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Acheter ou louer ses bureaux d’entreprise : comment et pourquoi ?

C’est une question qui revient souvent dans les réflexions stratégiques des dirigeants d’entreprise, quelle que soit la taille de leur société : dois-je acheter mon local professionnel, ou rester locataire ? Quels sont les avantages, la structuration juridique de cette acquisition, l’imposition des flux ?

Quelques éléments de décryptage avec Maître Morgan Thouin, avocat fiscaliste et directeur associé du cabinet Ernst & Young à Rennes.

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7J : Tout d’abord, Maître Thouin, dans quel cadre faut-il louer ses bureaux ?

Me Morgan Thouin : « Choisir la location, c’est avant tout faire le choix de la flexibilité. Ainsi, la location est recommandée lorsque l’entreprise est en phase de démarrage ou de forte croissance car il faut, dans ce cas, savoir rester agile et mobile. En d’autres termes, à ce stade, c’est l’opérationnel qui guide la décision car il sera difficile d’acter certains choix : quid de la superficie s’il y a encore des recrutements, quel emplacement choisir ?

Pour d’autres sociétés, le critère du choix sera financier. En effet, pour ne pas limiter sa capacité d’investissement, une entreprise pourra avoir intérêt à choisir la location afin de focaliser sa trésorerie disponible sur le développement de son activité (actifs industriels, R&D, salariés, etc.) dont la rentabilité moyenne est très supérieure à celle d’un actif immobilier de bureaux.

 En effet, acheter ses locaux professionnels est un investissement et aujourd’hui, cet investissement coûte cher ! »

Maître Morgan Thouin, avocat fiscaliste et directeur associé du cabinet Ernst & Young à Rennes, bureaux

Maître Morgan Thouin, avocat fiscaliste et directeur associé du cabinet Ernst & Young à Rennes ©LM

7J : L’achat de ses bureaux semble être un choix fait par de plus en plus de dirigeants ?

« Oui, car l’investissement dans ses locaux s’inscrit dans une démarche patrimoniale, de long terme, intéressante pour les entreprises familiales notamment. Le dirigeant peut, par ce biais, se constituer un capital distinct de celui de l’entreprise.

Au surplus, l’investissement par le dirigeant dans des bureaux est moins risqué que celui dans d’autres actifs professionnels comme l’acquisition d’un site industriel. Prenons l’exemple d’un site avec une centrale à béton, vous comprendrez aisément qu’il sera plus difficile de trouver un acquéreur ou un nouveau locataire lorsque le dirigeant cédera son entreprise (et que l’acquéreur ne souhaitera pas acquérir ou louer ce site). Pour les bureaux, il n’y a pas ce problème, c’est un investissement moins rentable, mais plus serein. »

7J : Quelle est la structure juridique idéale pour acheter ?

« C’est toujours une analyse au cas par cas, il n’y a pas de schéma type, c’est important de le rappeler. Soit c’est l’entreprise qui achète directement le bien immobilier (ce qui est rare pour des bureaux et non recommandé), soit c’est une société à part détenue par le ou les dirigeants : une SCI (Société Civile immobilière) par exemple qui procède à l’acquisition et loue ensuite les locaux à l’entreprise.

Cette option permet :

  • à la société propriétaire des bureaux de bénéficier d’un effet de levier financier par le recours à l’emprunt et de se constituer au fil du temps un capital dans la mesure où l’emprunt est remboursé par les loyers versés ;
  • à la société locataire de conserver sa flexibilité et de ne pas limiter sa capacité financière.

Il faut être particulièrement vigilant à la détermination du loyer entre la SCI et la Société d’exploitation. Ce loyer doit être au prix du marché et en aucun cas être majoré car l’administration fiscale est particulièrement attentive sur ce point et les conséquences financières d’un redressement peuvent être élevées. »

7J : Quels sont les choix possibles de gestion et quelle est la taxation des revenus locatifs ?

« Lors de la constitution de la SCI, il faut choisir son régime fiscal : impôt sur le revenu (IR) ou impôt sur les sociétés (IS).

En IR, le loyer est imposable en revenus fonciers dont d’une part l’assiette d’imposition est élevée (pas de possibilité de déduire un amortissement) et dont le taux marginal d’imposition peut atteindre plus de 60 % (45 % d’IR et 17,2 % de prélèvements sociaux) ! Il faut donc faire attention à ce que cela ne conduise pas à une impasse de trésorerie, le risque étant qu’après avoir remboursé l’emprunt il ne reste pas assez pour payer l’impôt…

Corrélativement, le taux d’IS baisse depuis plusieurs années pour tendre vers 25 % et l’assiette imposable est plus réduite que celle des revenus fonciers du fait de la possibilité de constater un amortissement. Cela étant, pour remonter la trésorerie aux associés de la SCI, il faudra distribuer un dividende et donc supporter la flat tax de 30 %.

Arbitrer le match entre IS et IR n’est pas si simple car il faudra également prendre en considération le fait que l’imposition de la plus-value lors de la cession du bien est très différente selon que la SCI est à l’IR ou à l’IS !

Par ailleurs, le dirigeant ne devra pas oublier de prendre en considération dans sa stratégie d’investissement une autre imposition : l’IFI (impôt sur la fortune immobilière). En effet, si ce dernier peut bénéficier d’une exonération d’IFI au titre de l’acquisition des bureaux qui seront utilisés par sa Société d’exploitation, les chausse-trapes sont nombreuses en la matière et il est donc conseillé de s’entourer d’un avocat fiscaliste pour la structuration de son acquisition immobilière. »

7J : Et à la fin c’est un capital pour le dirigeant et/ou sa famille !

« En effet, lorsqu’arrive le temps de la cession ou de la transmission, c’est le moment de voir si l’on a fait les bons choix ! Pour la transmission, le maître mot doit être l’anticipation…

Pour la cession, il y a de nombreuses hypothèses. Ce qu’il faut retenir c’est que si les bureaux ont été acquis par la Société d’exploitation, la valeur du bien immobilier sera incluse dans le prix de cession des parts avec un risque de se voir appliquer une décote…

Si les locaux ont été acquis via une SCI, cela apporte plus de flexibilité. Le dirigeant pourra décider de conserver les actifs immobiliers pour se constituer un revenu de retraite par exemple ou de les céder. La cession pourra porter sur les titres de la SCI (rare en pratique) ou sur l’immeuble. Cette cession emportera la constatation d’une plus-value qui sera imposable différemment selon que la SCI est à l’IR ou l’IS. Pour la SCI à l’IR, cette plus-value sera imposable à 36,2 %, mais avec l’application d’un abattement pour durée de détention pouvant conduire à une exonération totale après 30 ans de détention. Pour la SCI à l’IS, la plus-value sera imposable au droit commun de l’IS au taux de 25 % et sur la base d’une assiette élevée égale au prix de cession diminué de la valeur nette comptable du bien (égale au prix d’acquisition diminué des amortissements). Même si l’univers de l’IS peut paraître dans ce cas plus défavorable, il ne faudra pas oublier que les revenus (cf. supra) ont été moins taxés au fil de l’eau… Or, d’un point de vue financier, il est plus facile de supporter une imposition lorsque l’on dispose de la trésorerie que l’inverse ! Alors, à vos calculettes »

Cabinet Ernst & Young à Rennes