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EXPERTISE. De l’infraction à la réparation : le parcours des victimes

Les victimes d'infractions, longtemps négligées dans le système pénal français, ont progressivement gagné une reconnaissance et une place de plus en plus importante à chaque étape de la procédure pénale. Cette évolution, visant à offrir une protection accrue, soulève la question essentielle de l'information effective sur les droits des victimes, illustrée par l'article 10-2 du Code de procédure pénale, qui oblige les forces de l'ordre à les informer de manière plus complète. Il est donc crucial de faire un point sur ces droits, qu'ils soient récents ou plus anciens. Par Mélissa Mariau et Thomas Dubosquet, avocats au barreau de Rennes (35).

Mélissa Mariau et Thomas Dubosquet, avocats au barreau de Rennes (35)

Mélissa Mariau et Thomas Dubosquet, avocats au barreau de Rennes (35) ©DR

La notion de victime

Le vocabulaire juridique désigne la victime comme étant « celui ou celle qui subit personnellement un préjudice par opposition à celui ou celle qui le cause. » (Vocabulaire juridique CORNU, Association Henri Capitant, Presses universitaires de France). Une victime est donc toute personne qui a souffert du dommage causé par une infraction (par exemple homicide, viol, agression physique et sexuelle, harcèlement, escroquerie, abus de confiance, vol, acte de terrorisme…).

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Il peut s’agir de la personne qui a directement subi les faits ou d’un de ses proches (par exemple, un proche d’une victime d’homicide). Quant au « préjudice » subi, ce dernier peut prendre les formes les plus diverses, qu’il s’agisse d’un dommage physique, moral, matériel (dommage commis sur un bien), financier.

L’infraction de violences, l’une des plus connues, voit par ailleurs son champ d’application de plus en plus étendu, à l’image des violences économiques, qu’une juridiction peut retenir par exemple à l’encontre d’une personne isolant son conjoint en l’empêchant de disposer de ses moyens de paiements.

Premiers réflexes à avoir

  • Constituer des preuves de l’infraction et de son ampleur (photographies, conservations d’échanges avec l’auteur tels que des sms, mails…)
  • Sauf dommages purement matériels, consulter dès que possible un médecin pour faire constater les dommages physiques et moraux,
  • Consulter un avocat en droit des victimes (au Barreau de Rennes, le groupe de défense des victimes d’infractions pénales est joignable 7 jours/7, de 10h à 20h, au 06 27 47 81 37 et 06 27 47 81 47).

L’enquête

À l’inverse de pays tels que les États-Unis, la justice française peut poursuivre l’auteur d’une infraction indépendamment du dépôt d’une plainte ou de son retrait. Dans le cadre des violences intrafamiliales (VIF), seul le dépôt de plainte est possible ; une déclaration de main courante, acte purement déclaratif, ne sera pas rédigée.

Dans de nombreux cas, une enquête peut dès lors être ouverte sans intervention préalable de la victime, cette dernière étant auditionnée ultérieurement. À défaut, la victime a la possibilité de faire ouvrir une enquête en déposant plainte.

Le cas le plus fréquent est la plainte simple, déposée directement auprès des forces de l’ordre (Police ou Gendarmerie). Les forces de l’ordre sont obligées de la prendre si les faits constituent une infraction. La victime peut être accompagnée d’un avocat ou de toute personne de son choix. En cas de violences physiques, un médecin, contacté par les forces de l’ordre, constate les blessures et évalue également l’état psychologique de la victime.

À ne pas confondre : la déclaration de main courante permet de constater des faits à un instant donné, sans engager de poursuites pénales. C’est un acte déclaratif qui sert à établir un contexte, contrairement au dépôt de plainte qui peut entraîner des poursuites.

➢ Plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des Juges d’instruction. Elle permet à une victime de saisir directement un juge d’instruction et demander l’ouverture d’une enquête appelée « information judiciaire ». Elle lance une action pénale et une action civile, qui permet de demander une indemnisation.

Elle est possible dans trois situations : si la plainte simple a été classée sans suite, la victime doit ici transmettre le courrier du procureur indiquant son refus d’engager des poursuites ; si la plainte simple est restée sans réponse du Procureur de la République à l’issue d’un délai de trois mois ; lorsqu’une infraction constitue un crime.

➢ Citation directe

La citation directe est une procédure pénale où la victime, ayant subi un dommage, fait citer directement l’auteur devant le Tribunal (de police pour les contraventions, correctionnel pour les délits), sans enquête préalable ou après un classement. Elle est possible uniquement pour contraventions et délits.

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2) Le déroulé de l’enquête

L’enquête peut être :

En flagrance : lorsqu’elle commence immédiatement ou peu après la commission de l’infraction. En préliminaire : lorsque l’enquête démarre après un certain délai, souvent suite à un dépôt de plainte.

Sous l’autorité du Procureur, les forces de l’ordre mènent les investigations nécessaires (auditions, perquisitions, analyses téléphoniques, etc.). Des confrontations entre la victime et l’auteur présumé peuvent avoir lieu.

Durant l’enquête, la victime n’a pas accès au dossier, hormis le récépissé du dépôt de plainte et éventuellement un certificat médical. Elle ne peut consulter l’intégralité du dossier qu’après la décision du Parquet.

3) Les suites possibles d’une enquête judiciaire

Renvoi devant une juridiction de jugement : Si les preuves sont suffisantes, l’affaire est envoyée devant le Tribunal de Police (pour une contravention) ou le Tribunal Correctionnel (pour un délit). Ouverture d’une instruction : Obligatoire pour les crimes et possible pour certains délits complexes. Un juge d’instruction mène l’enquête, pouvant durer plusieurs mois à plusieurs années. Si les charges sont suffisantes, l’affaire est jugée devant le Tribunal Correctionnel ou la Cour d’Assises. Mesure alternative aux poursuites : Pour les infractions mineures, le Procureur peut proposer une sanction alternative (ex. composition pénale), évitant un procès. La victime peut demander réparation. Classement sans suite : L’enquête est arrêtée faute de preuves suffisantes, mais elle peut être relancée en cas de nouveaux éléments. La victime peut contester cette décision via une plainte avec constitution de partie civile ou une citation directe.

L’audience et la constitution de partie civile

Lorsqu’une affaire est renvoyée devant le Tribunal correctionnel (délits) ou la Cour d’Assises/Cour Criminelle (crimes), la victime est informée et peut se constituer partie civile.

1. Qu’est-ce que la constitution de partie civile ?

C’est une démarche permettant à la victime d’être reconnue comme partie au procès et de demander réparation pour son préjudice.

2. Comment se constituer partie civile ?

Par un avocat. Directement par la victime, soit par courrier recommandé, soit oralement à l’audience.

3. Pourquoi se constituer partie civile ?

Pour avoir accès au dossier pénal et faire des observations à l’audience. Pour demander des dommages et intérêts (préjudices physiques, moraux, financiers). Il est important de fournir des justificatifs (certificats médicaux, attestations, bulletins de salaire, etc.) pour maximiser l’indemnisation.

4. Déroulement de l’audience

Le Tribunal statue sur deux aspects :

L’action publique : déterminer la culpabilité de l’accusé et la peine à appliquer.

L’action civile : décider de l’indemnisation de la victime. Dans la plupart des cas, ces deux décisions sont prises lors de la même audience. Toutefois, l’examen des demandes indemnitaires peut être reporté à une audience ultérieure.

La constitution de partie civile permet à la victime d’être entendue lors d’un procès ou d’une procédure, sans obligatoirement demander des dommages et intérêts.

Les suites de l’audience

Une fois la condamnation prononcée, la victime peut obtenir son indemnisation par plusieurs moyens :

Directement auprès de l’auteur ou via son avocat. Si l’auteur est mineur, ses parents doivent payer certains préjudices. Par un Commissaire de Justice (ex-Huissier), mais les frais sont à la charge de la victime. Par des organismes spécialisés : le Service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions (Sarvi) aide à recouvrer de petites sommes (jusqu’à 3 000 euros). Il verse une avance de 1 000 euros et récupère le reste auprès du condamné. La Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (Civi) intervient pour les préjudices graves (décès, ITT ≥ 1 mois, crimes graves). Elle indemnise sans plafond et peut accorder une expertise médicale.

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Le Sarvi et la Civi doivent être saisis sous trois ans après les faits ou un an après la décision définitive. La victime doit fournir des justificatifs pour prouver son préjudice.

Procédures parallèles en cas de violences intrafamiliales

En plus de la procédure pénale, les violences intrafamiliales peuvent entraîner :

Une ordonnance de protection délivrée par le Juge aux affaires familiales (valable 1 an). La saisine du Juge pour enfants pour protéger les enfants exposés aux violences (assistance éducative). Une procédure classique devant le Juge aux affaires familiales (ex. garde des enfants, droit de visite).

Le Groupe de défense des victimes (GDV) de Rennes

Le Groupe de défense des victimes (GDV) de l’Ordre des avocats de Rennes regroupe 72 avocats formés, dont 26 interviennent à la Maison des Femmes Gisèle Halimi. Son objectif est de conseiller, accompagner et défendre les victimes d’infractions pénales.

Permanences mises en place

Institut Médico-Légal (IML) du CHU de Pontchaillou : Mardis et vendredis de 14h à 17h (depuis le 1er septembre 2020).

Maison des Femmes : Un lundi sur deux de 9h à 12h (depuis le 23 octobre 2023).

Permanence « victimes » : 7j/7, de 10h à 20h (joignable au 06 27 47 81 37 et 06 27 47 81 47 – active depuis le 1er juin 2010).

Permanence Ordonnance de protection : disponible 7j/7.