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Crise sanitaire et urbanisme : la synthèse des délais modifiés

La crise sanitaire a contraint le législateur à déclarer l’état d’urgence sanitaire du 24 mars au 24 mai 2020. S’en est suivie une production normative exceptionnelle afin d’instaurer de multiples mesures permettant d’adapter le droit à cette situation inédite. Cette production normative a rapidement mis sous tension divers enjeux concurrents, notamment la nécessité d’endiguer la propagation du virus et le besoin de poursuivre ou de prévoir la reprise des activités économiques. L’urbanisme fait partie de ces sujets pour lesquels un équilibre est difficile à trouver.

Jean-François Rouhaud, Avocat associé, spécialisé en droit public et en droit immobilier, cabinet Lexcap.

La crise sanitaire a contraint le législateur à déclarer l’état d’urgence sanitaire du 24 mars au 24 mai 2020. S’en est suivie une production normative exceptionnelle afin d’instaurer de multiples mesures permettant d’adapter le droit à cette situation inédite. Cette production normative a rapidement mis sous tension divers enjeux concurrents, notamment la nécessité d’endiguer la propagation du virus et le besoin de poursuivre ou de prévoir la reprise des activités économiques. L’urbanisme fait partie de ces sujets pour lesquels un équilibre est difficile à trouver.

Jean-François Rouhaud, Avocat associé, spécialisé en droit public et en droit immobilier, cabinet Lexcap.

À l’heure où ces lignes sont rédigées, l’essentiel des mesures « dérogatoires » qui trouvent à s’appliquer au droit de l’urbanisme est contenu dans l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période. Ce texte a été modifié par l’ordonnance n° 2020427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de Covid-19 puis par l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

La plus grande prudence doit prévaloir en ce qui concerne la mise en œuvre de ces mesures car elles subissent elles-mêmes, logiquement, des adaptations régulières, rendues nécessaires par l’évolution de la pandémie. Par ailleurs, l’état d’urgence sanitaire est prévu pour s’achever le 24 mai 2020 mais cette date n’est fixée qu’à titre provisoire. La durée de cette période est susceptible d’être modifiée et, par là même, l’aménagement temporaire des délais.

Au final, c’est l’application combinée des différents articles de cette ordonnance du 25 mars 2020 qui, non sans une certaine complexité, permet de synthétiser, en matière d’urbanisme, les principales adaptations de délai résultant de l’état d’urgence sanitaire.

Quelle est l’incidence de la crise sanitaire sur l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme ?

L’article 12 ter de l’ordonnance du 25 mars 2020 adapte les délais de la façon suivante :

• pour les demandes déposées avant le 12 mars 2020 dont le délai d’instruction n’était pas expiré avant le 12 mars 2020 : le délai d’instruction est suspendu du 12 mars 2020 jusqu’au 24 mai 2020 ; le délai d’instruction reprendra son cours à compter du 24 mai 2020 uniquement pour la durée qui restait à courir avant sa suspension ;

• pour les demandes déposées à compter du 12 mars 2020 : le point de départ du délai d’instruction est reporté au 24 mai 2020.

L’ordonnance prévoit elle-même qu’un décret pourrait fixer une date différente de reprise des délais.

Ces dispositions ont pour objet d’empêcher que puisse naître, durant la période de suspension ou de report, une décision tacite de la part de l’autorité compétente. Le mécanisme n’empêche pas l’administration de continuer à instruire les demandes d’autorisation d’urbanisme si, évidemment, elle est en mesure d’assurer cette mission.

Deux exemples permettent de mesurer concrètement l’impact des adaptations apportées.

CAS 1

S’agissant d’une demande de permis d’aménager dont le délai d’instruction est de 3 mois : lorsque celui-ci a débuté depuis un mois et demi avant le 12 mars 2020, il expirera le 24 mai 2020 + un mois et demi = 7 juillet 2020.

CAS 2

S’agissant d’une demande de permis d’aménager déposée le 20 mars 2020 dont le délai d’instruction est de 3 mois : ce dernier expirera le 24 mai 2020 + 3 mois = 24 août 2020.

Il est utile de préciser, en premier lieu, que ces mesures spécifiques d’aménagement des délais concernent non seulement les autorisations d’urbanisme mais aussi les certificats d’urbanisme et les procédures de récolement prévues à l’occasion de l’achèvement des travaux de construction ou d’aménagement.

Le mécanisme n’empêche pas l’administration de continuer à instruire les demandes d’autorisation d’urbanisme

En deuxième lieu, ces mesures s’appliquent à la fois aux délais d’instruction et aux délais impartis aux administrations « pour émettre un avis ou donner un accord dans le cadre de l’instruction d’une demande ou d’une déclaration mentionnée à l’alinéa précédent » (art. 12 ter alinéa dernier de l’ordonnance du 2020-306). Le nouveau dispositif gouvernemental a l’avantage d’englober ainsi toute la chaîne de l’instruction. On regrettera qu’il n’ait toutefois pas visé explicitement le délai imparti à l’administration pour notifier au pétitionnaire des pièces manquantes.

En troisième lieu, en ce qui concerne les procédures de consultation et de participation du public, l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit que les délais prévus pour la consultation ou la participation du public sont suspendus jusqu’au 30 mai 2020.

Quelle est l’incidence de la crise sanitaire sur la purge des autorisations d’urbanisme ?

En ce qui concerne les délais de recours des tiers et du Prefet, l’article 12 bis à l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 impose de distinguer, comme en matière d’instruction des autorisations d’urbanisme, la suspension des délais en cours et le report de délais n’ayant pas commencé à courir.

La première hypothèse est celle de la suspension du délai de recours. Si, du fait d’un affichage déjà opéré sur le terrain, le délai de recours des tiers était ouvert à la date du 12 mars 2020, il est suspendu du 12 mars au 24 mai. Le délai de recours reprendra son cours à compter du 24 mai 2020 uniquement pour la durée qui restait à courir avant sa suspension. De plus, si le délai de recours restant à courir à la date du 12 mars est inférieur à 7 jours, il recommencera à courir à compter du 24 mai pour 7 jours, soit jusqu’au 30 mai 2020. À la faveur de cette règle, aucun délai de recours ouvert à la date du 12 mars 2020 ne peut donc expirer avant le 30 mai 2020.

La seconde hypothèse est celle du report du délai de recours. L’affichage de l’autorisation sur le terrain est intervenu le 12 mars 2020 ou après cette date mais avant la fin de l’état d’urgence (24 mai 2020). L’article 12 bis de l’ordonnance 2020-306 prévoit que le délai de recours débutera dès la fin de l’état d’urgence, donc à la date du 24 mai.

Il faut préciser, en premier lieu, que l’article 12 bis ne s’applique qu’aux recours engagés contre des autorisations ou décisions de non-opposition. Dès lors, les recours engagés contre des refus sont «prolongés» jusqu’au 24 août 2020 si ces délais de recours devaient normalement expirer entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020.

En second lieu, en l’état actuel des textes, l’article 12 bis ne concerne pas le délai de retrait des autorisations d’urbanisme accordées, dont la purge est pourtant extrêmement importante pour la régularisation de ventes et l’engagement de travaux. Le retrait d’une autorisation d’urbanisme est possible dans un délai de 3 mois à compter de la date de la décision concernée (tacite ou explicite), en application de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme. Faute d’entrer dans le champ d’application de l’article 12 bis, le délai de retrait d’un permis de construire ou d’aménager continue de relever de l’article 7 de l’ordonnance du 25 mars 2020 selon lequel : « les délais à l’issue desquels une décision […] peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la période mentionnée au I de l’article 1 er » (de l’ordonnance 2020-306). Autrement dit, en matière de retrait, les délais sont suspendus ou reportés en référence à la date du 24 juin 2020.

Prenons un exemple. Un permis de construire est délivré le lundi 2 mars 2020 (date de la signature). Il est notifié le mercredi 4 mars (date de réception de l’arrêté) et affiché sur le terrain le jeudi 5 mars. Le délai de recours des tiers étant un délai franc, il débutera le lendemain de son affichage sur le terrain, donc le vendredi 6 mars à 0h00. Le 12 mars à 0h00, le délai sera suspendu en application de l’article 12 bis de l’ordonnance du 25 mars 2020. À cette date, 6 jours francs se seront écoulés. Le délai de recours sera en mesure de reprendre le 24 mai 2020 pour la durée restant à s’écouler, soit 2 mois moins 6 jours. Selon nos calculs, le permis de construire sera donc purgé de recours le 17 juillet 2020 à minuit.

Le délai de retrait de ce permis commence quant à lui à courir à la date de sa signature, soit le 2 mars et devait normalement se terminer le 2 juin 2020. Ce délai de retrait sera donc suspendu le 12 mars à 0 h 00. À cette date, 10 jours sont écoulés. Le délai de retrait ne reprendra qu’à compter du 24 juin pour 3 mois moins 10 jours. Selon nos calculs, le permis de construire sera dans ce cas purgé du retrait… le 14 septembre 2020.

La situation manque tout autant de cohérence pour les autorisations accordées depuis le 12 mars. Il convient donc d’espérer que l’ordonnance du 25 mars 2020 soit modifiée sur ce point afin que le régime de suspension des délais de retrait des autorisations d’urbanisme soit aligné sur celui des délais de recours.

Quelle est l’incidence de la crise sanitaire sur les autres délais en matière d’urbanisme ?

Une autre catégorie d’actes d’urbanisme fait l’objet de dispositions spécifiques : les décisions de préemption. L’article 12 quater de l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit que les délais afférents à ces procédures sont suspendus ou reportés à la date du 24 mai 2020.

Tous les autres délais (délai de validité d’une autorisation, délai imparti au préfet pour s’opposer au caractère exécutoire d’un schéma de cohérence territoriale…) sont régis par les mesures générales prévues par l’ordonnance du 25 mars 2020 et plus spécifiquement ses articles 2, 3 et 7.

À titre d’exemple, en ce qui concerne le délai de recours des tiers comme du représentant de l’État à l’encontre d’un plan local d’urbanisme, il est automatiquement « prolongé » jusqu’au 24 août 2020, si ce délai de recours devait normalement expirer entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020.

Le délai de validité des autorisations d’urbanisme venant à échéance entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 est automatiquement prolongé jusqu’au 24 août 2020. Le dispositif ainsi institué est un vrai casse-tête tant les délais modifiés sont différents selon le type d’acte en cause.

Jean-François Rouhaud
Avocat associé Spécialisé en droit public et en droit immobilier
Cabinet Lexcap