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Droit à l’oubli : que deviennent nos données après la mort ?

Facebook, Instagram, Twitter, mails... Nos données personnelles fourmillent sur le web. Tout au long de notre vie, les traces numériques que nous laissons posent la question de leur conservation et leur devenir, notamment en cas de décès. Que deviennent les données d'un proche défunt ? Peut-on intervenir sur leur suppression ? Que prévoit la loi ? Maître Annabelle Gennot-Caille, membre de la Chambre des notaires d'Ille-et-Vilaine, nous apporte un éclairage en matière de droit.

Maître Annabelle Gennot-Caille, membre de la Chambre des notaires d'Ille-et-Vilaine, données

Maître Annabelle Gennot-Caille, membre de la Chambre des notaires d'Ille-et-Vilaine ©DR

Pourquoi le sujet de la mort numérique est important ?

Selon la Cnil, (Commission nationale de l’informatique et des libertés), 8 000 personnes inscrites sur Facebook décèdent chaque jour dans le monde. Une étude menée par l’Université d’Oxford révèle qu’en 2070, il y aurait plus de comptes Facebook de défunts que de vivants. Le numérique conserve toutes nos traces, et peut même continuer, au besoin, à les répliquer. On ne le rappellera jamais assez mais la vigilance est de mise sur Internet et mieux vaut réfléchir à deux fois avant de partager ou publier ses données.

Le devenir des données personnelles d’une personne décédée représente un véritable enjeu de société tant au niveau éthique que juridique. Bien que le sujet ne fasse pas encore partie des préoccupations de nos clients, nous sommes de plus en plus confrontés à ce type d’interrogations, et cela va s’amplifier dans les années à venir. En effet, les générations qui décèdent généralement n’étaient pour l’instant que très peu présentes sur les réseaux sociaux. On s’attend à ce que cette problématique devienne beaucoup plus présente d’ici cinq à dix ans. Il faudra alors apporter des réponses aux citoyens.

Internet dans le monde

Sur 7,83 milliards d’individus sur la planète, on recense : 4,66 milliards d’internautes

Soit 61% de la population mondiale et 80% de la population française

6h54 c’est la durée moyenne quotidienne du temps passé sur Internet

Source : Digital Report 2021

Qu’est-ce que le droit à l’oubli ?

Il ne suffit pas de supprimer votre compte pour que vos données personnelles disparaissent d’internet. Pour pouvoir le faire, le RGPD (Règlement général sur la protection des données personnelles), texte de référence à l’échelle de tous les pays de l’Union européenne, prévoit le droit à l’oubli (ou droit à l’effacement). Il permet d’obtenir d’un responsable de traitement, la suppression de ses données personnelles sur internet.

Autrement dit, c’est l’obligation pour un moteur de recherche de supprimer des liens ou des pages web contenant des informations en lien avec cette personne.

Si vous apparaissez sur une page web, et que vous estimez que ce contenu vous porte préjudice, vous pouvez demander à supprimer cette page. Il existe deux types de suppression de données. Le « déréférencement » permet de supprimer le lien d’une page qui n’apparaîtra plus dans les résultats des moteurs de recherche et ne sera plus référencé. Attention, la page, elle, existera toujours. L’effacement va permettre quant à lui la suppression pure et simple des pages web.

Le conseil de Maître Gennot-Caille

Pour faire valoir votre droit à l’oubli de votre vivant, vous devez contacter le moteur de recherche ou le responsable du site le plus souvent via un formulaire prévu à cet effet. En cas de refus ou absence de réponse, il est possible de saisir la Cnil. Armez-vous de patience car ces démarches sont souvent longues et laborieuses.

Demandez conseil à votre notaire qui saura vous accompagner pour les recours auprès des organismes.

Quel sort pour les données après la mort ?

Lorsqu’une personne décède, ses comptes continuent d’exister. Celle-ci ne pouvant plus gérer son identité numérique, il est impossible d’effacer les publications, de récupérer les photos, ou même de supprimer ses différents profils. Même si ses proches ont accès à ses identifiants, la loi ne permet pas qu’ils interviennent directement dessus. Si rien n’est fait, ces données sont donc figées dans l’espace numérique, mais peuvent aussi être atteintes.

Seule une demande de la part des héritiers auprès des hébergeurs ou plateformes peut exiger une actualisation des données personnelles du défunt, afin de préserver sa mémoire et de protéger sa vie privée. Ils ont le droit de refuser que les profils d’un proche lui survivent et donc, faire fermer ses comptes.

Sur les réseaux sociaux, il est très compliqué de faire la différence entre un profil inactif qui serait dû à un abandon par son propriétaire ou à son décès. Les responsables de sites ne peuvent donc pas supprimer ces profils sans en connaître la cause. Pour autant, la grande majorité des réseaux sociaux se sont organisés pour prendre en compte le décès d’une personne. Dans une telle situation, il vous faudra alors rechercher l’information concernant la gestion des comptes des personnes décédées sur chaque réseau. C’est fastidieux mais indispensable. Par exemple, Facebook propose aux proches de transformer la page du défunt en page commémorative appelée « Memorial », ce qui permet aux familles et amis de se recueillir.

Le conseil de Maître Gennot-Caille

Si vous êtes confronté à la situation d’un proche décédé, et que vous n’obtenez pas gain de cause concernant le traitement de ses données, vous pouvez saisir les tribunaux pour demander réparation pour le préjudice subi. Vous avez également la possibilité de saisir les tribunaux, en tant qu’héritier, si les données personnelles du défunt sont utilisées et portent atteinte à sa mémoire, son honneur ou sa réputation.

Quelles sont les dispositions à prendre en amont ?

Pour compléter les règles déjà présentes dans la loi Informatique et libertés, qui comprend notamment le droit à l’oubli, la France a souhaité adapter la législation avec la loi pour une République numérique en 2016. Il est désormais possible d’organiser de son vivant l’effacement de ses données.

Selon l’article 85, toute personne peut définir des directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès. Elle peut également désigner une personne qui prendra connaissance de ces directives et les exécutera. On la nomme « tiers de confiance numérique certifié ». À défaut de désignation, ses héritiers disposent des mêmes droits, à moins que des directives contraires aient été données par le défunt.

Actuellement, ce droit nouveau est encore méconnu et très peu exercé. La loi française devrait évoluer dans les années à venir pour apporter des précisions afin de permettre aux Français de s’emparer du sujet. Le notaire joue un rôle dans la bonne transmissibilité des données numériques puisqu’il peut sensibiliser un client sur les enjeux d’une transmission de ses identités numériques, notamment au moment de la rédaction de son testament.

Le conseil de Maître Gennot-Caille

Pensez au testament pour donner des directives concernant vos données à caractère personnel. Par nature, ce document est destiné à consigner les directives post-mortem, avec des conditions de validité parfaitement fixées. Vous devrez pouvoir y recenser l’ensemble de vos comptes et vos mots de passe liées afin que vos héritiers puissent gérer le sort de vos données. Vos directives seront ainsi conservées et enregistrées auprès du fichier des dispositions de dernières volontés, chez votre notaire.

Comment traiter l’héritage digital à l’avenir ?

Le numérique a changé le rapport de l’homme au temps, il n’y a plus de frontières et les données deviennent virtuellement éternelles, à quelques rares exceptions. Elles sont stockées, sans perte de qualité, et pour une durée indéterminée.

Les enjeux pour le droit sont vastes. L’impact de la digitalisation sur le droit des successions et le risque d’une forme d’immortalité numérique sont grands.

La législation doit impérativement évoluer et veiller à ce que l’homme ne s’efface pas derrière la technologie. Elle doit adapter ses règles dans une logique d’harmonisation entre les règles du monde physique et celles du monde virtuel.

Pour répondre à ces enjeux, les notaires s’emploient à répondre à la question de l’équilibre entre le droit des personnes et le monde numérique. En septembre 2021, le 117e Congrès des notaires de France a proposé des règles de droit adaptées au numérique. L’objectif étant de donner les clés aux pouvoirs publics pour mettre en place de nouveaux dispositifs juridiques mieux adaptés aux enjeux sociétaux.

La protection des données en France

76% des Français se disent préoccupés par la collecte de leurs données 29% affirment même que cela les préoccupe beaucoup 50 % des Français acceptent les conditions RGPD sans même les lire.

Source : Odoxa 2019

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