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SurfactGreen la révolution verte des tensioactifs

Issue des travaux de recherche de l'École Nationale Supérieure de Chimie de Rennes, SurfactGreen propose une alternative durable et efficace aux tensioactifs dérivés du pétrole. L’entreprise s'est spécialisée dans la formulation de ces produits biosourcés et a fait de l'industrie cosmétique son principal terrain de jeu, représentant 90% de son activité. Forte d'une centaine de clients en France et à l'international, générant un chiffre d'affaires de plus de 2,5 millions d'euros, l'entreprise étend désormais sa présence dans 26 pays. Rencontre avec son directeur général, Xavier Roussel.

©7 Jours - Studio Carlito

Les tensioactifs, également connus sous le nom de surfactants en anglais, sont présents dans une variété de produits que nous utilisons au quotidien comme les cosmétiques, les détergents, les produits de nettoyage, les adoucissants, les médicaments ou encore dans la peinture… Leur pouvoir réside dans leur capacité à réduire la tension superficielle entre les liquides et les solides. Pour faire simple, les tensioactifs sont des composés chimiques qui facilitent le mélange de choses qui ne se mélangent pas normalement, comme l’huile et l’eau. En d’autres termes ils aident à combiner des ingrédients qui seraient autrement incompatibles… Le problème c’est que la plupart sont dérivés du pétrole et ont un effet néfaste sur l’environnement par leur toxicité et le fait qu’ils sont difficilement biodégradables.

De la chimie verte

Pour répondre à ces enjeux environnementaux, SurfactGreen se concentre sur la formulation de produits éco-responsables sans compromettre leur efficacité. « Nous avons placé la performance au cœur de notre projet dès le début », insiste Xavier Roussel, directeur général de l’entreprise. «on ne veut pas faire du green pour faire du green. Nous sommes aussi performants que les références sur le marché et 100% naturel. C’est très différenciant. Actuellement sur le marché on voit des produits d’origine naturelle, mais qui ne fonctionne pas ou qui ne sont pas entièrement naturels s’ils sont performants. Faire l’un ou l’autre c’est assez facile en fait, faire les deux en même temps et qui soit économiquement acceptable est beaucoup plus difficile. C’est pour ça qu’Il y a un trou dans la raquette sur le marché en ce qui concerne la qualité verte. »

« Nous sommes aussi performants que les références sur le marché et 100% naturel»

Une gamme cosmétique « 60 fois moins écotoxique » 

Si les tensioactifs sont utilisés dans de nombreux domaines, SurfactGreen a choisi de se concentrer sur le secteur de la beauté, répondant ainsi à une réelle attente des consommateurs. L’entreprise a identifié le boom de la cosmétique solide, qui a débuté autour de 2018, comme une opportunité pour pénétrer ce marché. Grâce à cela, SurfactGreen a construit sa crédibilité en tant que fournisseur industriel, passant du marché de la cosmétique solide, où elle est toujours présente, à celui de la cosmétique traditionnelle. Leur première cible a été les soins capillaires, notamment les démêlants. « Dans les soins capillaires, deux molécules sont présentes dans 80 % des produits. Parmi ces molécules, l’une n’est pas biodégradable et les deux sont 60 fois plus écotoxiques que nos produits. Si vous vous lavez les cheveux tous les jours, vous rejetez quotidiennement des substances actives écotoxiques dans les égouts, qui finissent par se retrouver dans les océans. », explique Xavier Roussel. Les produits de leur gamme « CosmeGreen » devraient bientôt être intégrés dans des produits de soin pour la peau, les lèvres, le maquillage, le solaire, etc. Xavier Roussel précise : « Il faut compter environ un an de cycle de développement pour un produit destiné à un client, incluant les aspects techniques, marketing, tests et lancement. »

« les tensioactifs sont présents dans 50% des produits achetés par les consommateurs »

Réduire l’émission de CO2 de l’industrie routière

SurfactGreen a développé une véritable plateforme dédiée aux tensiosactifs, permettant de créer des solutions adaptées à différentes applications, comme l’émulsion de bitume pour la construction routière. « L’industrie routière s’est engagée dans un plan de réduction du CO2. La technologie clé pour atteindre cet objectif est celle des émulsions de bitume à froid. L’enjeu principal est de réduire les températures. Pour étaler du bitume sur une route, il faut le chauffer à 160 degrés. Avec le bitume à froid, on mélange le bitume avec de l’eau, et un émulsionnant, un tensioactif, permet d’étaler du bitume à 70°, réduisant ainsi la température de près de 100 degrés. Cela engendre des économies de CO2 et d’énergie. Par ailleurs, lorsque l’émulsion se casse, le tensioactif qui se déverse avec l’eau n’est pas polluant», explique Xavier Roussel. « Nous avons déjà signé les premiers contrats et réalisé des preuves de concept à l’échelle réelle sur route, démontrant la performance technique du produit. Il ne reste plus que quelques validations, mais nous sommes très proches de la commercialisation ».

« Il faut compter environ un an de cycle de développement pour un produit destiné à un client »

Lutter contre la pollution dans les stations d’épuration

SurfactGreen s’intéresse également à un autre domaine d’application pour réduire la pollution des eaux : le secteur des détergents, en particulier celui du lavage de voitures. « La problématique dans ce domaine concerne la contamination des eaux qui se dirigent vers les stations d’épuration. L’enjeu est de diminuer la charge polluante des eaux issues des stations de lavage. Nous sommes actuellement en phase de développement intensif de cette gamme de produits, avec des preuves de concept robustes et des phases de validation en cours. Les tests réalisés montrent des propriétés de nettoyage de carrosserie très prometteuses. » Pour tester l’efficacité de leurs produits, l’équipe effectue des essais comparatifs sur des demi-voitures et récupère les eaux usées pour en mesurer les teneurs en polluants.

Des produits biodégradables rejetés en mer du Nord

SurfactGreen a également développé des inhibiteurs de corrosion à faible impact environnemental, un autre domaine d’application prometteur. Leur première cible concerne l’extraction du pétrole en mer du Nord. Lors de l’extraction, les opérateurs sont confrontés à d’importants problèmes de corrosion dans les pipelines et doivent injecter en continu des inhibiteurs de corrosion, contenant des tensioactifs, pour protéger les infrastructures. Ces produits, en fin de vie, sont rejetés dans l’océan. « Dans la mer du Nord, il est désormais interdit de rejeter tout produit non biodégradable. Les acteurs de l’industrie ont donc besoin d’inhibiteurs de corrosion adaptés. L’enjeu principal est de démontrer que ces inhibiteurs ont d’excellentes propriétés anti-corrosion tout en étant biodégradables. » SurfactGreen est actuellement en phase de développement de ces solutions. Selon les grands acteurs du secteur pétrolier, la réglementation appliquée en mer du Nord devrait s’étendre au niveau mondial, à terme. L’entreprise travaille en partenariat avec des acteurs reconnus sur le marché et mène des tests depuis plus de trois ans.

Nouvel outil industriel 

Face à l’expansion de son marché et aux demandes croissantes de grands acteurs en quête de volumes importants, SurfactGreen a décidé de mettre en œuvre une infrastructure industrielle dédiée pour la production de ses produits. Un élément clé de cette stratégie est la construction d’un démonstrateur pilote à l’échelle industrielle sur le site orléanais de la société Orrion Chemicals. Cette installation aura une capacité de production annuelle de 1 000 tonnes de tensioactifs biosourcés. « Cela va nous permettre de rationaliser l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, de mieux contrôler la qualité, de rassurer nos clients quant à notre capacité à produire en volume, et d’avoir une meilleure visibilité sur les coûts », explique Xavier Roussel. Pour concrétiser ce projet, l’entreprise engage un investissement de 3 millions d’euros, avec une mise en service opérationnelle prévue pour juin 2024. En plus de renforcer le contrôle qualité, cela permettra également de mieux protéger les secrets industriels de SurfactGreen.

10 millions pour continuer à croitre 

L’établissement de cette usine s’inscrit dans un plan d’expansion plus vaste, financé par un investissement de 10 millions d’euros. Ce financement provient de Bpifrance, des actionnaires historiques de l’entreprise et de l’État, dans le cadre de France 2030, opéré par l’ADEME. Outre la construction de l’usine, l’investissement vise également à accélérer la croissance des produits CosmeGreen et à finaliser la mise sur le marché de produits destinés aux industries de la construction, de l’extraction pétrolière et de la détergence. « ce plan de financement s’inscrit parfaitement dans les ambitions sociétales et industrielles actuelles d’une chimie moderne, responsable et verte produite en France, » se réjouit Xavier Roussel.

Les tensioactifs, un marché de 40 milliards d’euros

SurfactGreen a déjà fait des avancées significatives dans quatre secteurs majeurs grâce à des modèles de développement basés sur des partenariats. Cependant, selon Xavier Roussel, de nombreux autres secteurs sont envisageables, comme celui des assouplissants pour le linge.  « Le processus est le même que pour les cheveux. Lorsque vous lavez votre linge en machine, vous créez beaucoup d’électricité statique. Pour l’éliminer, il faut utiliser des tensioactifs cationiques (charge positive). En supprimant l’électricité statique, la fibre se détend, rendant le linge plus doux. » Un autre domaine d’intérêt est l’agrochimie. « Lors de l’application de produits sur les plantes, il est crucial que les gouttelettes adhèrent aux feuilles, sinon elles tombent au sol et sont perdues. Notre technologie permet aux substances actives de s’accrocher aux feuilles ». Néanmoins, malgré des preuves concrètes de l’efficacité de cette technologie, l’entreprise a décidé d’arrêter le projet en raison de son coût et de sa durée. Le dirigeant de SurfactGreen évoque également le potentiel d’utilisation de leur technologie dans l’industrie du papier. « Pour obtenir un papier très doux, comme le Kleenex, il faut traditionnellement utiliser du bois à fibres courtes, comme l’eucalyptus, qui est exotique et coûteux. Mais en ajoutant de la chimie, nous pouvons rendre les fibres longues, comme celles du pin, qui est moins cher, plus douces. » Une pléiade d’applications, donc, attend l’entreprise qui veut révolutionner la chimie verte. « Les tensioactifs sont présents dans 50% des produits achetés par les consommateurs » souligne Xavier Roussel.

Du laboratoire à l’industrie

Fondée en 2016, SurfactGreen est l’incarnation de la réussite du transfert de la recherche académique vers l’industrie. Cette entreprise a vu le jour grâce aux travaux de deux enseignants-chercheurs de l’École Nationale Supérieure de Chimie de Rennes, les professeurs Thierry Benvegnu et Daniel Plusquellec. Ils ont mis au point une alternative écologique aux tensioactifs cationiques dérivés du pétrole, caractérisée par une faible toxicité voire une absence totale de toxicité et d’écotoxicité. Leur recherche a donné lieu à plusieurs brevets et à la création en 2011 d’une unité d’affaires, « Surfact’Green », visant à maturer la technologie. C’est en 2016 que le passage vers le monde économique a été rendu possible grâce à l’intervention de la SATT, qui valorise la recherche publique et facilite son transfert vers l’industrie. Le projet a été proposé à des investisseurs, notamment GO Capital, un fonds d’investissement en phase d’amorçage, ainsi qu’à plusieurs investisseurs privés, dont Pierre-Yves Divet, actuel président fondateur, et Xavier Roussel, directeur général de l’entreprise. l’équipe est composée au global de 20 personnes et 5 recrutements sont prévus en 2023.

Vous avez travaillé dans différents pays, lequel vous a marqué ?

Aux États-Unis, il y a moins de contraintes réglementaires, ce qui favorise une plus grande liberté pour innover. En revanche, la France et l’Europe ont une volonté forte de protéger le consommateur-citoyen, ce qui se traduit par des réglementations extrêmement contraignantes qui peuvent parfois freiner l’innovation. Cette surprotection a un effet pervers : les produits actuellement en place, que beaucoup dénoncent, demeurent sur le marché en raison des obstacles à l’innovation.

Un livre à conseiller ?

Il y a deux livres qui m’ont beaucoup inspiré. Le premier est « La Stratégie Océan Bleu » de W. Chan Kim et Renée Mauborgne. Ce livre passionnant présente des concepts novateurs pour se démarquer de la concurrence et créer de nouveaux marchés.

Le second livre est « Crossing the Chasm » de Geoffrey A. Moore. Il est particulièrement pertinent pour les entreprises innovantes comme la nôtre. L’auteur identifie plusieurs obstacles que les startups doivent surmonter. Le premier concerne la mise au point de solutions techniques à l’échelle industrielle, le second consiste à trouver les premiers clients et le troisième à atteindre des clients plus importants pour assurer la pérennité de l’entreprise. Le « chasm » désigne cette difficulté à conquérir des clients majeurs et à franchir les différentes étapes de croissance. Ce livre offre des techniques pour aborder ces problèmes efficacement.