Politiquement, elle est née le 21 avril 2002. Ce soir-là, Laurence Fortin adhère au Parti socialiste, un élan déclenché par l’éviction de Lionel Jospin au second tour de l’élection présidentielle et la qualification de Jean-Marie Le Pen. « Mon voisin militait activement au Front National et moi, j’étais là, sur mon canapé, à regarder la télévision. » Une réactivité qui témoigne de son pragmatisme. « J’étais déconnectée des partis, je me suis engagée dans le militantisme comme on s’engage dans la vie associative. »
En réalité, la graine de l’engagement était déjà semée. Ses parents baignent dans un milieu militant « catho de gauche ». Son père, « petit paysan », est conseiller municipal d’opposition à Plouédern, dans le Finistère. Mais c’est surtout la trajectoire de sa mère qui semble avoir été déterminante. Femme au foyer jusqu’à ses 40 ans, Francine L’Hour a dû retourner travailler car l’exploitation familiale ne suffit plus. « Ma mère est assez atypique, très engagée associativement. » Francine L’Hour a même été présidente de la fédération ADMR du Finistère, un réseau d’aide à la personne.
De cet héritage, Laurence Fortin garde l’envie de s’investir pour le collectif et le désir de toujours travailler. « J’ai eu trois enfants en cinq ans. Beaucoup me demandaient ‘Pourquoi tu ne t’arrêtes pas de travailler ?' » Aurait-on posé la question à un homme ? « Avec mon mari, nous nous sommes organisés. » Son mari, chef d’entreprise dans la fabrication et distribution d’engrais organique, issu du milieu rural du Poitou, vient également des mouvements catholiques ancrés à gauche, notamment le Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC). Laurence Fortin l’a rencontré lors d’une grève au Crédit Agricole, où ils étaient alors tous deux salariés.
Depuis 22 ans, l’élue est salariée du Crédit Agricole. « Il y a une culture maison, c’est exigeant, mais c’est une grande famille. » Rien ne la destinait pourtant au secteur bancaire. Après un baccalauréat à Morlaix et une formation à Angers, elle envisage plutôt de devenir commerciale horticole. Mais, en 1992, à une époque où le taux de chômage atteignait les 10 %, elle entre dans la banque agricole et gravit tous les échelons, passant du guichet à la direction d’agence, en passant par le service qualité du siège. « C’est un métier en prise avec l’actualité. » Elle se souvient d’ailleurs encore de la crise de 2008 : « Les gens avaient peur de perdre leur argent, de l’effondrement des marchés. »
En parallèle de sa vie professionnelle, Laurence Fortin monte en grade au sein du Parti socialiste. Secrétaire de section, elle garde encore en tête le référendum pour le Traité constitutionnel européen de 2005, « un moment fort en tant que militante. » Le sujet fait d’ailleurs grand débat au sein du Parti socialiste, révélant une fracture interne exacerbée par des figures telles qu’Henri Emmanuelli, Jean-Luc Mélenchon et Laurent Fabius. « Il y avait un travail important de conviction à mener. » François Hollande, alors premier secrétaire du PS, voit son autorité affaiblie, présageant des batailles internes pour la présidentielle de 2007.
« Il reste beaucoup à faire pour faire évoluer les femmes dans les fonctions électives. »
En 2008, encouragée par François Marc, sénateur du Finistère, elle commence véritablement son parcours d’élue locale en devenant adjointe au maire de La Roche-Maurice. « François Marc m’a énormément inspirée, sans lui, je n’aurais jamais fait de politique. Il m’a toujours invitée à poursuivre, à avancer. Toutes les grandes décisions que j’ai eues à prendre, j’en ai toujours discuté avec lui. C’est une personne à qui je peux tout dire. » En 2014, elle devient maire et vice-présidente de la Communauté de Landerneau Daoulas, en charge des finances et de la prospective. Élue en 2010 conseillère régionale de Bretagne, elle préside la commission économie en 2012. Après les élections régionales de 2015, elle devient vice-présidente en charge de l’aménagement territorial, puis vice-présidente en charge des territoires, de l’économie et de l’habitat.
Ce n’est un secret pour personne, l’exercice d’un mandat d’élu local n’est pas de tout repos. « On n’a rien trouvé de mieux que la démocratie. Il est normal d’avoir des avis différents. Il faut prendre de la distance avec les critiques. Les élus sont des apporteurs de solutions. Tout ce qu’on fait, c’est pour le Breton ou la Bretonne. Si ce n’était pas compliqué, nous ne serions pas là, nous traiterions les problèmes avec des fichiers Excel, affirme-t-elle. Il reste beaucoup à faire pour faire évoluer les femmes dans les fonctions électives. On nous pardonne moins qu’aux hommes. Plusieurs fois, lors de rendez-vous, on s’adresse en priorité aux interlocuteurs masculins. »
Laurence Fortin parcourt les routes bretonnes, 80 000 kilomètres par an, à la rencontre des chefs d’entreprise, des agriculteurs, des élus… « Je voudrais pouvoir rencontrer et échanger avec davantage de salariés », dit celle qui a été syndiquée la CFDT. Quand elle peut, elle écoute des podcasts, notamment l’émission philosophique de Géraldine Muhlmann sur France Culture. Une de ses filles, étudiante à Sciences Po Paris, prépare une thèse sur le thème de la mélancolie démocratique. Laurence Fortin, elle, n’a pas l’air d’être de ceux qui connaissent le spleen.
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