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Les principaux dispositifs de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine

Les projets de construction, de rénovation et d’aménagement doivent, dans certains secteurs, être élaborés en tenant compte des règles de protection du patrimoine naturel et culturel. Ces dispositifs peuvent parfois sembler contraignants. Ils constituent pourtant de précieux outils, aux mains des élus locaux, pour protéger et valoriser le patrimoine local, qui est un vecteur d’attractivité territoriale.

Me Jean-Baptiste Chevalier, avocat au barreau de Rennes, patrimoine

Me Jean-Baptiste Chevalier, avocat au barreau de Rennes ©DR

Les  dispositifs actuels de protection du patrimoine sont les fruits d’une histoire presque bicentenaire. C’est à partir de la fin du XVIIIe siècle, et surtout au XIXe, qu’émerge la préoccupation de protéger notre patrimoine architectural. Et c’est sous la Monarchie de Juillet, alors que Victor Hugo exhortait déjà le gouvernement à « conserver, à entretenir, à éterniser les monuments nationaux et historiques », que fut mise en place, en 1837, la commission des monuments historiques. Il faudra cependant attendre la loi du 30 mars 1887, consolidée par la loi du 31 décembre 1913, pour que soit créé le premier dispositif de protection des monuments historiques (classement), qui fut ensuite renforcé par les lois du 23 juillet 1927 (inscription) et du 25 février 1943, créant un périmètre de protection autour des monuments historiques, puis par la loi du 2 mai 1930 protégeant les « monuments naturels et les sites », et par la loi Malraux du 4 août 1962 créant les « secteurs sauvegardés ». Cette législation a été clarifiée et unifiée par la plus récente loi du 7 juillet 2016 (loi LCAP) qui a créé les « sites patrimoniaux remarquables ». Quels sont donc aujourd’hui les principaux dispositifs de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine ?

La protection des monuments historiques

En France, plus de 45907 monuments historiques ont été recensés par l’INSEE en 2021. La Bretagne en compte actuellement un peu plus de 3 000. Ces monuments historiques sont répartis en deux catégories, qui correspondent à deux niveaux de protection : les monuments « classés », niveau de protection le plus élevé, et les monuments « inscrits ». Peuvent faire l’objet d’un classement, par arrêté du ministre de la Culture, les édifices qui présentent, « au point de vue de l’histoire ou de l’art », un « intérêt public ». Il s’agit en principe de monuments ayant un rayonnement national. Peuvent faire l’objet d’une inscription, par arrêté du préfet de région, les monuments qui présentent « un intérêt d’histoire ou d’art suffisant pour en rendre désirable la préservation ». Les monuments inscrits ont davantage une portée régionale.

La protection des monuments

Les monuments classés ou inscrits ne peuvent être détruits ou déplacés, même en partie, ni faire l’objet de travaux de restauration ou de modification, sans accord du préfet de région. Ces travaux, à la seule exception de l’entretien ordinaire, doivent donc donner lieu à une autorisation de travaux préalable. La demande d’autorisation de travaux, qui est instruite par la DRAC, doit être déposée par le propriétaire ou son mandataire. Le préfet dispose d’un délai de 6 mois pour statuer sur la demande. Lorsqu’une autorisation est délivrée, les travaux doivent être entrepris dans un délai de trois ans et ne peuvent être suspendus pendant plus d’un an.

Ces travaux doivent ensuite être exécutés sous le contrôle scientifique et technique des services de l’État chargés des monuments historiques. La maîtrise d’œuvre des travaux réalisés sur les monuments classés doit être confiée, selon la nature des travaux, à un architecte en chef des monuments historiques ou à un architecte du patrimoine. Lorsque le monument est inscrit, la maîtrise d’œuvre doit être confiée à un architecte diplômé d’État.

La protection des abords

La particularité des monuments historiques est que la protection est étendue à leurs abords. Cette protection est une servitude d’utilité publique qui s’impose à tous les travaux entrepris dans le périmètre de protection. Ce périmètre peut être délimité par le préfet de région, sur la proposition de l’architecte des bâtiments de France (ABF) et de la commune ou de l’intercommunalité compétente en matière d’urbanisme, après avis de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture (CRPA) en cas de désaccord. En l’absence de périmètre délimité, la protection s’applique de plein droit, dans un rayon de 500 mètres, à tout immeuble visible du monument historique ou situé en covisibilité.

Dans ce périmètre de protection, lorsque les travaux envisagés sont « susceptibles de modifier l’aspect extérieur d’un immeuble, bâti ou non bâti », les autorisations d’urbanisme (permis de construire, d’aménager ou de démolir, et décisions de non-opposition à déclaration préalable) ne peuvent être délivrées qu’avec l’accord préalable de l’ABF. Dans certains cas particuliers, depuis la loi du 23 novembre 2018 (loi ELAN), l’ABF ne rend plus qu’un avis simple, qui ne lie pas l’autorité chargée d’autoriser les travaux, notamment lorsque les travaux sont entrepris sur des immeubles d’habitation déclarés insalubres ou menaçant ruine. Cet affaiblissement du rôle de l’ABF a été vivement critiqué par les principales associations de défense du patrimoine.

La protection des sites patrimoniaux remarquables

Ce dispositif de protection des monuments historiques est complété par le nouveau régime de protection des « sites patrimoniaux remarquables », issu de la loi du 7 juillet 2016 (loi LCAP), qui vise à protéger et mettre en valeur le patrimoine architectural, urbain et paysager. Ces sites patrimoniaux remarquables (SPR), qui sont actuellement au nombre de 940, ont été établis dans les « villes, villages ou quartiers dont la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur présente, au point de vue historique, architectural, archéologique, artistique ou paysager, un intérêt public ».

Dans une logique de simplification, le législateur a regroupé sous ce seul label les anciens secteurs sauvegardés, les aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP), et les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP). Les SPR sont soumis à un régime juridique unique, mais continuent d’être régis par les plans de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) et les plans de valorisation de l’architecture et du patrimoine (PVAP).

En Bretagne, les villes de Dinan, Morlaix, Rennes, Tréguier, Vannes et Vitré comportent un secteur sauvegardé, devenu SPR, couvert par un PSMV. Plusieurs villes comme Dol-de-Bretagne, Lannion et Locronan ont engagé des démarches pour obtenir ce label.

Dans le périmètre de ces sites patrimoniaux remarquables, les travaux entrepris doivent nécessairement donner lieu à une autorisation préalable ou à l’accord préalable de l’ABF lorsqu’ils sont susceptibles de modifier « l’état des parties extérieures » des immeubles bâtis ou non ou des « éléments d’architecture et de décoration » situés à l’extérieur ou à l’intérieur. Mais là encore, depuis la loi ELAN, l’ABF ne donne plus qu’un avis simple (qui n’empêche pas d’autoriser les travaux) lorsque les travaux ont été prescrits par un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité portant sur des immeubles à usage d’habitation.

Il importe de préciser que lorsque des travaux de démolition portent sur une construction située dans le périmètre d’un SPR, le pro- priétaire ou son mandataire doivent impérativement solliciter la délivrance d’un permis de démolir, qui peut être intégré au permis de construire.

La protection du patrimoine local

En dehors des périmètres de protection des monuments historiques et des sites patrimoniaux remarquables, qui ne concernent finalement qu’un nombre limité de villes et de villages, la protection du patrimoine peut également être mise en œuvre, à l’initiative des élus locaux, dans le cadre des règles d’urbanisme.

D’une manière générale, le projet d’aménagement stratégique du schéma de cohérence territoriale (SCOT) et le projet d’aménagement et de développement durables (PADD) du plan local d’urbanisme communal (PLU) ou intercommunal (PLUi) doivent intégrer dans leurs objectifs la protection des patrimoines naturels et culturels. Pour assurer la protection et de la mise en valeur de leur patrimoine, les élus locaux disposent d’outils spécifiques.

Tout d’abord, les collectivités peuvent fixer, dans le règlement du PLU, des règles concernant l’aspect extérieur des constructions neuves, rénovées ou réhabilitées, « afin de contribuer à la qualité architecturale, urbaine et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l’insertion des constructions dans le milieu environnant », comme le prévoit l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme (RNI), il est ainsi possible de refuser un projet de construction qui serait « de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ».

Les communes et intercommunalités peuvent aussi intégrer dans les plans locaux d’urbanisme (PLU et PLUi) des orientations d’aménagement et de programmation (OAP). Ces OAP peuvent notamment « définir les actions et opérations nécessaires pour mettre en valeur l’environnement, les paysages, les entrées de villes et le patrimoine » et fixer des règles particulières portant « sur des quartiers ou des secteurs à mettre en valeur, réhabiliter, renaturer, restructurer ou aménager ». Les autorisations d’urbanisme ultérieurement délivrées devront être « compatibles » avec ces OAP.

Enfin, entre autres dispositifs, les collectivités ont la faculté de localiser, d’identifier ou délimiter des « quartiers, îlots, immeubles bâtis ou non bâtis, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à conserver, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d’ordre culturel, historique ou architectural » et de définir des règles de protection spécifique. Elles ont ainsi la possibilité, à l’instar de Rennes Métropole ou de Saint-Malo, d’inscrire certains édifices au patrimoine bâti d’intérêt local (PBIL) et fixer des règles de conservation strictes.

Ces règles de protection du patrimoine peuvent, dans certains cas, sembler excessivement contraignantes aux élus locaux et aux professionnels de la construction. Elles n’en sont pas moins indispensables pour protéger un patrimoine unique, qui façonne la mémoire et l’identité de nos villes et de nos villages. Ce dispositif pourrait même être renforcé en rendant par exemple obligatoires l’inventorisation et la protection du patrimoine local par les collectivités. Car comme le déclarait Chateaubriand dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem, « Les grands monuments font une partie essentielle de la gloire de toute société humaine. On ne peut condamner ces édifices qui portent la mémoire d’un peuple dans l’histoire ».

Expertise par Me Jean-Baptiste Chevalier, avocat au barreau de Rennes.

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