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Jérôme Tréhorel, directeur général des Vieilles Charrues à Carhaix : « En trois ans, nos coûts ont grimpé de près de 30 % »

Invité du Rennes Bretagne Business Club le 23 avril 2025, Jérôme Tréhorel, directeur général des Vieilles Charrues, a notamment détaillé les rouages économiques du plus grand festival de musique de France. Ce dernier évolue sans subvention publique, avec un budget de 22 millions d’euros et l’ambition de maintenir l’accès à la culture pour tous.

Gérald Bertin, manager du Rennes Bretagne Business Club, et Jérôme Tréhorel, directeur général des Vieilles Charrues.

Gérald Bertin, manager du Rennes Bretagne Business Club, et Jérôme Tréhorel, directeur général des Vieilles Charrues. © Didier Echelard

Le budget du festival a atteint 22 millions d’euros en 2025. Comment évolue-t-il ?

Jérôme Tréhorel. Il fluctue selon les années. En 2023, nous étions même montés à 23 millions d’euros, car nous avions exceptionnellement ajouté un cinquième jour avec une programmation très ambitieuse. Cette année, on se stabilise autour de 21 à 22 millions. Ce qui est sûr, c’est que l’inflation nous impacte fortement. En trois ans, nos coûts ont grimpé de près de 30 %. Les cachets des artistes ont explosé, mais aussi des postes qu’on sous-estime souvent, comme les transports. En 2024, transporter notre Grande Scène nous a coûté plus cher que son montage et démontage.

Quel est le modèle économique des Vieilles Charrues ?

JT. Il repose sur trois piliers. D’abord, la billetterie. Elle représente 60 % de nos recettes, soit environ 13 millions d’euros. Ensuite, les bars et restaurants que nous gérons en régie, avec une attention particulière aux circuits courts et aux prix pratiqués. Ce poste génère 20 % de nos revenus. Enfin, les partenariats et le mécénat apportent 3,5 millions d’euros. Ce triptyque nous permet de maintenir un billet journalier à 50 euros, bien en deçà des standards du marché. Pour 50 euros, on peut assister à une quinzaine de concerts dans la journée.

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Comment parvenez-vous à maintenir le cap avec un prix du billet si serré ?

JT. Nous réinvestissons dès que nous le pouvons. Nous avons ainsi constitué un stock de matériel conséquent avec 7 000 m² d’entrepôts, une laverie pour un million de gobelets réutilisables, 40 km de barrières, du mobilier scénique et technique, etc. Cela limite notre dépendance aux prestataires. Et puis nos partenaires jouent un rôle essentiel. Aujourd’hui, 350 entreprises nous soutiennent, que ce soit pour de la visibilité, de l’activation sur site ou du mécénat. Sans eux, nous ne pourrions pas maintenir ce niveau d’accessibilité.

Les collectivités locales participent-elles au financement ?

JT. Depuis 1995, le festival n’a jamais reçu de subvention directe. Nous avons fait ce choix, par philosophie autant que par pragmatisme. Aujourd’hui, obtenir une subvention de 10 000 ou 20 000 euros demanderait des mois de démarches, pour un impact budgétaire quasi nul. Nous préférons que ces soutiens aillent à des structures pour qui ils sont vitaux. Cela ne nous empêche pas de travailler étroitement avec les collectivités sur les sujets de logistique, de sécurité ou d’aménagement du site.

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Quels sont les principaux postes de dépense ?

JT. La programmation d’abord. Chaque année, nous engageons environ 5 millions d’euros en cachets artistiques. Ensuite, vient toute la partie salariale. Au-delà des 15 permanents, nous embauchons 2 500 professionnels en intermittence ou prestation. Enfin, il y a la construction du site, qui représente un chantier colossal. Nous mobilisons 1,5 km de structures, des kilomètres de câblage, des centaines de blocs sanitaires… Et aujourd’hui, les coûts de transport ont tellement flambé qu’ils pèsent lourd dans la balance.

Le statut associatif est-il toujours une force dans ce contexte ?

JT. C’est notre ADN, mais c’est aussi une fragilité. Nous avons 15 salariés permanents, pour un événement qui mobilise 300 000 festivaliers sur quatre jours. Chaque métier est représenté : RH, communication, billetterie, technique, régie alimentaire, maintenance… En période de montée en charge, nous recrutons plusieurs centaines d’intermittents et de prestataires. Et surtout, 7 500 bénévoles qui constituent l’ossature du festival. Sans eux, rien n’est possible.

L’activité liée aux entreprises prend de l’ampleur ?

JT. Nous avons développé une offre d’accueil dédiée à la clientèle d’affaires. Certaines entreprises viennent avec dix salariés et d’autres avec 3 000. Nous privatisons des espaces, organisons des cocktails, des réceptions… Le festival, grâce à sa diversité artistique, permet de fédérer largement. Nous y gagnons tous. Les entreprises en visibilité et en lien social, nous en financement et en structuration.

Les tensions récentes avec la mairie de Carhaix ont-elles mis en péril le festival ?

JT. Oui, très sérieusement. En 2023, la municipalité a voulu nous imposer une redevance d’occupation de près de 400 000 euros. Elle voulait nous faire payer pour utiliser un site que nous avons nous-mêmes contribué à aménager depuis 30 ans. Heureusement, l’État, le Département et la Région ont fait bloc pour nous soutenir. Aujourd’hui, le dialogue a repris, mais ces tensions ont révélé la fragilité de notre modèle.