dernières années, on observe une apparition accrue de ce que l’on nomme « l’art génératif » ou encore « l’art algorithmique ». Autrement dit, un algorithme permettant de générer presque automatiquement des œuvres de l’esprit. Cette technologie permet en quelque sorte à un profane de traduire une simple idée en une œuvre matérialisée.

Les intelligences artificielles sont à l’honneur, car leur utilisation rend la création d’œuvre d’art accessible à tous.

Mais l’évolution de ces technologies se montre particulièrement redoutable d’un point de vue juridique, car elle rend la frontière entre œuvre d’art réalisée par une personne, et œuvre produite par un ordinateur, de plus en plus floue.

Le portrait d’Edmond de Belamy, première œuvre entièrement créée par une intelligence artificielle, vendue aux enchères au prix de 432.000 $ à New York.

Qui, de la machine ou de l’homme, peut être considéré comme un auteur ?

L’attribution de la protection par le droit d’auteur à l’intelligence artificielle pose question.

De façon constante, l’œuvre protégée par les droits d’auteur est une œuvre dite « originale », critère fondamental de protection. On dit aussi que l’œuvre doit traduire l’empreinte de la personnalité de son auteur.

Au premier abord, seule une personne humaine est capable de traduire sa personnalité dans une œuvre. Traditionnellement, les droits d’auteurs sont donc attribués à une personne physique, un particulier, un individu.

Une œuvre l’IA pour la première fois reconnue comme une œuvre artistique en 2022

Depuis le début des années 2020, c’est le « Prompt Art » qui a été mis à l’honneur sur les réseaux sociaux. Il est question de permettre à des sites d’avoir accès à une intelligence artificielle, qui va générer des images en suivant les instructions des internautes.

Les sites comme MIDJOURNEY, DALL-E, et ILLUSTROKE ont largement été médiatisés dans ce domaine.

Le 29 août 2022 constitue une date historique pour le milieu de l’art. Il s’agit en effet de la première fois qu’une œuvre entièrement générée par une IA, ici sur le site MidJourney.com, remporte un prix aux États-Unis, à savoir le 1er prix de la Colorado State Fair Fine Art Competition.

Autrement dit, c’est la première fois que l’on reconnaît une réelle valeur artistique à une œuvre réalisée par l’intelligence artificielle.

Ces œuvres se voient désormais aussi attribuer une valeur marchande. Tel a été le cas du portrait d’Edmond de Belamy, première œuvre entièrement créée par une intelligence artificielle, et vendue aux enchères au prix de 432.000 $ à New York.

Bien que le programmeur définisse certains paramètres, l’œuvre qui est créée par le logiciel est le fruit d’un processus semblable à celui de la réflexion chez l’être humain.

La réalité d’une concurrence entre l’homme et la machine

Face à un tel constat, on comprend donc aisément la crainte des artistes, personnes humaines, de voir la valeur de leur travail s’amoindrir progressivement face à une technologie grandissante et performante.

Malgré la réticence de certains face à l’émergence de l’art génératif, d’autres sont conquis.

C’est le cas de Hugo Casselles-Dupré, un des créateurs de « Obvious », qui utilise l’intelligence artificielle comme outil de création. Face aux attaques, il évoque :

« On a le même type de commentaire que les photographes ont eu quand la photographie est apparue. Tout le monde leur disait « Ce n’est pas de l’art, c’est du travail d’ingénieur, c’est automatisé » etc. Or, on se rend compte aujourd’hui qu’il y a des photographes meilleurs que d’autres. De la même manière avec l’IA, il y a des artistes meilleurs que d’autres. »

Face au débat grandissant, la question de la titularité des droits se pose donc de plus en plus, là où la plupart des législations dans le monde considèrent que la paternité d’une œuvre ne peut être attribuée qu’à une personne humaine.

Comment réagit le droit ?

La législation sur le droit d’auteur a deux possibilités pour traiter ces œuvres :

  • soit l’œuvre est créée par un ordinateur et ne peut donc pas être protégée
  • soit, la paternité de l’œuvre revient au concepteur de l’intelligence artificielle.

Pour l’heure, la plupart des législateurs considèrent que seule l’œuvre créée par une personne humaine mérite une protection par le droit d’auteur.

Pourtant, au Royaume-Uni, l’article 9.3 de la loi sur les droits d’auteur attribue les droits à la personne qui a pris les dispositions nécessaires pour créer ladite œuvre au moyen d’un ordinateur.

En France, si la création est simplement assistée par un ordinateur, alors, la personne humaine est titulaire des droits d’auteur sur son œuvre.

En revanche, si la création est générée sans intervention d’une personne humaine alors elle ne pourra se voir attribuer la qualification « d’œuvre », car au sens du droit français, la qualité d’auteur est réservée aux personnes humaines.

Donc, pour l’heure, les créations issues de sites de Prompt Art ne peuvent être protégées au titre du droit d’auteur français.

Une BD générée par l’IA, sous protection du copyright américain

En septembre 2022, Kris Kashtanova, graphiste à New York, a obtenu les copyrights sur sa bande dessinée « Zarya of the Dawn ». Pour se faire, Kris a déclaré avoir seulement été assistée par l’algorithme pour son roman dont les illustrations sont le fruit de l’intelligence artificielle proposée par MidJourney. Mais elle soulève être bien elle-même à l’origine de l’histoire.

La pratique montre bien qu’il arrive souvent qu’avec l’aide de l’intelligence artificielle, les résultats permettent parfois d’arriver à des œuvres originales empreintes de la personnalité de l’auteur.

Les choses pourraient bien évoluer en droit français.

En effet, en 2020, le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) a rendu un rapport sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la culture. Le Conseil semble enclin à discuter, car selon lui : « le droit positif doit accueillir ces réalisations assistées par intelligence artificielle, tout comme il a pu accueillir d’autres évolutions technologiques dans le passé. » Dans cette optique, un droit spécial devrait permettre une protection ajustée.

Dès lors, bien que le législateur fasse la distinction entre les œuvres créées à l’aide d’une intelligence artificielle, et les œuvres créées de manière automatique par une telle intelligence, il semble probable que la législation s’adaptera aux évolutions techniques qu’impose notre société.

Certaines intelligences artificielles ne se privent pas d’exploiter des images protégées par le droit d’auteur

À la recherche d’une protection adéquate

L’intelligence artificielle se nourrit de milliards de textes et d’images existant sur le web !

Cette réalité pose inévitablement la question de la propriété intellectuelle de ces œuvres.

Certaines intelligences artificielles ne se privent pas d’exploiter des images protégées par le droit d’auteur, en toute impunité. Les artistes commencent à se mobiliser pour faire valoir leurs droits.

Getty image, un leader sur le marché de la banque image, reproche à la société Stability AI d’avoir délibérément siphonné le portail de milliers de visuels. Le litige pourrait constituer une première historique sur le sujet. Une procédure devant la haute cour de Londres vient d’être lancée fin janvier 2023.

Dans la même logique, trois artistes ont déposé plainte aux États-Unis contre Stability AI, Midjourney et DeviantArt pour violation de copyrights.

Le parlement européen saisi sur la question

Le Parlement européen semble enclin à une évolution. À l’occasion de recommandations faites à la Commission européenne concernant des règles de droit civil sur la robotique, le Parlement considérait en 2015 que :

« considérant que, maintenant que l’humanité se trouve à l’aube d’une ère où les robots, les algorithmes intelligents, les androïdes et les autres formes d’intelligence artificielle, de plus en plus sophistiqués, semblent être sur le point de déclencher une nouvelle révolution industrielle qui touchera probablement toutes les couches de la société, il est d’une importance fondamentale pour le législateur d’examiner les conséquences et les effets juridiques et éthiques d’une telle révolution, sans pour autant étouffer l’innovation; »

La Commission européenne a proposé le 21 avril 2021 le « AI Act », une proposition de nouvelle réglementation sur l’IA démontrant l’importance stratégique de l’IA pour l’Europe et la nécessité d’encadrer son usage dans les différents secteurs d’application. Ce règlement doit être discuté au Parlement européen au printemps prochain.

Comme souvent en matière technologique, le droit semble s’adapter aux pratiques. Nous sommes certainement à l’aube d’une évolution du droit sur cette question. Dans l’intervalle, il convient d’être vigilant sur les créations réalisées, et d’envisager l’ensemble des mesures de protection et de suivi juridique de celles-ci.

Expertise par Me Ludovic de la Monneraye, avocat au barreau de Rennes.

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