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Mon voisin construit, quels recours ?

Un projet immobilier est susceptible de générer de nombreuses nuisances, qu’il s’agisse d’une extension d’une construction individuelle, d’une construction nouvelle, de l’édification d’un collectif ou de l’aménagement d’un lotissement sur la parcelle voisine. Ces nuisances sont susceptibles d’intervenir à divers stades du projet de votre voisin et il existe une multitude de réflexes à mobiliser afin de préserver vos droits.

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Me Emmanuelle Beguin et Me Maud Avril-Logette, avocats au barreau de Rennes. ©DR

Avant le démarrage des travaux

  • Le bornage

Il convient de s’interroger avant démarrage des travaux sur le bornage des parcelles, la vôtre et celle qui va supporter la construction. Le texte applicable en la matière est l’article 646 du Code Civil.

Concrètement, c’est à celui qui construit de prendre l’initiative de le solliciter si les limites de propriété de la parcelle ne sont pas fixées. Il s’agit d’éviter tout risque d’empiètement qui autoriserait le voisin à en solliciter la démolition, quelle que soit son importance (jurisprudence constante en la matière, pour un exemple récent Civ.3, 4 mars 2021, n°19-17616).

La démarche se fera dans un premier temps à l’amiable après saisine d’un géomètre-expert.

En cas d’impossibilité de concilier les parties, le géomètre dressera un procès-verbal de carence qui permettra au demandeur au bornage de saisir le Tribunal Judiciaire du lieu de situation de l’immeuble d’une demande de bornage judiciaire.

  • Le constat d’huissier

Faire passer un huissier de justice afin de dresser un procès-verbal de constat de l’état de votre propriété peut se révéler utile si vous constatez que votre voisin projette de réaliser des aménagements susceptibles d’avoir un impact sur votre bien.

Ex : Un immeuble collectif de 7 étages est prévu à côté de chez vous. L’huissier pourra faire constater à différent moment de la journée, voire de l’année, l’état de l’ensoleillement de votre parcelle afin de faire valoir un préjudice par la suite.

Ex : Votre voisin projette l’édification d’une extension en limite de propriété et devra procéder à la dépose de votre grillage pour permettre l’accès de son enduiseur. Un constat d’huissier permettra de constater l’état de votre grillage et des éventuelles plantations attenantes afin que votre voisin remette cette partie de votre propriété dans un état similaire à la réalisation de ses travaux.

  • Le référé préventif

Il s’agit de la possibilité de saisir le juge des référés d’une demande d’expertise judiciaire avant démarrage des travaux afin que l’état des avoisinants soit examiné et que des préconisations/ mesures conservatoires soient émises quant à la réalisation du chantier. L’Expert restera saisi pendant la durée du chantier et pourra être amené à réintervenir sur site en cas de difficultés (nuisances sonores, poussière, apparition de désordres sur les constructions, troubles de jouissance).

Ex : l’implantation d’un immeuble collectif est prévue en limite de propriété. L’Expert se déplacera sur site, avant démarrage des travaux, afin d’examiner votre construction, et émettre des préconisations afin que cette dernière soit préservée. Il pourra de nouveau se déplacer sur site, en cours de chantier, en cas de difficulté.

  • Le recours contre le permis de construire

Dès le constat de l’affichage sur le terrain du permis de construire, de la déclaration préalable ou du permis d’aménager, il est possible d’aller en solliciter la communication en Mairie afin de prendre connaissance de la consistance réelle du projet de votre voisin. Si le projet est susceptible de porter atteinte à vos droits, il est possible de diligenter un recours gracieux préalable et, par la suite ou directement, un recours contentieux à l’encontre de l’autorisation d’urbanisme.

1. Le recours gracieux

Il doit être intenté dans un délai de deux mois francs à compter de l’affichage de l’autorisation d’urbanisme sur le terrain.

Il s’agit de solliciter le retrait de cette autorisation auprès de l’administration qui a autorisé le projet en délivrant le permis.

Le délai franc ne tient pas compte du jour de l’échéance et dans l’hypothèse où le délai s’achève un samedi, un dimanche ou un jour férié, il est reporté le premier jour ouvrable suivant.

Ex : Le permis de construire est affiché le 10 septembre. Le délai court normalement jusqu’au 11 novembre (2 mois + 1 jour). Le 11 novembre étant férié, le délai de recours sera repoussé jusqu’au 12 novembre.

Ex : Une déclaration préalable est affichée le 3 mai. Le délai court jusqu’au 4 juillet qui se révèle être un samedi. Le délai sera repoussé jusqu’au 5 juillet.

L’envoi d’un recours gracieux nécessite cependant une attention toute particulière dans le calcul des délais de recours puisqu’il est impératif que le recours soit reçu par l’administration avant l’expiration du délai et non seulement envoyé avant ce terme.

Le recours gracieux doit être notifié dans son intégralité au titulaire de l’autorisation d’urbanisme contestée, dans un délai de 15 jours à compter de l’introduction du recours.

L’autorité dispose d’un délai de deux mois pour répondre à ce recours gracieux et, en l’absence de réponse dans un tel délai, celui-ci doit être considéré comme implicitement rejeté.

L’intérêt d’un recours gracieux est double :

  • Alerter l’administration sur l’illégalité d’un point de l’autorisation d’urbanisme et tenter d’obtenir le retrait de l’acte dans un court délai
  • Alerter l’administration et le pétitionnaire sur vos intentions de contestation à venir et les inviter à ouvrir un dialogue avec vous pour trouver un accord amiable qui pourrait aboutir avant ou pendant la phase contentieuse.

2. Le recours contentieux

À compter de l’affichage de l’autorisation d’urbanisme sur le terrain ou en cas de rejet implicite ou express du recours gracieux, vous disposez également d’un délai de deux mois francs pour saisir le Tribunal administratif d’un recours en annulation.

Ce recours aura pour effet de saisir le juge des problématiques d’urbanisme identifiées à l’encontre du permis de construire, de démolir, d’aménager ou de la déclaration préalable de travaux.

Ex : Le projet ne respecte pas les hauteurs autorisées par le plan local d’urbanisme.

Ex : Le dossier de demande de permis ne contient pas l’ensemble des pièces exigées par le code de l’urbanisme pour que le service instructeur ait pu en apprécier la véritable teneur.

Ex : Le projet prévoit un accès et une voie de circulation qui présente une largeur insuffisante, faisant peser sur les tiers et usagers un risque pour la sécurité publique.

Le recours contentieux doit être notifié dans son intégralité à l’autorité qui a délivré le permis de construire et au titulaire de l’autorisation d’urbanisme contestée, dans un délai de 15 jours à compter de l’introduction du recours.

L’instruction d’un recours à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme devant le Tribunal administratif connaît des délais assez variables, allant de 10 à 24 mois.

L’intérêt d’un recours contentieux est double :

  • Tenter d’obtenir l’annulation de l’acte par le Tribunal administratif afin que les travaux projetés ne puissent se réaliser.
  • Maintenir une pression forte sur le pétitionnaire afin d’ouvrir un dialogue, faire valoir vos revendications à l’encontre du projet et trouver un accord amiable qui pourrait aboutir avant le jugement.

Dans l’hypothèse où un accord amiable serait trouvé quant à une compensation ou une modification du projet par le pétitionnaire, un retrait du recours contentieux peut alors intervenir, avant que le juge administratif ne statue sur le dossier.

Au démarrage des travaux

  • Le référé suspension

L’introduction d’un recours en annulation à l’encontre d’un permis de construire, de démolir, d’aménager ou d’une déclaration préalable de travaux ne présente pas de caractère suspensif.

Le pétitionnaire peut décider de réaliser ses travaux quand bien même un recours serait pendant à l’encontre de son autorisation d’urbanisme.

Lorsque vous constatez un démarrage des travaux sur la parcelle de votre voisin alors que le Tribunal administratif est saisi d’un recours en annulation de l’autorisation d’urbanisme, il est possible d’introduire une seconde procédure en saisissant le juge des référés de ce même Tribunal d’une demande de suspension de l’exécution du permis.

Cette demande est généralement jugée sous un mois et requiert la réunion de deux conditions : Une urgence et un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

Il est impératif que les travaux ne soient pas trop avancés et en tout état de cause, que la construction ne soit pas close et couverte le jour de l’audience afin que l’urgence soit reconnue.

Dans l’hypothèse où le juge des référés identifierait un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté de permis, l’exécution des travaux serait suspendue jusqu’à ce que la formation de jugement se prononce collectivement sur le recours en annulation.

  • Les nuisances de la phase travaux

En cours de travaux, des nuisances de type sonore, poussière peuvent apparaître en lien direct avec le chantier.

Dans ce type de situation, le maître d’ouvrage (celui qui fait construire) est pleinement responsable de la situation, tout comme les constructeurs présents sur site, sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage (Civ.3, 22 juin 2005, n°03-20068). Cette théorie est une création jurisprudentielle reposant sur le principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage », ce peu importe le respect des dispositions légales d’urbanisme.

Elle ouvre droit à une action indemnitaire contre les auteurs, étant ici précisé que tous les moyens de preuve sont admis pour assoir cette dernière (attestations, constat d’huissier…).

Le délai d’action est de cinq ans à compter de la date de manifestation du trouble.

Après la réalisation des travaux

  • Les vues

Les dispositions applicables en la matière sont les articles 678, 679 et 680 du Code Civil. Elles sanctionnent trois notions : vues droites, vues obliques, jours.

  • Notion de vues droites : Les vues sont des ouvertures ordinaires qui laissent passer l’air aussi bien que la lumière: elles sont soient fermées par une fenêtre susceptible d’être ouverte ou encore une porte, soit dépourvues de toute fermeture.

La distance est de 19 décimètres entre le mur et où on les pratique et la parcelle voisine.

  • Notion de vues obliques: elles ne permettent de voir chez le voisin qu’en se penchant ou en regardant de côté.

La distance est de 6 décimètres dans ce cas.

  • Notions de jours : ouvertures en verre dormant, ne s’ouvrant pas, qui laissent passer la lumière.

La sanction est très simple, il s’agit de la suppression de ladite vue par démolition ou occultation.

  • La perte d’ensoleillement

La sanction de la perte d’ensoleillement se fonde également sur la théorie des troubles anormaux du voisinage dont les conditions ont été ci-dessus rappelées.

La preuve se rapporte par tous moyens mais si un référé préventif devait être organisé, le mieux est encore de solliciter une extension de la mission de l’expert sur l’évaluation de cette dernière et du trouble de jouissance occasionné.

Cette perte d’ensoleillement ouvre droit à une action indemnitaire dans le même délai que celui rappelé pour la sanction du trouble anormal du voisinage.

Attention la jurisprudence tient nécessairement compte du contexte urbanistique pour l’apprécier. Il est donc plus difficile de le faire établir dans un contexte hyper-urbain.