Pourquoi une telle réforme ?
Laurent Fichot. La réforme de la procédure disciplinaire était très attendue. Une enquête de l’Inspection générale de la justice, en 2020, a révélé l’inefficacité de la procédure précédente, critiquée pour favoriser l’entre-soi entre professionnels et n’aboutir que rarement à des sanctions. La complexité était accentuée par une dualité de compétence entre les instances professionnelles et les tribunaux judiciaires, entraînant une paralysie de la procédure.
Quelle organisation ?
L.F. Désormais, la compétence disciplinaire est attribuée uniquement au procureur général au niveau régional, supprimant la compétence des tribunaux judiciaires. Il existe dix juridictions disciplinaires au niveau national. Notre cour d’appel est compétente pour juger les professionnels des cours d’appel d’Angers et de Caen.
Une particularité est le régime de l’échevinage, où trois magistrats, dont un professionnel présidant, et deux non-professionnels issus des instances de la profession, participent au jugement.
Compte tenu du manque de moyens alloués à la nouvelle juridiction, il n’y a qu’une audience trimestrielle limitée à trois dossiers chacune. Le jour de la création de la juridiction, il y avait à peu près une cinquantaine de dossiers concernant des notaires, éligibles à des poursuites.
Quelles sont les grandes nouveautés ?
L.F. La procédure a instauré un service d’enquête – composé de notaires ou commissaires de justice – chargé de produire un rapport contradictoire sur les accusations, qui déterminera l’engagement éventuel de poursuites. Autre nouveauté absolue : les particuliers peuvent traduire un professionnel devant la juridiction disciplinaire pour ce qu’ils considèrent comme des manquements, sous réserve de l’approbation du président de la juridiction.
Fonctionnement ?
L.F. La réforme a également instauré un volet infra-disciplinaire, confiant le traitement des réclamations des particuliers à la chambre interdépartementale des notaires. Cette centralisation au niveau régional dépersonnalise les choses et semble mieux acceptée par les professionnels visés. Depuis sa mise en place, il y a eu une baisse de 30 % des réclamations. Les griefs les plus courants concernent le manque de communication des notaires sur les délais, souvent sur des liquidations de successions ou de régimes matrimoniaux. Il y a également les griefs sur les tarifs. Certains clients considèrent que la convention n’a pas été respectée ou ils ne l’ont pas comprise. Le simple fait d’avoir une explication avec, en surplomb, le président de la chambre régionale ou son délégué, dégonfle les conflits. Les instances professionnelles poursuivent les manquements liés aux usages et aux règles de la profession. En cas de faute professionnelle constitutive d’une infraction pénale, le parquet général prend en charge l’affaire.
Quels manquements sont concernés et les sanctions possibles ?
L.F. Les infractions peuvent être l’abus de confiance, l’escroquerie, l’abus de faiblesse, ainsi que les infractions aux règles tarifaires, aux actes authentiques, à la comptabilité et à la publicité, le harcèlement moral. Il peut y avoir simultanément une procédure disciplinaire et des poursuites pénales. Par la voie disciplinaire, des suspensions provisoires peuvent être demandées, même en l’absence de condamnation pénale, afin de neutraliser les professionnels concernés. La déontologie des professionnels du droit s’étend jusqu’à leur vie privée, tout comportement portant atteinte à l’image de la profession peut entraîner des poursuites disciplinaires et pénales. Les sanctions peuvent être l’interdiction temporaire d’exercice, voire la destitution. Désormais, la juridiction disciplinaire peut aussi imposer des amendes. Les décisions peuvent être portées en appel devant l’instance nationale.
Ne serait-il pas souhaitable d’avoir un seul et même code déontologique ?
L.F. La réforme a introduit un socle déontologique qui remplace les multiples textes anciens, améliorant la clarté et la cohérence des règles professionnelles. Mais chaque profession a ses propres intérêts à protéger, justifiant des codes de déontologie distincts.
Quid des avocats ?
L.F. Il n’y a pas de nouvelle juridiction disciplinaire. La compétence reste entre les mains du conseil régional de discipline. Les avocats ont été épargnés en raison de leur importance numérique et politique, ainsi que de leur volonté de défendre leurs spécificités lors des négociations sur la loi. Ce qui change, c’est que, désormais, les particuliers peuvent poursuivre les avocats en cas de manquement, comme le non-respect du contradictoire.