Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Le BSA-AIR dans les levées de fonds : un Accord d’Investissement Rapide, vraiment ?

Mécanisme récent développé par les praticiens depuis une dizaine d’années, l’émission de BSA-AIR s’apparente à une levée en equity réalisée de manière différée, réputée permettre aux sociétés de bénéficier rapidement d’un financement auprès d’investisseurs.

Me Marie Chainay, avocate au barreau de Rennes ©DR

Me Marie Chainay, avocate au barreau de Rennes ©DR

Concrètement, l’opération se réalise via l’apport d’une somme d’argent immédiatement disponible par un investisseur à une société, en contrepartie de laquelle ladite société lui remet un BSA-AIR. Ce BSA-AIR permet à l’investisseur de souscrire des actions de la société et d’entrer au capital ultérieurement, lors de la survenance d’un évènement déterminé (par exemple, une première levée de fonds) ou à l’expiration de la durée de vie du BSA-AIR en l’absence de réalisation de l’évènement déclencheur, sur la base d’une valorisation décotée, permettant ainsi la réalisation d’une plus-value maximisée.

Exemple :
Soit une société au capital de 100.000 € divisé en 100.000 actions de 1 €.
En année N, un Investisseur AIR souscrit un BSA-AIR : il apporte 100.000 € et bénéficie d’une décote de 30 % sur la valorisation au prochain tour de table. Le tunnel prévoit un plancher ou floor à 1.000.000 €, et un plafond ou cap à 2.500.000 € (voir ci-après).
En année N+1, la société réalise une levée de fonds dans le cadre de laquelle la valorisation pre-money est fixée à 2.000.000 € (soit valeur nominale = 1 € et prime d’émission = 19 € / prix de souscription : 20 €) ; la société lève 500.000 €, soit 25.000 € en capital, et 475.000 € en prime d’émission.
La valorisation étant ici comprise entre nos valorisations floor et cap, on lui applique le taux de décote de 30 %, soit une valorisation fixée à 2.000.000 *70/100 = 1.400.000 €, et un prix de souscription unitaire de 14 €.
Afin de calculer le nombre d’actions auquel l’investisseur AIR peut prétendre, on soustrait la valeur nominale au prix par action AIR, afin de neutraliser son décaissement, soit 100.000 / (14-1) = 7 692.
La table de capitalisation se présente, après cette levée de fonds et l’exercice du BSA-AIR, comme suit :

Les avantages de cet outil pour les fondateurs sont régulièrement portés aux nues :
1. exit les contraintes et les lourdeurs liées aux opérations de haut de bilan classiques, parmi lesquelles :
→le seuil minimal de 75 % de souscription des augmentations de capital en actions, en deçà duquel l’opération ne peut être réalisée ;
→ le blocage des fonds levés sur un compte spécifique pendant toute la période de souscription, jusqu’à la délivrance d’un extrait K-bis à jour de l’augmentation du capital social.

2. exit le débat sur la valorisation de la société et donc sur la dilution immédiate des fondateurs et associés historiques, puisque l’émission de BSA-AIR n’entraine pas l’émission immédiate d’actions.

3. un coût faible pour la société émettrice : le BSA-AIR n’est pas un prêt, la société n’a donc aucun intérêt à payer, contrairement au mécanisme des obligations qui permet un rendement annuel aux investisseurs à la charge de la société.

4. un effet de levier : le BSA-AIR impulse une première traction permettant d’aller chercher une levée de fonds plus conventionnelle. L’apport de trésorerie qui renforce la structure financière de la société émettrice peut également faciliter l’obtention ou la négociation d’un prêt bancaire classique.

Outre son efficacité, le mécanisme parait donc également de prime abord simple et rapide, d’autant plus s’il est examiné en miroir des contraintes d’une levée de fonds classique. Vraiment ?

Dans le cadre d’une émission de BSA-AIR, il est en effet possible de déléguer au Président de la société émettrice le soin de recueillir les investissements jusqu’à un certain montant et pendant une certaine durée, et de disposer des fonds au fur et à mesure, sans avoir à attendre que le seuil de souscription de 75 % soit atteint et que les formalités modificatives soient effectuées auprès du Greffe. Le BSA-AIR n’en reste pas moins un titre donnant accès au capital, et donc soumis aux contraintes juridiques indissociables de ce type d’opérations :

– Compétence de l’assemblée générale ;
– Préparation d’une situation comptable intermédiaire si l’émission est effectuée avec une suppression du droit préférentiel de souscription (i.e. réservée aux investisseurs) et si les comptes de la société sont clos depuis plus de 6 mois à la date prévue de l’assemblée appelée à statuer sur l’émission ;
– Intervention du Commissaire aux comptes, notamment au regard de l’article L.228-92 du Code de commerce qui prévoit que l’émission de valeurs mobilières donnant accès à des titres de capital ne peut être réalisée qu’au vu d’un rapport spécial du Commissaire aux comptes ;
– Nomination d’un Commissaire aux avantages particuliers si les BSA-AIR donnent droit à la souscription d’actions dites de préférence (voir, création d’une nouvelle catégorie d’actions, et mises à jour statutaires afférentes) ;
– Préparation du rapport du Président à l’assemblée générale des associés ;
– Respect des délais de convocation fixés dans les statuts ;
– Tenue de l’Assemblée Générale (laquelle est obligatoire dès lors qu’un Commissaire intervient, sans possibilité de recourir à un acte unanime des associés permettant de se dégager des contraintes induites par la tenue d’une assemblée).

Certes, dans le cadre de l’émission de BSA-AIR, la fixation de la valorisation de la société peut être reportée à une date ultérieure. Cela exclu-t-il pour autant toute discussion sur ce terrain sensible ?

Comme nous l’avons précisé, l’intérêt du BSA-AIR pour un investisseur consiste à permettre une entrée au capital social de la société émettrice de manière différée sur la base d’une valorisation décotée, entrainant une plus-value potentielle importante : la valorisation de la société n’est pas fixée au moment de l’investissement en BSA-AIR à proprement parler, mais le risque pris par l’investisseur est récompensé par un mécanisme de décote. Or, afin de sécuriser l’opération pour l’ensemble des parties, ce mécanisme de décote est encadré en pratique par l’instauration d’un « tunnel de valorisation », qui comporte :
→une valorisation « floor » (un plancher) qui protège les fondateurs d’une dilution importante liée à un futur tour de table sur une valorisation basse, et
→ une valorisation « cap » (un plafond), qui protège l’investisseur en déterminant le pourcentage minimum auquel il pourra prétendre, quel que soit le montant de la valorisation qui sera fixée par la suite. En cas de valorisation élevée, l’investisseur optimise ainsi la valeur de son investissement.

Trois hypothèses peuvent donc advenir :
Si la valorisation pre-money après application de la décote est comprise entre la valorisation floor et la valorisation cap, elle sera retenue pour calculer le prix de souscription des actions par l’investisseur AIR ;
→ c’est le cas dans notre exemple ci-avant.
Si la valorisation pre-money après application de la décote est supérieure à la valorisation cap, on retiendra la valorisation cap pour calculer le prix de souscription des actions par l’investisseur AIR ;
→ sur la base de notre exemple précédent, si la valorisation pre-money est fixée à 4.000.000 € dans le cadre de la levée de fonds, alors la valorisation pre-money décotée est supérieure au cap (soit 4.000.000 * 70/100 = 2.800.000 €, soit > au cap fixé à 2.500.000 €), et le prix des actions souscrites par l’investisseur AIR sera calculé sur la base de la valorisation cap.
Si la valorisation pre-money après application de la décote est inférieure à la valorisation floor, on retiendra la valorisation floor pour calculer le prix de souscription des actions par l’investisseur AIR ;
→ toujours sur la base de notre exemple précédent, si la valorisation pre-money est fixée à 1.100.000 € dans le cadre de la levée de fonds, alors la valorisation pre-money décotée est inférieure au floor (soit 1.100.000 * 70/100 = 770.000 €, soit < au cap fixé à 1.000.000 €), et le prix des actions souscrites par l’investisseur AIR sera calculé sur la base de la valorisation floor.

Un rédacteur d’acte consciencieux ne se dispensera donc pas d’une négociation sur la valorisation de la société émettrice. Ajoutons que pour bien déterminer ces valorisations plancher et plafond, on ne saurait que trop recommander de faire des simulations d’exercice des BSA-AIR.

Le BSA-AIR sera ainsi encadré par un contrat d’émission, lequel a vocation à déterminer :
→Le montant de l’investissement réalisé ;
→La durée d’exercice du BSA-AIR (délai pendant lequel le porteur peut solliciter la conversion du titre en actions) ;
→La catégorie d’actions à laquelle le bon de souscription donne accès (ordinaires ou de préférence, le cas échéant dotées des mêmes droits et avantages que ceux qui seront attachés aux actions émises au profit des nouveaux investisseurs lors de la réalisation de la levée de fonds ultérieure) ;
→Le taux de décote (lequel se situe généralement entre 15 et 30 %) ;
→Le « tunnel », donc la valorisation plancher et plafond ;
→Le ou les évènements de liquidité susceptibles de déclencher l’exercice du bon (par exemple, une cession de l’entreprise ou une introduction en bourse) ;
→L’éventuelle cessibilité du BSA-AIR, et les conditions de transfert du titre.

Par ailleurs, le BSA-AIR donnant accès au capital social de la société émettrice, à la main du porteur qui seul dispose de la faculté de renoncer à son exercice, il apparait illusoire de reporter à une date ultérieure les autres négociations induites par une levée de fonds classique. La valorisation de la société, et partant la dilution des fondateurs et associés historiques n’est en effet pas le seul point de négociation à anticiper : l’évolution de la géographie du capital social, les règles relatives aux transferts de titres et les modalités de gouvernance sont autant de sujets qui intéressent éminemment les investisseurs, de sorte que ces derniers ont tout intérêt à prévoir dès cette étape la négociation des termes d’un pacte d’associés, document incontournable de toute levée de fonds, voir a minima un engagement contractuel (e.g. lettre d’intention, term sheet, etc.) visant les principales dispositions de celui-ci.

Ajoutons également que les porteurs de BSA-AIR, comme tous les titulaires des valeurs mobilières donnant accès au capital social, bénéficient de la protection prévue par les dispositions des articles L.228-98 et suivants du Code de commerce, laquelle entraine de nouvelles contraintes pour la société émettrice, parmi lesquelles :
→un droit d’information, de communication ou de mise à disposition des documents sociaux transmis aux associés (article L.228-105 du Code de commerce) ;
→l’obligation de prendre les mesures nécessaires à la protection des intérêts des porteurs de titres donnant accès au capital social en cas de distribution des réserves ou primes d’émission, en cas de modification de la répartition des bénéfices par la création d’actions de préférence, ou encore en cas de nouvelle émission de titres avec maintien du droit préférentiel de souscription ;
→l’impossibilité de modifier la forme ou l’objet de la société, sauf autorisation spécifique.

Enfin, si le BSA-AIR reste un titre attractif comme le démontre son développement ces dernières années, rappelons qu’il n’est pas dénué d’inconvénients propres : en premier lieu, contrairement aux actions émises dans le cadre d’une levée de fonds classique par augmentation du capital social, le BSA-AIR n’est pas éligible au plan d’épargne en actions (PEA) et aux avantages fiscaux qui en découlent. En second lieu, les exonérations d’impôt sur le revenu demeurent à ce jour incertaines, faute de position claire de l’administration fiscale sur ce point. Deux arguments qui ne plaident pas en faveur du BSA-AIR auprès de la love money et des business angels.

Le BSA-AIR est un instrument récent, pensé par les praticiens et évoluant avec la pratique de l’écosystème. Nul doute que cet outil continuera à évoluer, et qu’investisseurs comme fondateurs ont tout intérêt à s’entourer d’un conseil compétent et maîtrisant les usages en la matière.


Expertise par Me Marie CHAINAY, avocate au barreau de Rennes

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