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Quand Stendhal découvrait l’opéra de Rennes

Le 26 mars 1836, alors consul à Civitavecchia, où Stendhal s’ennuie à mourir, il obtient un congé qu’il prolongera jusqu’en août 1839. Sous la couverture d’un commis voyageur, il va sillonner la France. Il séjourne ainsi quinze jours en Bretagne. Le 25 juin 1837, il est à Nantes. Après un détour par Vannes, Carnac, Lorient, Hennebont, Ploërmel, il arrive à Rennes, le 10 juillet.

Stendhal, qui n’était pas que l’auteur du roman « Le Rouge et le Noir » a toujours aimé les voyages, sources de nouveaux récits : Rome, Naples et Florence,1826, Promenades à Rome, 1829… Tout pique sa curiosité : paysages, architecture, peinture, opéra… Le 26 mars 1836, alors consul à Civitavecchia, où il s’ennuie à mourir, il obtient un congé qu’il prolongera jusqu’en août 1839. Sous la couverture d’un commis voyageur, il va sillonner la France. Il séjourne ainsi quinze jours en Bretagne. Le 25 juin 1837, il est à Nantes. Après un détour par Vannes, Carnac, Lorient, Hennebont, Ploërmel, il arrive à Rennes, le 10 juillet.

« Agréablement surpris » par Rennes

« Comme je savais que Rennes avait été entièrement détruite par l’incendie de 1720, je m’attendais à n’y rien trouver d’intéressant sous le rapport de l’architecture. J’ai été agréablement surpris ». Ce qui retient son attention, c’est la cathédrale encore en travaux et le théâtre inauguré le 1er mars 1836, l’actuel Opéra. « Les citoyens de Rennes, écrit-il, viennent de se bâtir une salle de spectacle et ce qui est plus étonnant encore, une sorte de promenade à couvert, première nécessité dans toute ville qui prétend à un peu de conversation ». En ce mois de juillet 1837, maussade et pluvieux, Stendhal n’a pas l’occasion d’assister à une représentation, encore moins de découvrir la salle et son décor. Et pourtant, il apprécie le théâtre en connaisseur. À Paris, il est un habitué du Théâtre Français ; à Milan, de la Scala, « premier théâtre du monde ». Et à Londres, en 1821, il applaudit Kean, l’acteur d’Othello et de Richard III. « Les plus doux moments de ma vie se sont passés dans les salles de spectacle ».

 

Le théâtre de Millardet

Œuvre de Charles Millardet, Architecte de la Ville de Rennes, le théâtre s’inscrit dans une lignée de salles bâties entre la fin du XVIIIe et le début de la Monarchie de Juillet en province (Bordeaux : Victor Louis, 1774-1780, Nantes : Crucy, 1784 – 1812…) comme à Paris (l’Odéon, le Théâtre Français, le Théâtre Feydeau, l’Opéra de la rue Le Pelletier, le Théâtre Ventadour…) La plupart de ces théâtres sont associés à des galeries.

Millardet a retenu cette idée. Le théâtre de Rennes est encadré de deux immeubles de rapport s’ouvrant par des galeries à arcades sur la place de l’Hôtel de ville, et les deux rues voisines Brilhac et Coëtquen. Ils ont été bâtis sur les terrains de Joseph Méret, négociant et promoteur rennais. Construit en rotonde cet opéra s’inspire du théâtre antique de Marcellus à Rome : de larges baies cintrées sur deux niveaux, rythmées par des colonnes doriques et ioniques, en pierre de Caen. Et un attique couronné par les neuf muses et le dieu Apollon, œuvres de Lanno, prix de Rome 1827.

D’après Marteville, journaliste de L’Auxiliaire Breton (articles des 26 et 29 février 1836), cette rotonde a surpris les Rennais, plus séduits alors par l’alliance du théâtre et des galeries : « Les galeries Méret, le péristyle, les magnifiques cafés du théâtre ne forment qu’un tout… écrit-il. Ce vestibule qui est en un mot la clé de ce promenoir où l’été, on sera à l’abri des chaleurs et où l’hiver l’on sera garanti des temps pluvieux et maussades, vaut à lui seul bien des éloges ».

Un décor néoclassique parti en fumée

Dans le foyer du théâtre, écrit Marteville, « de l’air, de l’élégance, de la somptuosité, la clarté des lustres», et une voûte « peinte en arabesques ». La salle à l’italienne et son grand lustre de cristal sont très admirés : décor néoclassique blanc et or (colonnes cannelées et mascarons pour les baignoires, camées blancs sur losange bleu aux premiers balcons, guirlandes et candélabres portés par des amours aux seconds balcons, camées et guirlandes pour les troisièmes balcons, loges drapées de velours bleu à l’exception de celle du maire en velours cramoisi).

Ce décor retrouvé sur les plans de Millardet et reconstitué grâce aux devis de l’entrepreneur Louise a été détruit dans l’incendie du théâtre en 1856. Refait dans le style Second Empire, modifié en 1913 avec l’ajout du plafond de Lemordant, il a été restauré à plusieurs reprises.

Les galeries Méret

Dallées de granit, les galeries du théâtre étaient éclairées par des lanternes à deux feux et fermées par des grilles. La première se développe en « U » de part et d’autre de la rotonde. Elle s’ouvre sur les rues de Brilhac et de Coëtquen, sur la place de l’Hôtel de ville. La seconde plus étroite, couverte d’un châssis vitré est située au revers du théâtre.

Au temps de Stendhal, les galeries Méret abritaient le Café de la Comédie situé à l’emplacement de l’actuel Carré Lully. De part et d’autre de ce café, seize boutiques avec entresols, aux devantures vitrées toutes peintes couleur vert bronze. Aucune enseigne !

Le coiffeur Edouard fut l’un des premiers à s’établir. Puis la galerie d’art de Charles Lehoult, deux orfèvres bijoutiers : Clouard et Chavanon, l’horloger Vaucel, le coiffeur parfumeur Hista, les tailleurs Le Hédois et Jugès, le gantier Bruère-Périn, l’opticien Binda, le cabinet de lecture Grandhomme, le café Joseph, le café Salmon et le restaurateur Simon. Des boutiques d’un certain chic !

À Paris, les passages couverts parisiens offrent aux passants un raccourci, un chemin de traverse. Ce n’est pas le cas à Rennes, d’où l’infortune des galeries Méret. Aujourd’hui, les galeries sud sont entièrement occupées par la brasserie Le Piccadilly, et des seize boutiques d’origine, il n’en reste qu’un petit nombre aux volumes dénaturés et aux devantures disparates. Quant à la seconde galerie celle du service de l’opéra, plus personne n’y passe. Que dirait Stendhal ?