Couverture du journal du 01/04/2025 Le nouveau magazine

GRAND FORMAT. Sécurité des aliments : une croissance « stellaire » pour le dinardais Kersia

Depuis son siège social de Dinard (35), Kersia s’est imposé comme un spécialiste de la sécurité des aliments à chaque maillon de la chaîne, de la production agricole à la restauration hors domicile, en passant par l’industrie agroalimentaire. Son objectif : prévenir la contamination des aliments par les microbes grâce à des solutions incluant des produits de nettoyage et désinfection. Avec un chiffre d’affaires de 575 millions d’euros en 2024, l'entreprise - émanation du groupe Roullier, indépendante depuis 2016 - opère dans un marché mondial estimé à 23 milliards d’euros. Sa croissance est constante. Avec 2 218 collaborateurs et un réseau de 15 000 clients, Kersia distribue ses produits dans près de 120 pays. Rencontre avec Sébastien Bossard, son PDG.

Sébastien Bossard, PDG de Kersia à Dinard (35)

Sébastien Bossard, PDG de Kersia à Dinard (35) ©7Jours/Didier Echelard

Arrivé en 2005 au sein d’Hypred, alors filiale du groupe Roullier, devenue Kersia en 2018, Sébastien Bossard est un homme empathique. C’est son profil de personnalité qui le dit, et on veut bien le croire. Un chef d’entreprise qui parle en rêves : « Mon rêve, c’est notre trajectoire de croissance : en 2030, j’aimerais franchir la barre du milliard d’euros de chiffre d’affaires. Je pense qu’avec ce qui a été engagé et un peu de chance on devrait l’atteindre. »

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À la tête de l’entreprise depuis plus de dix ans, le Choletais d’origine est un homme précis, qui choisit ses mots avec soin. Lorsqu’on lui demande s’il mène une mission de santé publique, il ne tranche pas catégoriquement : « Presque. » Le sujet est trop sérieux pour être approximatif. « L’usage de nos produits dépend d’un tiers pour la mise en œuvre de notre solution. S’il ne l’applique pas correctement, alors le bénéfice s’en trouve largement réduit. »

Le groupe s'adresse à trois marchés principaux : les agriculteurs, les industriels de l’agroalimentaire et des boissons et la restauration hors domicile

Le groupe s’adresse à trois marchés principaux : les agriculteurs, les industriels de l’agroalimentaire et des boissons et la restauration hors domicile ©Emmanuel Pain

Agriculture, industrie, restauration

Le métier de Kersia, en résumé, est de protéger la chaîne alimentaire pour garantir la sécurité des aliments jusqu’au consommateur final. Cette chaîne s’étend de la production agricole à l’industrie agroalimentaire et des boissons, en passant par la restauration hors domicile. Et dès qu’un aliment est consommé hors du domicile, le risque de contamination microbienne existe. Kersia met tout en œuvre avec ses clients pour faire en sorte que cette contamination n’arrive pas, quelles que soient les étapes de la chaîne alimentaire.

Le groupe s’adresse à trois marchés principaux. Les agriculteurs représentent 30 % de l’activité. Kersia leur propose des solutions incluant des produits de nettoyage, de désinfection et des compléments alimentaires pour les animaux, permettant, entre autres, de limiter l’usage des antibiotiques. Pour les industriels de l’agroalimentaire et des boissons (56 % de l’activité) ; et la restauration hors domicile (7 %) – qu’il s’agisse de restauration rapide, traditionnelle ou collective (cantines scolaires, hospitalières, d’entreprise, etc.) -, le groupe fournit des solutions incluant produits de nettoyage et de désinfection des lieux, du matériel et des mains des opérateurs, pour toutes les étapes de la chaîne, du stockage à la livraison, en passant par la production.

Le métier de Kersia, en résumé, est de protéger la chaîne alimentaire pour garantir la sécurité des aliments jusqu’au consommateur final.

« Il est important de distinguer la sécurité des aliments de la sécurité alimentaire. La sécurité alimentaire concerne la production d’une denrée et sa qualité nutritionnelle. La sécurité des aliments, elle, garantit que cette denrée est propre à la consommation. Un aliment peut être nutritionnellement parfait, mais s’il est contaminé par des bactéries comme Salmonella ou E. coli, il devient dangereux, voire mortel. »

Si la responsabilité finale incombe aux industriels qui appliquent les protocoles, Kersia propose des services pour aider à la bonne utilisation de ses solutions. « C’est là que réside notre valeur ajoutée. » Près de 50 % des 2 218 collaborateurs sont des technico-commerciaux, dotés d’une formation scientifique. « Ce niveau d’expertise est deux fois supérieur à celui de nos concurrents. »

Sébastien Bossard, un échec marquant qui vous a permis de rebondir ?

« Contrairement à ce que l’on pourrait croire, mon parcours dans l’entreprise n’a pas été linéaire. Lorsque nous étions encore dans le groupe Roullier, le fondateur, avec qui j’ai travaillé longtemps et pour qui j’ai un immense respect, était un dirigeant exigeant, capable de décisions déroutantes.

Alors que j’étais directeur général de l’Europe après avoir dirigé la France, il m’a subitement retiré cette responsabilité en me disant : « Vous n’êtes pas fait pour ça ». Les résultats n’étaient pas à la hauteur de ses attentes. Il m’a rétrogradé, me réattribuant la direction de la France. J’ai vécu cela comme un échec et envisagé de quitter l’entreprise. Une énorme claque. Mais j’aimais les équipes et nos métiers. J’ai donc décidé de rester et de m’investir pleinement dans cette nouvelle mission. Résultat : j’ai pu contribuer auprès des équipes à poursuivre une belle croissance de notre filiale française.

« Ce qui ne te tue pas te rend plus fort. » Je répète souvent à mes enfants que c’est dans l’inconfort que l’on apprend le plus, que ce soit dans la vie professionnelle, éducative ou sportive. »

Face aux géants, Kersia est de taille

Depuis 2016, point de départ de son accélération, Kersia est passée de 80 millions d’euros de chiffre d’affaires et 400 collaborateurs à 575 millions et 2 218 personnes en 2024. Depuis la cession de la participation d’Ardian en 2020, la structure du capital de Kersia est dominée à 86 % par le fonds d’investissement suédois IK Partners. Le reste du capital (14 %) est contrôlé par le management, dont 4 % en direct (soit le double du premier LBO) et 10 % via la holding « Les Amis de Kersia ». Cette dernière regroupe des investisseurs institutionnels comme Unigrain, Sofiproteol, UI Investment et SG Capital (Société Générale).

Autrefois concentrée à 80-90 % sur l’Europe, l’entreprise a mené une expansion stratégique qui a réduit cette part à moins de 60 %, lui permettant de s’imposer sur de nouveaux territoires et grignoter des parts de marché à ses principaux concurrents. Sur le marché mondial, deux géants américains dominent : Ecolab (18 milliards de dollars de chiffre d’affaires) et Solenis – Diversey (6 milliards de dollars de chiffre d’affaires).

Depuis 2016, point de départ de son accélération, Kersia est passée de 80 millions d’euros de chiffre d’affaires et 400 collaborateurs à 575 millions et 2 218 personnes en 2024.

Ces entreprises sont des généralistes de l’hygiène, couvrant des secteurs aussi variés que l’hospitalier, l’industrie de la papeterie ou le nettoyage de bureaux. Chez Kersia, 94 % du chiffre d’affaires est dédié à la sécurité des aliments, contre seulement 12 % et 13 % chez ses concurrents.

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Aujourd’hui, Kersia est en mesure de proposer ses solutions aux plus grandes entreprises mondiales comme Heineken, Lactalis ou General Mills ou Coca-Cola. Un accès qui, il y a encore trois à quatre ans, restait difficile, selon son président, avec un chiffre d’affaires plus modeste (300-400 millions). « Fin 2024, après des années d’efforts, Coca-Cola nous a contactés. Jusqu’ici, ils nous jugeaient trop petits ou ne comprenaient pas notre positionnement. Aujourd’hui, les discussions sont en cours. Nous souhaitons intégrer leur réseau. »

En parallèle, le marché compte aussi des acteurs régionaux ou nationaux, présents sur des segments spécifiques (élevage, industrie agroalimentaire, restauration) et concentrés sur leur territoire.

Dans une récente consultation « Bien-être au travail », 93% des collaborateurs déclarent qu’ils recommanderaient Kersia ©Emmanuel Pain

Une croissance fulgurante et ses risques

La croissance de Kersia repose en grande partie sur la croissance externe, avec une quinzaine d’acquisitions en huit ans. La très grande majorité de ces acquisitions étaient des entreprises familiales.

« Nous sommes une ancienne filiale d’un groupe familial breton. Nous avons cela dans notre ADN. Nous sommes définitivement des entrepreneurs et adorons le mindset entrepreneurial-familial. Des entreprises familiales, dans notre environnement, qui ont des problèmes de succession ou qui veulent continuer de croître, mais qui ne savent pas comment et qui ont besoin d’un grand frère ou d’une maison dans laquelle être accueilli pour pouvoir continuer, il y en a plein. »

Cette ascension rapide s’accompagne d’un défi : l’adhésion des équipes au changement. Avec une croissance organique moyenne de 9 % par an, soit presque le double du marché (5 %), « le voyage peut être fatigant ». L’enjeu est donc de veiller à ce que les collaborateurs comprennent et suivent cette transformation.

À chaque acquisition, les nouveaux cadres suivent un processus d’intégration structuré, incluant une évaluation de leur profil de communication. L’objectif : « mieux se connaître pour éviter les incompréhensions ». Kersia s’est également associé à l’ONG Ashoka, leader en entrepreneuriat social, pour former ses collaborateurs à devenir acteurs du changement. Avec ce programme, qui encourage l’impact positif environnemental, sociétal et interne, Sébastien Bossard ambitionne de former 15 % des effectifs afin d’accompagner le groupe dans l’évolution de son business model vers l’économie de la fonctionnalité. Une communauté interne, « Committed and Different », a ainsi émergé avec 70 salariés formés en trois ans.

Sébastien Bossard : « Ma particularité dans mon métier de CEO : un parcours scientifique »

« J’ai obtenu un bac D avant d’intégrer l’École supérieure d’agriculture d’Angers, où je me suis spécialisé en innovation et management. J’ai ensuite passé huit ans au sein du groupe coopératif Terena, en tant que responsable R & D.

En 2005, j’ai rejoint Kersia, où j’ai gravi les échelons : d’abord directeur commercial France, puis directeur général France, ensuite France-Benelux, puis Europe, jusqu’à en prendre la présidence en juillet 2014. Mon parcours scientifique m’a permis de piloter diverses fonctions – commerce, innovation, réglementation. Cette vision globale est essentielle pour dialoguer avec les différents acteurs de l’entreprise, notamment au sein du comité exécutif, où 50 % des membres ont une formation scientifique. »

Depuis 2016, point de départ de son accélération, Kersia est passée de 80 millions d’euros de chiffre d’affaires et 400 collaborateurs à 575 millions et 2 218 personnes en 2024

Depuis 2016, point de départ de son accélération, Kersia est passée de 80 millions d’euros de chiffre d’affaires et 400 collaborateurs à 575 millions et 2 218 personnes en 2024 ©Emmanuel Pain

L’expansion internationale

Kersia est présent directement dans une cinquantaine de pays et distribue ses produits dans près de 120 pays. Au cours des quatre dernières années, le groupe s’est étendu dans des régions où il n’était pas encore présent, notamment en Asie du Sud-Est et dans la zone APAC. L’entreprise a ouvert des bureaux et des usines en Chine, aux Philippines, au Vietnam et en Australie, consolidant ainsi sa présence sur ces marchés à fort potentiel. En Asie du Sud-Est, d’autres pays restent à conquérir, tels que l’Indonésie ou la Malaisie.

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Les prochaines cibles de développement sont l’Amérique du Nord et centrale : Mexique, États-Unis, Canada. « Contrairement à ce qu’on pense, les États-Unis sont assez mal dotés en solutions, et le cas de McDonald’s l’année dernière le montre (une bactérie E. coli présente dans des hamburgers a fait un mort et des dizaines de malades, ndlr) »

Autrefois concentrée à 80-90 % sur l’Europe, l’entreprise a mené une expansion stratégique qui a réduit cette part à moins de 60 %

Autrefois concentrée à 80-90 % sur l’Europe, l’entreprise a mené une expansion stratégique qui a réduit cette part à moins de 60 % ©Emmanuel Pain

Anticiper l’évolution des marchés et des réglementations

Le risque ne cesse de croître. Chaque degré supplémentaire sur la planète augmente de 12 % le risque de contamination par la salmonelle dans la chaîne alimentaire. « Il faut s’organiser pour qu’il y ait des contre-feux. »

L’innovation est un levier essentiel pour Kersia, à la fois pour répondre aux exigences réglementaires (53 % des projets) et pour développer des solutions de rupture (47 %), comme la désinfection sèche sans eau. Kersia investit dans un nouveau centre d’excellence en Belgique, qui accueillera notamment des équipes de recherche & développement, un centre de formation et des équipes engineering. Montant de l’opération ? « Secret. Plusieurs millions d’euros. »

Scrutées par le groupe, notamment par le biais d’organisation comme la Food and Agriculture Organization, la FAO, les tendances de consommation évoluent, notamment avec la réduction des protéines animales dans les pays développés. Cette transformation impacte directement les solutions d’hygiène, car les procédés industriels varient selon la nature des protéines utilisées (animales ou végétales). À l’échelle mondiale, cependant, la demande en viande rouge reste en croissance, notamment en Afrique et en Asie, où les apports en protéines animales restent insuffisants.

« Nous sommes définitivement des entrepreneurs et adorons le mindset entrepreneurial-familial. »

En parallèle, la pression réglementaire s’intensifie partout dans le monde. « Ces dix dernières années, tous les pays du monde se sont dotés de barrières réglementaires. Les plus dures sont celles de l’Europe. Ce qui nous confère un avantage concurrentiel puisque nous savons anticiper des réglementations exigeantes. »

Aujourd’hui, Kersia est en mesure de proposer ses solutions aux plus grandes entreprises mondiales comme Heineken, Lactalis ou General Mills ou Coca-Cola

Aujourd’hui, Kersia est en mesure de proposer ses solutions aux plus grandes entreprises mondiales comme Heineken, Lactalis ou General Mills ou Coca-Cola ©Emmanuel Pain

Les réseaux de Sébastien Bossard

Membre du Club ETI Bretagne.

Membre du réseau METI.

Président de Fédération de l’hygiène et de l’entretien responsable, depuis 2016.

Membre du LBO Club.

Durabilité, biotechnologies et intelligence artificielle

Pour faire face à ces bouleversements, Kersia a développé une Sustainability Matrix, permettant d’évaluer ses produits selon des critères réglementaires, environnementaux (empreinte carbone, consommation d’eau) et sociétaux. « Notre métier nécessite des produits chimiques, en partie. Mais nous sommes en mesure d’anticiper sur 5 à 10 ans les substances à risque, celles à éliminer et par quoi les remplacer. Surtout, nous adaptons la formulation de nos produits pour répondre précisément aux attentes de nos clients, avec des formules de produits contenant des ingrédients issus de végétaux ou des produits qui ont une empreinte carbone, par exemple et/ou un usage d’eau, qui soit la plus modérée possible », développe Sébastien Bossard. D’où un partenariat récent avec Axioma, un spécialiste des principes actifs d’origine végétale.

Le siège dinardais du groupe

Le siège dinardais du groupe ©Emmanuel Pain

L’innovation ne se limite pas à la chimie : Kersia investit dans les biotechnologies avec un laboratoire au Canada et une banque de 2 000 souches de bactéries, visant notamment des applications agricoles en alternative aux solutions chimiques.

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L’intelligence artificielle joue également un rôle clé, en exploitant les données clients pour optimiser les processus et les performances des produits. « Si une vache présente un comportement inhabituel, nous alertons l’éleveur. Nous recommandons alors un traitement préventif avec des indications précises sur la dose et la durée d’application. » Un modèle, en test depuis quatre ans, qui permet de passer d’une facturation au poids des produits à un abonnement mensuel par animal.

Au-delà de ces innovations, Sébastien Bossard porte « un vieux rêve » : que le consommateur puisse, en scannant un produit avec son smartphone, accéder instantanément à des informations claires, telles que les contrôles sanitaires réalisés, et son empreinte environnementale. « Ainsi, il saura non seulement que l’aliment est sûr pour sa santé, mais aussi qu’il a un impact positif sur la planète. »