On connaît surtout Christian Le Squer, 62 ans, pour ses trois astres au guide Michelin au George V, à Paris. Mais le chef breton n’irradie pas seulement la capitale française : il est particulièrement présent en Bretagne où il distille son expertise culinaire pour le compte du groupe Demeter et de sa marque AR Collection Hôtels, qui réunit plusieurs hôtels et restaurants dans la région. Ce groupe, dirigé par Pierre Ruello, exploite également d’autres adresses du quartier de la gare de Rennes.
Natif de Plouhinec (56), le maître queux a grandi au bord de la ria d’Étel, dans le Morbihan, où il décrit une enfance pétrie par les embruns : « J’habitais au bord de la mer et en même temps je côtoyais le monde agricole. Pour me faire un peu d’argent de poche, je pêchais des palourdes, des huîtres, des crevettes bouquets ou encore des homards, que je revendais aux mareyeurs et restaurateurs locaux. »
Dès ses 14 ans, Christian Le Squer rejoint son oncle, armateur, qui disposait d’un bateau de pêche ancré dans le port de Lorient. L’équipage met alors le cap sur Terre-Neuve pour une épopée maritime de deux semaines. Ce n’est pas la pêche au cabillaud qui séduit le jeune homme, mais les repas, ces moments de partage qui représentent la seule distraction à bord : « Du moussaillon au commandant de bord, tout le monde mangeait à la même table. » Alors, c’est décidé, Christian Le Squer va dédier sa vie à la sublimation des produits.
Après l’école hôtelière de Vannes, le Breton fait ses armes dans un restaurant de La Trinité-sur-Mer. Il se fait rapidement remarquer et le chef des lieux l’incite à rejoindre les brigades des grandes maisons parisiennes. Christian Le Squer écume ainsi les cuisines de L’Archestrate, la table du mythique Alain Senderens, puis du Taillevent et du Lucas Carton. Il devient par la suite sous-chef du Ritz, sous la direction de Guy Legay. À 30 ans, il décide de tenter le concours du Meilleur ouvrier de France (MOF), mais ne parvient pas à ses fins. « J’ai raté mon concours pour la raison la plus bête du monde… J’ai salé ma tarte tatin aux pommes, au lieu de la sucrer », se souvient-il.
Christian Le Squer pose immédiatement sa démission, pour mieux rebondir… dans les cuisines du Café de la Paix, là où personne ne l’attendait. Il se concentre alors sur son art et convainc rapidement les gourmets et autres plumes à fourchette. Le Guide Michelin lui accorde une première étoile en 1996, puis une seconde en 1998 ; du jamais-vu au Café de la Paix. Le Tout-Paris découvre alors que le lait ribot a sa place dans les cuisines d’un étoilé.
« Les étoiles sont volatiles. »
En 1999, le Morbihannais est appelé au Pavillon Ledoyen, célèbre table qui sert de décor au film Le Grand Restaurant. L’année suivante, Christian Le Squer parvient à conserver les deux étoiles dont dispose l’établissement. En 2002, c’est la consécration avec l’obtention d’un troisième macaron. En plus de la toque de chef de cuisine, le Breton coiffe alors la casquette de chef d’entreprise avec le rachat, aux côtés d’un actionnaire, du Pavillon Ledoyen au groupe Vivendi.
Christian Le Squer s’épanouira chez Ledoyen pendant près de quinze ans, avant de revendre ses parts : « Toutes ces années chez Ledoyen m’ont permis de comprendre le business et l’importance de la régularité. Les étoiles sont volatiles. » En 2014, le George V, l’un des palaces les plus en vue de la capitale, est en quête d’un nouveau chef et recrute alors Christian Le Squer. Le maestro y conquiert une aura internationale. Derrière les fourneaux, il délivre une cuisine basée sur la matière première, avec « beaucoup de saveurs et qui se rend à l’essentiel du goût ». Son credo ? La modernité, portée par une solide formation de saucier qui lui permet de subjuguer l’art de vivre à la française.
Au George V, le chef a les coudées franches. Autour de lui, on s’active pour qu’il puisse laisser libre cours à sa créativité. « À la différence d’un trois-étoiles en province où l’on doit tout faire, de la gestion des équipes au remplacement d’une ampoule, nous avons dans les palaces tous les services qui nous permettent de nous concentrer uniquement sur l’assiette », observe-t-il.
En parallèle de ses activités de chef de palace, Christian Le Squer développe sa société de consulting. Il encadre ainsi l’offre de restauration de différents établissements d’AR Collection hôtels, à l’instar du Moulin de Rosmadec dans le Finistère, ou encore de l’hôtel-restaurant l’AR Iniz, à Saint-Malo. En homme d’affaires avisé, il bénéficie ainsi de la visibilité que lui confère le George V et mène de concert des prestations de conseils. Il s’est aussi ouvert à l’international avec des restaurants à Toronto et au Vietnam.
À Rennes, c’est une partition d’une grande précision qui est déroulée au sein du Paris-Brest by Christian Le Squer. « Nous sommes dans un buffet de gare où l’on fait de la bistronomie. Cela signifie que les gens qui viennent au Paris-Brest s’y rendent pour une cuisine de produits frais transformés, du petit légume en passant par la pêche du jour. Ce qui est très rare pour un restaurant de gare », se félicite-t-il. Un « restaurant de gare » devenu un lieu privilégié, notamment pour la clientèle d’affaires, puisqu’il attire à 80 % un public qui n’est pas composé de voyageurs.
LIRE AUSSI nos précédents portraits :
PORTRAIT. Marcelino Truong, illustrateur : « Travailler avec le sérieux d’un enfant qui joue »
PORTRAIT. Annie Berthelot, BCI : une femme d’ici et d’ailleurs
PORTRAIT. Solène Saclier, Sailiz : « Une forte attente des femmes navigatrices »
PORTRAIT. Sébastien Possemé, gendarme numérique : « Dans l’ombre, nous sauvons des vies »