Couverture du journal du 03/02/2025 Le nouveau magazine

PORTRAIT. Renaud Bouvet : « Un métier comme un autre »

Son bureau sans fioriture est à l’image du personnage. Renaud Bouvet, chef du service de médecine légale et médecine pénitentiaire au CHU de Rennes (Ille-et-Vilaine), exerce une fonction que beaucoup connaissent uniquement de nom. Rencontre avec celui qui opère autant à l’hôpital que dans les tribunaux.

©D-Echelard

Le goût du sang ? Pas vraiment. Faire parler les morts ? Non plus. Pour Renaud Bouvet, un légiste, ce n’est pas uniquement celui que l’on voit à la télé. Il suffit de le rencontrer dans son bureau du CHU de Pontchaillou, bien connu des Rennais, pour comprendre que ce métier rassemble bien plus de spécificités. Médecin légiste autant affûté que ses scalpels, chef du service de médecine légale et médecine pénitentiaire du CHU de Rennes, depuis de nombreuses années, il examine la société, « des affaires criminelles aux violences physiques ou psychologiques qu’il faut évaluer, mais aussi en examinant des cadavres dans le cadre d’affaires ».

À 45 ans, il n’est surtout pas du genre à chercher le devant de la scène, loin de là. Et d’ailleurs, ce métier, « ce n’était pas une évidence comme tout le monde pourrait le croire. Je n’avais pas d’appétence particulière pour les morts ou le sang. J’étais un étudiant en médecine lambda, qui aimait aussi le domaine juridique ». Ce qui attirait Renaud Bouvet, dans une période où il « ne savait pas vraiment vers quoi se diriger », c’est le lien avec le monde de la Justice.

Si les séries et autres films télévisés ont donné une forme de « prestige » à la profession, « le revers, c’est que tout le monde pense que nous ne nous occupons que des crimes. Or, c’est moins de 10 % de notre métier ». Malgré tout, il en a vu défiler pendant sa carrière. La médecine légale est la discipline qui donne des avis médicaux quand il y a un litige à trancher.  » Les limites de la spécialité sont les limites des questions que la Justice peut nous poser en matière de médecine. Dans notre service, nous pratiquons de la médecine légale du vivant – l’essentiel de notre travail -, nous examinons, à la demande de la police, de la gendarmerie ou de la Justice de manière générale, des personnes qui ont été victimes – ou agresseurs – de violences physiques, psychiques, sexuelles, de tous les âges, pour décrire les blessures et en définir la gravité, puis confronter cela aux déclarations des personnes mises en cause. «  En plus de cette partie, le service, pas si spécial, pratique aussi de la thanatologie et des expertises à la demande de juridictions en matière d’appréciation du dommage corporel. L’unité médico-judiciaire, composée de 18 personnes, « plus tous nos collègues psychologues, administratifs, infirmiers, aides-soignants, ASH dans les unités pénitentiaires… », dirigée par Renaud Bouvet examine 5 000 victimes par an, dont 1 000 mineurs et opère 450 actes de thanatologie. « Nous faisons aussi l’examen des personnes placées en garde à vue, près de 3 500 personnes par an. » Et si les affaires que Renaud Bouvet traite en ferait pâlir plus d’un, pour lui, « il n’y en a pas de plus marquantes que d’autres, elles le sont toutes ».

« Tout le monde pense que nous ne nous occupons que des crimes. C’est moins de 10 % de notre travail. »

Pour le commun des mortels, un médecin légiste est un métier particulier. Renaud Bouvet n’est pas de cet avis. « Comme le médecin « classique », je suis chargé de poser un diagnostic et de rendre un avis pour la Justice. Certes, la finalité de notre travail, ce n’est pas d’accompagner les personnes jusqu’à la guérison ou dans un acte de prévention, mais du pur diagnostic. Mes patients ne sont pas victimes de maladies, mais cela se recoupe. » Alors, pendant ses études « tout à fait classiques de médecine », Renaud Bouvet découvre la technique, le soin apporté à chaque corps et surtout les protocoles « qu’il faut suivre scrupuleusement ».

Comme si ces différentes casquettes ne suffisaient pas, le médecin-légiste est aussi enseignant-chercheur à la faculté de médecine de Rennes-1 dans sa discipline, est l’auteur de nombreux ouvrages dirige l’unité de soins de médecine pénitentiaire, à Rennes-Vezin, « soit un peu plus de 800 détenus » et le centre pénitentiaire pour femmes. En plus de cela, il exerce aussi à l’Unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI), une unité d’hospitalisation sécurisée de 19 lits dans lesquelles les détenus qui ont besoins d’être hospitalisés sont accueillis, en provenance de Bretagne, de Normandie et des Pays de la Loire. Un couteau suisse ce Dr Bouvet.

D’ailleurs, pas de semaine type pour cette profession. « Je peux autant être en consultation le matin, qu’à mon bureau le midi, faire cours l’après-midi, et la nuit être d’astreinte en médecine-légale, cela varie. » La bienveillance est probablement la qualité la plus importante pour opérer en tant que médecin légiste. « Une bienveillance qui ne doit pas aller jusqu’à l’empathie, sinon, nous ne pourrions pas faire notre travail correctement. Nous nous en tenons à une bienveillante neutralité. Quand nous examinons un enfant secoué qui est en réanimation, une dame qui a été violée 2 heures auparavant ou quand on fait l’examen d’une personne décédée par coups de couteau, nous ne sommes pas en train de nous dire « c’est affreux, cela pourrait être quelqu’un de ma famille ». » Ce qu’il faut aussi, « c’est être rigoureux. Il faut avoir un protocole en tête car à l’arrivée, ce qui importe c’est de donner le diagnostic le plus précis possible pour faire avancer les affaires. Et aussi, surtout, l’objectivité. Il faut savoir rester impartial et indépendant, même face aux pires affaires. Il ne faut pas se prendre pour un policier ou pour un juge. »

Arrive-t-il à laisser ses affaires à l’institut ? « Je ne parle jamais de mon travail autour de moi. Certaines affaires me marquent mais ne me hantent pas. Intellectuellement, je ne quitte jamais vraiment l’hôpital, je peux être appelé à n’importe quel moment, c’est un haut niveau de responsabilité. C’est un métier riche, je ne saurais rien faire d’autre que ça. C’est une chance de contribuer à améliorer la prise en charge des victimes. »