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Covid-19 : le point sur la relation bailleur/locataire

Armelle Cottebrune - Avocate ©DR

L’épidémie Covid-19, un motif légitime de non-paiement du loyer commercial ?

Les mesures prises par le gouvernement ne bénéficient qu’à une catégorie limitée de locataires (Entreprise de moins de 10 salariés, CA annuel n’excédant pas 1 million d’euros et fermeture administrative ou perte d’au moins 50 % du chiffre d’affaires sur le mois de mars 2020) et n’aboutissent pas à un effacement des loyers.

Le Covid-19 ne constitue pas en soi un motif légitime de non-paiement, sauf à pouvoir être qualifié de force majeure. Cette appréciation relève du pouvoir souverain des juges qui devront notamment vérifier si l’épidémie empêche totalement le locataire de payer son loyer.

Face à cette incertitude, la sagesse recommande de privilégier la voie de la négociation entre bailleur et locataire.

La tentation est grande pour un locataire d’invoquer la crise de l’épidémie Covid-19 pour ne pas payer son loyer. Cette demande est-elle porteuse ou vouée à l’échec ?

L’analyse du droit spécial lié à l’état d’urgence sanitaire ainsi que du droit commun des contrats, nous permet d’apporter des éléments de réponse à cette question.

 

1 – Le non-paiement des loyers au regard du droit spécial lié à l’état d’urgence sanitaire

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire, a autorisé le gouvernement à prendre sur ordonnance dans un délai de trois mois à compter de la publication de cette loi :

« (…) toute mesure (…) g) permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret no 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique, dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ; ».

C’est ainsi que l’ordonnance n°2020-316 du 26 mars 2020 indique en son article 4 :

« Les personnes mentionnées à l’article 1 er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce.

Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée ».

Selon l’article 1 de cette ordonnance, ces règles sont applicables aux :

« (…) personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1 er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 susvisée. (…)

Les critères d’éligibilité aux dispositions mentionnées ci-dessus sont précisés par décret, lequel détermine notamment les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la crise sanitaire ».

Le Décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 modifié par le décret n°2020-394 du 2 avril 2020 relatif au fonds de solidarité fixe ainsi les conditions d’éligibilité des entreprises à ce dispositif : peuvent prétendre à ce dispositif les entreprises qui réalise un chiffre d’affaires annuel inférieur à 1 million d’euros, qui soit ont fait l’objet d’une fermeture administrative, soit ont subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % sur le mois de mars 2020.

Deux enseignements majeurs sont à tirer de ces textes :

• Ces mesures ne bénéficient qu’à une catégorie limitée de locataires définie ci-dessus.

• L’ordonnance n°2020-316 du 26 mars 2020 n’aboutit pas à une exonération des loyers mais seulement à une interdiction de sanctions, notamment pécuniaires, en cas de non-paiement des loyers.

Les loyers et les charges de la période couverte par l’état d’urgence sanitaire, resteraient donc dus même pour les locataires concernés par ces mesures. A fortiori, le paiement des loyers et charges s’impose aux locataires dont les locaux ne sont pas frappés par une fermeture administrative.

Compte tenu du champ d’application étroit de ces mesures, n’existe-t-il pas dans le droit commun des contrats des mécanismes pouvant venir au secours de locataires dont la situation financière est extrêmement fragilisée par l’épidémie Covid-19 ?

2 – Le non-paiement du loyer au regard du droit commun des contrats

Il importe à titre préliminaire de rappeler le sacro-saint principe de la force obligatoire des contrats, énoncé dès 1804 par l’ex-article 1134 du code civil : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » et repris dans le nouvel article 1193 du code civil (« Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise »).

Ceci étant posé, il existe toutefois dans notre arsenal juridique des dispositions qui pourraient permettre d’écarter ce principe et être utilisées par un locataire pour tenter d’échapper au paiement de son loyer.

A – L’épidémie de COVID-19 serait-elle constitutive d’un cas de force majeure ?

Avant la réforme du droit des contrats et des obligations de 2016, la jurisprudence avait déjà admis sous l’empire de l’ex-article 1148 du code civil, qu’un cas de force majeure puisse justifier la non-exécution d’un contrat.

Le nouvel article 1218, du Code civil est venu confirmer les critères dégagés par cette jurisprudence.

Selon cet article 1218 du Code civil, la force majeure est constituée « lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Ce texte précise ensuite les conséquences de la force majeure : suspension de l’exécution si l’empêchement est temporaire et résolution du contrat si l’empêchement est définitif. Les parties sont libres d’aménager les conditions et les effets de la force majeure. À défaut d’aménagement contractuel contraire, l’événement devra présenter les caractères suivants :

• Extériorité : il n’y a pas de doute sur ce point avec le Covid-19 ;

• Imprévisibilité : ce critère nous semble également rempli pour les baux conclus avant le début de l’épidémie Covid-19, même si l’étude de la jurisprudence témoigne d’un rejet régulier de la force majeure en présence d’épidémies. Toutefois, l’ampleur inédite de cette pandémie qualifiée par l’OMS d’« urgence de santé publique de portée internationale » et surtout les mesures restrictives qui l’accompagnent tendent à caractériser cette imprévisibilité.

• Irrésistibilité : Cette irrésistibilité doit rendre l’exécution du contrat impossible et non pas seulement plus onéreuse ou plus compliquée. Ce critère peut faire débat et ce d’autant plus que la Cour de cassation a déjà refusé d’admettre la force majeure pour justifier l’inexécution d’une obligation de paiement d’une somme d’argent (Cass. com. 16-9-2014 n° 13-20.306 : RJDA 12/14 n°886). Il faudrait ainsi démontrer une impossibilité de payer du fait d’une absence totale de trésorerie. Cette argumentation devra nécessairement être documentée sur le plan comptable et financier et sera rendue d’autant plus difficile que les mesures gouvernementales prévoient la possibilité de bénéficier de prêts de trésorerie garantis par l’État.

D’ailleurs, l’ordonnance se garde bien de dire que l’épidémie de Covid-19 et les mesures prises pour enrayer sa propagation, constituent un cas de force majeure au sens de l’article 1218 du code civil.

L’appréciation de la force majeure restera en définitive soumise à l’appréciation souveraine des juges, qui se prononceront en fonction des faits de chaque espèce et de la possibilité de mettre en place des mesures appropriées pour en éviter les effets néfastes sur l’exécution du contrat (utilisation de sources d’approvisionnement alternatives, production dans d’autres sites, etc.).

À cet égard, il est probable qu’une distinction soit établie par les tribunaux entre les locataires concernés par une mesure de fermeture de leur local et les autres, qui même confrontés à une exploitation rendue plus difficile, pourront poursuivre leur activité aussi réduite soit-elle.

B – Le locataire peut-il demander la révision de son contrat de bail pour imprévision ?

Une autre piste, celle de l’article 1195 du code civil, pourrait être explorée. En application de cet article, les parties peuvent renégocier leur contrat lorsqu’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie. En cas d’échec dans la renégociation, les parties peuvent décider de résoudre le contrat ou de soumettre ce contrat au juge, qui procédera à son adaptation.

Cette disposition ne pourrait être utilisée que pour les baux conclus ou renouvelés postérieurement à son entrée en vigueur, soit à compter du 1 er octobre 2016 et à condition que ce régime n’ait pas été écarté par les parties.

Antérieurement, aucune modification d’un contrat n’était possible sans l’accord des parties.

Pour autant, il n’est pas certain que ce texte apporte une solution appropriée. En effet, le locataire restera tenu de continuer à payer son loyer pendant la durée de la renégociation. En outre, en cas d’échec de la renégociation, il faudra saisir le juge. Or l’activité des tribunaux est actuellement cantonnée aux seules affaires d’extrême urgence.

C – L’exception d’inexécution, lorsque l’une des parties ne respecte plus ses obligations

Nous pourrions également songer à l’exception d’inexécution. L’article 1219 du code civil dispose « Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».

Le locataire privé de la jouissance de son local pourrait sur ce fondement notifier à son bailleur le non-paiement de ses loyers pendant la période de fermeture de son local, au motif que celui-ci ne respecte pas son obligation de délivrance.

Pour les locaux visés par une fermeture administrative, les bailleurs ne sauraient cependant être considérés comme responsables du non-respect de leur obligation de délivrance puisque la fermeture trouve son origine dans les arrêtés des 14 et 15 mars 2020.

Pour les autres locaux, les locataires ne pourront en tout état de cause reprocher à leur bailleur un quelconque manquement à son obligation de délivrance, bien que l’exploitation de leur local soit rendue plus difficile par la mise en œuvre des gestes barrières.

En définitive, la question du paiement des loyers pendant la période de confinement reste délicate.

Le non-paiement des loyers pendant cette période, sera vraisemblablement source de conflit entre les locataires et leurs bailleurs. Dans ce contexte inédit, il paraît sage d’inviter les parties à négocier pour trouver un accord mélangeant report et étalement, qui puisse respecter les intérêts de chacune.

 

Armelle Cottebrune
Avocate – Droit des affaires & conseil aux entreprises
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Tél. 02 99 85 81 84