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Transmettre son entreprise : mode d’emploi

Comme pour un être vivant, votre entreprise traverse différentes étapes tout au long de sa vie. Elle naît, grandit, arrive à maturité et décline. Pour ne pas la voir disparaître, il est donc essentiel de préparer sa transmission plusieurs années à l’avance. Jean-François Jouan, vice-président de la Chambre des notaires d’Ille-et-Vilaine, vous explique cette étape clé qui ne s’improvise pas.

Maître Jean-François Jouan, vice-président de la chambre des notaires d’Ille-et-Vilaine. Entreprise

Maître Jean-François Jouan, vice-président de la chambre des notaires d’Ille-et-Vilaine. ©DR

Organiser et diagnostiquer son entreprise

En France, le sujet de la cession de l’entreprise est très peu évoqué, voire parfois tabou pour les entrepreneurs. Pourtant, un départ se prépare et s’anticipe. Il permet d’organiser la transmission des compétences et des savoirs, et parfois, de trouver un ou plusieurs repreneurs dans son entourage proche.

À partir du moment où vous envisagez de céder votre entreprise, vous devez recenser les questions à régler en lien avec votre patrimoine – et son éventuelle transmission -, le changement d’associés et de direction, la préparation de l’entreprise, et encore bien d’autres aspects.

Pour ce faire, vous aurez besoin de vous entourer de spécialistes ayant des compétences dans différents domaines – financier, administratif, juridique, social, fiscal – qui vous proposeront des solutions adaptées à votre situation et vos attentes.

Vous devrez par ailleurs établir divers diagnostics (activité, humain, moyens financiers, juridiques et qualité, sécurité, environnement) qui vous permettront d’identifier vos forces et vos faiblesses.

Choisir le mode de cession

La cession d’une entreprise peut prendre différentes formes allant de la cession du fonds de commerce à une cession de tous les titres de la société, parts sociales ou actions, en passant par la cession d’une branche d’activité. Les possibilités de montage juridique sont multiples et permettent de préparer une transmission adaptée à votre situation.

Vous pouvez par exemple choisir de transmettre votre entreprise à titre gratuit dans le cadre d’une donation ou bien à titre onéreux dans le cadre d’une vente. Vous pouvez aussi opter pour la location-gérance.

La cession peut être en pleine propriété ou bien en démembrement de propriété, c’est-à-dire qu’il sera effectué une distinction entre la nue-propriété et l’usufruit.

Vous devrez enfin décider à qui vous souhaitez céder votre affaire : votre famille, vos salariés ou un repreneur externe ? Selon les options choisies, les conséquences juridiques, fiscales et financières seront différentes, que ce soit pour vous ou le repreneur.

La fiscalité liée à la transmission

La préoccupation majeure des cédants d’entreprise est liée à la fiscalité. Combien allez-vous payer d’impôts ? Cela dépendra du moment où vous sautez le pas, car il faut savoir qu’en France, la fiscalité évolue souvent.

À l’heure actuelle, il existe des dispositifs pour les très petites entreprises, qui bénéficient d’une exonération totale des plus-values en dessous d’un certain seuil de chiffre d’affaires. Vous pouvez également bénéficier d’une exonération sur le prix de cession si vous vendez un fonds en dessous d’un certain montant ou encore si vous cédez dans le cadre d’un départ en retraite. Bien sûr, ces dispositifs sont valables sous certaines conditions d’où l’importance de se faire conseiller par son notaire et/ou par son expert-comptable.

Quelques chiffres

  • 157 109, c’est le nombre d’entreprises en Ille-et-Vilaine en 2022

(Source : Lefigaro.fr)

  • Près d’1 cession sur 2 s’effectue dans le cadre du départ à la retraite du dirigeant

(Source : BPI France)

  • Chaque année, plus de 185 000 entreprises en France sont susceptibles d’être transmises, mais 51 000 seulement changent effectivement de main.

(Source : BPCE L’Observatoire)

  • 83% des TPE, PME, ETI et groupes sont des entreprises familiales en France

(Source : Institut Montaigne)

  • En France, seulement 10% des entreprises sont cédées à la famille contre 50% en Allemagne.

(Source : Conseil supérieur du notariat)

Transmettre à sa famille

Pour assurer la pérennité et la stabilité des entreprises, l’État prévoit des dispositifs pour inciter les entrepreneurs à transmettre leur entreprise au sein du cercle familial. Cette transmission intervient le plus souvent dans le cadre d’une donation ou d’une succession. Le pacte Dutreil est un outil de transmission qui a pour but d’éviter que vos héritiers soient obligés, à votre décès, de vendre l’entreprise familiale pour acquitter les droits de succession.

Grâce à ce dispositif, le coût fiscal de la transmission est allégé. En effet, sous certaines conditions, une exonération de 75 % des titres sociaux transmis ou de l’entreprise individuelle s’appliquera, qu’il s’agisse de la transmission par succession (au moment du décès) ou par donation (de votre vivant).

Le pacte Dutreil est très avantageux fiscalement. Il peut se cumuler avec d’autres dispositifs.

Si vous transmettez la propriété de votre entreprise sans contre-partie financière, deux options s’offrent à vous selon le nombre d’enfants. En présence d’un enfant unique, vous opterez pour une donation simple. Si vous avez plusieurs enfants, une donation-partage sera plus adaptée. En effet, c’est la seule solution afin que les biens transmis soient évalués au jour de l’acte de façon définitive. Ils ne seront donc pas réévalués au moment de votre décès.

Quelle que soit la manière dont vous envisagez votre cession, vous devrez envisager un mode de transmission qui vous laissera des moyens de subsistance.

Votre notaire vous fournira une information détaillée sur chaque nature d’opération afin de rechercher celle qui conviendra le mieux à votre situation.

La question à Maître Jean-François Jouan

Je suis associée d’une SCI. J’ai proposé à mes associés d’acheter mes parts sociales, mais sans aucune précision quant aux modalités. Puis-je revenir sur ma proposition ?

Oui. Pour que le contrat soit valablement formé, il faut qu’il y ait un accord sur la chose et le prix. Une simple volonté ne suffit pas et vous pouvez évidemment revenir sur votre décision dès lors qu’il n’y a pas eu d’accord des associés. Toutefois, je vous invite à relire les statuts de votre SCI.

S’ils sont bien rédigés, vos statuts sont un excellent moyen de régir l’entente comme la mésentente entre associés. Vous pouvez ainsi y intégrer directement des clauses sur-mesure telles que des clauses de retrait, des clauses d’agrément, des conditions concernant le choix des associés, etc.

Trouver son successeur

Il est parfois difficile de trouver un repreneur, particulièrement pour les toutes petites entreprises. Pour sauver l’activité et préserver les emplois, faire reprendre gratuitement votre entreprise par un ou plusieurs salariés peut être la seule solution. Une fiscalité favorable permet de l’envisager sereinement.

Actuellement, si votre salarié bénéficie d’un contrat à durée indéterminée à temps plein depuis plus de deux ans ou d’un contrat d’apprentissage, il profitera d’un abattement de 300 000 € pour le calcul des droits de mutation. Cet abattement s’applique aux donations de fonds artisanaux, de fonds de commerce, de clientèles libérales, de parts ou actions d’une société exerçant.

Attention : si vous êtes entrepreneur avec des enfants, cette donation ne devra pas nuire à leurs droits. La loi impose en effet qu’une partie minimale de votre patrimoine leur revienne obligatoirement, appelée réserve héréditaire.

Bon à savoir

Pour trouver un repreneur, vous disposez de nombreux relais en plus de votre réseau professionnel et personnel :

  • les Chambres de Commerce et d’Industrie
  • les Chambres de Métiers et de l’Artisanat ou l’Urssaf
  • la base de BPI France
  • votre fédération ou syndicat professionnel
  • le site transmission-entreprise.fr
  • la presse spécialisée dans votre secteur d’activité
  • des associations, comme l’association cédants et repreneurs d’affaires.

Vous pouvez également faire appel à un mandataire et lui confier la recherche d’un repreneur.

Conclure la cession

Une fois le repreneur identifié, celui-ci diligentera un audit d’acquisition afin de vérifier l’état de l’entreprise qu’il achète avant de s’engager de manière définitive. La signature de l’acte de cession viendra concrétiser ce projet de longue haleine.

Qu’il s’agisse de la cession d’un fonds de commerce ou d’une cession de titres, la vente devra être constatée dans un acte juridique.

Compte tenu des enjeux de cette transmission, il semble évident que la présence d’un notaire est nécessaire à vos côtés pour préparer cet acte de cession de votre entreprise.

Le conseil de Maître Jean-François Jouan

Le pacte Dutreil est très avantageux fiscalement. Il peut se cumuler avec d’autres dispositifs. Ainsi, en plus de cette exonération de 75 % de l’assiette taxable de la transmission, il pourra être fait application de l’abattement personnel de 100 000 € par parent et par enfant. Il est particulièrement conseillé dans le cadre de donation à ses enfants de titres évalués à plus de 100 000 €.

Par exemple : si vous transmettez la propriété de votre entreprise évaluée à 400 000 € à votre enfant, vous bénéficiez d’une exonération de 75 % grâce au pacte Dutreil soit 300 000 € exonérés. Votre enfant ne sera taxé que sur 100 000 €. Mais, compte tenu de l’abattement en ligne directe de 100 000 €, votre enfant ne sera redevable d’aucun impôt.

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