Dans les rues tortueuses et étroites, les maisons sont de bois, les greniers remplis de fagots à l’approche de l’hiver… Un vent violent attise les flammes; la ville manque cruellement d’eau ; les secours sont mal organisés. Rennes va brûler huit jours durant. Et le bilan est terrible : le feu a dévasté 32 rues, 945 bâtiments et laissé sans toit des milliers de sinistrés !
Et pourtant, cet incendie, si cruel soit-il, se révélera providentiel pour Rennes en donnant lieu à un vaste projet de reconstruction orchestré d’abord par Isaac Robelin, ingénieur de la Marine, puis par Jacques Gabriel, architecte du Roi.
Des historiens passionnés et passionnants
Trois cents ans après cette catastophe, les historiens Gauthier Aubert et Georges Provost publient un ouvrage passionnant aux éditions des Presses Universitaires de Rennes afin de mieux comprendre « l’un des événements fondateurs du Rennes d’aujourd’hui », écrit Nathalie Appéré, maire de Rennes, dans sa préface. Spécialistes des sociétés urbaines pour l’un, des questions religieuses et culturelles pour l’autre, tous deux enseignent à l’Université de Rennes 2 (Laboratoire Tempora). Avec la même curiosité doublée d’une affection certaine pour leur ville, ils ont fait de Rennes, l’un de leurs terrains d’enquête privilégiés sur la France de l’Ancien Régime.
Pour relire l’événement à la lumière des archives et des dernières recherches, après celles de Michel Charil de Villanfray en 1923 et de Claude Nières en 1972, le replacer dans le contexte de l’Europe du XVIIe siècle et en mesurer toutes les conséquences, ils se sont entourés des meilleurs historiens et historiens d’art : David Garrioch, Olivier Chaline, Guillaume Kazerouni, Mathieu Le Boulch, Philippe Jarnoux, Jean-Jacques Rioult, Louis Chauris, Bruno Isbled, Sophie Chmura, Claire Gatti. Et réuni une iconographie de grande qualité.
Un désastre… exceptionnel
En s’appuyant sur un document clef méconnu, le rapport de l’Intendant Feydeau de Brou sur l’incendie, le 25 décembre 1720, David Garrioch fait revivre l’événement et donne la parole aux sinistrés, toutes classes confondues. Un « désastre exceptionnel » en cette année 1720 qualifiée d’annus horribilis par Olivier Chaline : peste à Marseille; crise bancaire… Rennes détruite à 40 %, des pertes certes inférieures à celles de l’incendie de Londres en 1666 mais immenses pour les sinistrés.
Comment expliquer un tel drame ? Mathieu Le Boulch et Gauthier Aubert s’interrogent sur les causes principales des grands incendies en Europe, analysent le tissu urbain et le bâti et s’intéressent aux mesures prises contre le feu. Guillaume Kazerouni donne un éclairage inédit sur les représentations des incendies dans la peinture européenne des XVIIe et XVIIIe siècles.
Georges Provost souligne la dimension religieuse de l’événement car « dans l’épreuve commune, la prière prend volontiers la forme du vœu collectif ».
Le feu stimule la dévotion à la Vierge Marie. C’est le sens du grand tableau visible dans la basilique Saint-Sauveur de Rennes peint par Nicolas Le Roy peu après l’événement à par- tir d’un dessin de Huguet et des petites niches abritant une statue de la Vierge dans les rues de la ville.
La reconstruction
Il faut reconstruire la ville et c’est à l’ingénieur Robelin, responsable des Fortifications de Brest que revient la tâche d’imaginer sa nouvelle physionomie. Son projet est approuvé le 2 août 1722 : des rues se coupant à angle droit, des places royales pour mettre en valeur le Parlement épargné par l’Incendie et le nouvel Hôtel de Ville, les petites places Saint-Sauveur et du Cartage, de solides immeubles de granit et de tuffeau et la canalisation de la Vilaine. Comme les Rennais regardent à la dépense et que les relations avec l’ingénieur sont difficiles, le roi dépêche à Rennes Jacques Gabriel, choisi pour rebâtir l’hôtel de ville, avec mission d’ apaiser les esprits et d’assouplir les mesures.
Philippe Jarnoux, Jean-Jacques Rioult, Gauthier Aubert, Sophie Chmura font revivre un chantier qui durera près d’un siècle, des travaux de déblaiement à la reconstruction : ana- lyse des matériaux, typologie des immeubles, création des places royales, sans oublier les conséquences sociologiques de l’incendie qui accroit les disparités entre la ville haute re- construite et la ville basse délaissée, faute d’argent.
Au-delà de cette « formidable mutation urbaine », Claire Gatti s’interroge sur la mémoire de cet incendie qui se cristallise dans la célèbre formule : « À Rennes, rien ne prend, sauf le feu. »
Pour Gauthier Aubert et Georges Provost, « Rennes, avec l’incendie, est devenue, dans la douleur celle que ses élites rêvaient qu’elle fût, c’est-à-dire pleinement capitale. »