« Je veux être utile aux autres et heureuse au travail », dit Marie Lanoë avec un large sourire. Ce n’est pas une confession qui lui aurait échappé, juste l’ambition d’une travailleuse impénitente de 45 ans qui concrétise ce pour quoi elle est faite. Le travail a été pour elle une sorte de thérapie qui l’a aidée à sortir de sa réserve, à s’affirmer, à se construire pas à pas… Aujourd’hui radieuse, car elle est devenue cheffe d’une entreprise qui fait travailler près de 200 intérimaires en équivalents temps plein, participe au recrutement de deux à trois candidats en CDD ou CDI par semaine et génère près de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires. Mais aussi parce qu’elle est indépendante, à la tête de ses propres agences, de son business. C’est elle qui donne le tempo. Et avec elle, ça ne chôme pas ! « J’ai acheté ma propre liberté en prenant la tête de ces agences et j’ai poussé très fort », reconnaît-elle aujourd’hui. Un investissement physique et moral qui a failli lui coûter cher.
(Hyper) sensible aux autres
Née à Vannes, Marie Lanoë grandit dans une ferme à Sérent, où ses parents élèvent des vaches laitières. Et pas n’importe quelle ferme : la ferme de La Nouette fut le poste de commandement de la résistance locale pendant la Seconde Guerre Mondiale, à laquelle sont venus se joindre les parachutistes SAS début juin 1944. Peu de temps après les combats de Saint-Marcel, elle fut détruite par les soldats allemands. En 1947, un monument aux morts célébrant la résistance bretonne y fut inauguré par le général de Gaulle. La guerre n’est plus qu’un souvenir quand les parents de Marie travaillent inlassablement à la ferme, trouvant même le temps d’être famille d’accueil pour la Sauvegarde de l’enfance. « C’était une maison ouverte à tous et j’étais très fière de l’engagement de mes parents », se souvient-elle. Élève réservée avec de grandes facilités, c’est à travers les livres qu’elle voyage et s’émerveille, notamment avec Maupassant et Pagnol. Hypersensible, ce mot, elle le découvrira plus tard. « Je me suis très longtemps sentie en décalage, confie-t-elle mezzo voce. Aujourd’hui, je m’en accommode parfaitement. »
Les ressources humaines, une vraie révélation
Quant vient l’heure de l’orientation professionnelle, Marie Lanoë choisit la filière agricole. Un internat à Ploërmel, un baccalauréat STAE à 17 ans et un BTS industrie agroalimentaire à Rennes. Puis, c’est la période des stages en laiterie à Pontivy, Guingamp et en Alsace. « J’ai découvert des gens formidables qui travaillaient déjà sur des filières courtes, le local et le service, mais je voulais élargir mes compétences », explique-t-elle. Elle passe un BTS technico-commercial à Montfort-sur-Meu, puis bifurque vers un diplôme universitaire en tourisme à Quimper. À l’office de tourisme de Malestroit, elle découvre le fonctionnement d’une équipe et le management. Première rencontre avec un domaine qui, elle s’en apercevra un peu plus tard, coche toutes les cases. « Comme la communication interne laissait à désirer, j’ai fait mon rapport de stage sur les ressources humaines, dit-elle. L’organisation humaine et le savoir-faire des entreprises industrielles me passionnaient et m’intriguaient beaucoup. »
« L’organisation humaine et le savoir-faire des entreprises me passionnaient et m’intriguaient beaucoup. »
Des métiers très formateurs
Elle enchaîne petits boulots, qui la sensibilise à la qualité du management, engrange de l’expérience, comme lorsqu’elle est commerciale en hôtellerie de plein air. « C’est très formateur ces emplois de sédentaires où il faut faire son chiffre. Mais dès que je me suis intéressée à l’éthique, c’est devenu un peu plus difficile, ironise Marie Lanoë. J’ai par exemple demandé si je pouvais avoir la certitude que le matériel de literie que je vendais n’avait pas été fabriqué par des enfants. On m’a simplement répondu que ce n’était pas possible. » Une amie travaillant à France Travail (ex-Pôle Emploi) l’alerte sur un poste d’assistante commerciale en agence d’intérim, « j’y suis allée, même si je n’avais pas du tout le profil recherché. Après une suite d’entretiens, c’est la grande cheffe et fondatrice de Temporis, Laurence Pottier-Caudron, qui prend les choses en main. Et là, c’est la révélation. Je pouvais avoir un impact sur la vie des gens, tant les employés que les employeurs. Je m’éclatais pour la première fois au boulot. »
« Je m’éclatais pour la première fois au boulot. »
À 32 ans, la pression de réussir
Une expérience de cinq ans qui se termine par une rupture conventionnelle, car les différences managériales avec le franchisé sont trop importantes. Marie Lanoë rejoint Cap Emploi et assiste les travailleurs handicapés dans leur recherche d’emploi durant un an. Le franchiseur Temporis lui propose alors de prendre les rênes de l’enseigne à Vannes. Elle se lance à corps perdu dans l’aventure. À 32 ans, elle se trouve à la tête de la nouvelle stratégie Temporis qui repart de zéro. La pression est gigantesque. « J’ai tellement voulu bien faire que j’ai poussé très fort. Trop fort, admet-elle aujourd’hui. C’était tellement satisfaisant que le travail est devenu une obsession, une véritable addiction, au point d’en oublier de manger et de n’être disponible uniquement pour le travail. Résultat : sciatique, hernie discale, morphine… » Une psychologue du travail l’aide à se reprogrammer. Marie Lanoë comprend enfin que l’entrepreneuriat est une course de fond. C’est pourquoi, dès septembre, elle animera la commission bien-être du dirigeant au CJD Vannes.
« J’ai tellement voulu bien faire que j’ai poussé très fort. Trop fort. »
Des profils pénuriques à séduire
« Cette expérience douloureuse m’a appris que je pouvais compter sur mon équipe et que je leur imposais un rythme beaucoup trop soutenu, reconnaît la dirigeante. Je lève un peu le pied aujourd’hui et je m’impose du repos et du sport. Si l’objectif est d’être la meilleure agence, je mise aujourd’hui plus sur la qualité des relations avec nos clients que sur la quantité de contrats. » D’autant plus dans une période où 40 % des entreprises éprouvent de vraies difficultés à embaucher. Outre la problématique de recruter ces « profils pénuriques », l’intérim subit un ralentissement lié à la demande des entreprises. « Depuis la période Covid, notre mission consistait essentiellement à aller chercher des candidats, précise Marie. Depuis un an, nous devons aller au-devant des entreprises. Elles doivent vraiment travailler leur attractivité, leur marque employeur, surtout celles qui chassent des profils pénuriques. »
« À nous de rassurer les candidats et de sensibiliser les entreprises aux augmentations de salaires. »
Trouver le bon équilibre
Les agences d’intérim notent que le climat anxiogène actuel (guerres, réformes du chômage, inflation…) pèse sur les candidats. « Les gens sont plus tendus, reconnaissent Marie et Astrid, l’une de ses collaboratrices. Certains sont même de plus en plus exigeants et n’hésitent pas à disparaître à la moindre anicroche… » Les responsables signalent par ailleurs que la pénurie de logements et la mobilité restent des handicaps insurmontables pour beaucoup de candidats. « À nous de les rassurer et de sensibiliser les entreprises aux augmentations de salaire et à la qualité de vie au travail, précise la dirigeante. Elle est là l’expertise d’une agence d’intérim. Il nous appartient de les aider à se réajuster. » Marie Lanoë ne se lasse pas de faire le lien et se sent toujours investie d’une certaine mission. Une mission à durée indéterminée.
Repli du nombre d’intérimaires en Bretagne
Source : Dares (DSN)
À la fin du 4e trimestre 2023, on dénombrait 43 580 intérimaires en Bretagne. L’emploi intérimaire poursuit son repli (-2,7 %, soit 1 200 intérimaires de moins) après un recul de 3 % au trimestre précédent. Sur un an, la baisse atteint 7,2 % (6,6 % au national).
Le recul est plus marqué dans le Finistère (-4 %), avec une chute importante (-8,1 %) dans l’industrie agroalimentaire. Le Morbihan et l’Ille-et-Vilaine enregistrent une baisse proche de celle du niveau régional. La diminution trimestrielle est plus atténuée dans les Côtes d’Armor (-0,7 %).
Le volume de travail temporaire (en ETP) régresse dans l’industrie (-2,4 %) et se situe 7,5 % sous son niveau d’il y a un an. Après avoir atteint un pic au 4e trimestre 2022, le volume de l’intérim dans l’industrie agroalimentaire (qui regroupe plus du quart des intérimaires bretons) enchaîne un 4e trimestre consécutif de baisse (-1,9 %). Le secteur perd ainsi 6,8 % en un an. Après trois trimestres de repli, le volume de travail temporaire dans la construction rebondit très légèrement (+0,6 %). En un an, le secteur a toutefois perdu 3,3 % de son activité intérimaire.
Bonus
Une musique entêtante ?
Magnifique découverte de Zaho de Sagazan – La symphonie des éclairs. Une chanson poétique très émouvante sur l’hypersensibilité.
Un loisir ?
Le rugby (supportrice non pratiquante). Je suis partenaire du Rugby Club Vannetais depuis la création de la première agence Temporis en 2010 et on peut dire que j’ai eu l’opportunité de vivre des émotions fortes depuis ! Pour ma santé personnelle : 2 heures de coaching sportif par semaine, du yoga et de la méditation… Ça fait un bien fou de ralentir le manège mental.
Un paysage préféré ?
La tranquillité des bords du canal de Nantes à Brest qui me rappelle les balades à vélo de mon enfance. La côte de granit rose pour ses couleurs magnifiques et ses courbes tout en douceur.
Une lecture ?
Après avoir eu la chance de participer à la conférence de Jean-Pierre Goux au congrès national du CJD, je suis impatiente de lire Révolution bleue – La Petite Princesse. Livre inspirant pour réinventer notre société.
Votre moment préféré ?
Quand je partage un moment de joie avec ma famille, mes amis, mon équipe… Rire est essentiel, en plus c’est contagieux.
Le Morbihan, pour vous, c’est quoi ?
Un des plus beaux coins de France, je suis fière de mon territoire car « je vis là où tu pars en vacances ».