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ENTRETIEN CROISÉ. Transmission de TPE -PME : entre défis humains et financiers, comment réussir ?

La transmission d’entreprise est un processus complexe, mêlant enjeux patrimoniaux et humains. Christine Ducasse, notaire à Saint-Grégoire et Aude Bouvet, expert-comptable à Rennes (35), apportent leur éclairage croisé sur ce sujet clé pour les TPE et PME, où l’entreprise est souvent le fruit d’une vie entière de travail et d’investissement. Entre les questions d’attachement émotionnel des dirigeants, les défis liés à la valorisation ou encore les subtilités du Pacte Dutreil, les expertes partagent leurs expériences et leurs analyses.

Aude Bouvet, experte-comptable à Rennes et Christine Ducasse, notaire à Saint-Grégoire

Aude Bouvet, experte-comptable à Rennes et Christine Ducasse, notaire à Saint-Grégoire ©7Jours/Bruneau

Quels sont les défis humains d’une transmission d’entreprise, a fortiori d’une TPE ou PME ?

Aude Bouvet. Dans l’idéal, les chefs d’entreprise âgés de 50 à 60 ans devraient poser leurs projections et ne pas y déroger. Mais c’est rarement le cas. Selon les moments, ils veulent passer la main, puis il suffit qu’il y ait une opportunité de croissance externe potentielle pour que la flamme se ravive. Ce sont des décisions qui concilient des souhaits souvent contradictoires. Ils veulent à la fois transmettre aux enfants mais aussi toucher le fruit financier de leurs années de travail pour maintenir un certain train de vie. Certains chefs d’entreprise choisissent de ne pas transmettre à leurs enfants, estimant que cela pourrait être un fardeau et préfèrent ne pas leur imposer leur propre aventure entrepreneuriale.

« Ce n’est pas parce qu’un enfant est héritier qu’il a les capacités ou l’envie de diriger l’entreprise. »

Christine Ducasse. L’attachement émotionnel du dirigeant à son entreprise est un facteur clé. J’observe deux approches : d’un côté, ceux qui transmettent en laissant le champ totalement libre à l’enfant qui reprend. Cela demande généralement une phase de transition de cinq à six ans. D’un autre côté, ceux qui restent très impliqués, parfois au point de freiner la prise d’indépendance du repreneur.

Je me souviens d’une transmission où la fille, après avoir repris les rênes, a fini par dire à son père : « Ça suffit, tu me laisses faire maintenant. » Un autre enjeu réside dans les compétences et attentes du repreneur. Ce n’est pas parce qu’un enfant est héritier qu’il a les capacités ou l’envie de diriger l’entreprise. Le Pacte Dutreil laisse le temps de déterminer si l’enfant est prêt à reprendre l’activité ou s’il faut envisager une autre option.

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Vous évoquez le Pacte Dutreil, pouvez-vous expliquer en quoi ce dispositif consiste-t-il ? 

C. Duc. Le Pacte Dutreil est un dispositif fiscal conçu pour faciliter la transmission des entreprises familiales. Il offre une exonération de 75 % de la valeur de l’entreprise ou des titres transmis pour le calcul de ces droits. Ce dispositif s’adresse à tous types d’entreprises, qu’elle qu’en soit la taille, de l’entreprise individuelle jusqu’aux grands groupes de sociétés, à condition de respecter plusieurs critères. Parmi eux, figure un engagement de conservation des titres pendant six ans : deux ans d’engagement collectif de la part du donateur ou des héritiers du défunt, suivis de quatre ans d’engagement individuel par les héritiers ou donataires. De plus, l’un des héritiers ou des donataires doit exercer une fonction de direction, ou exercer son activité principale au sein de l’entreprise transmise pendant la durée de l’engagement.

A. Bou. Le Pacte Dutreil a été mis en place en 2003 sous l’impulsion de Renaud Dutreil, alors ministre des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce et de l’Artisanat. Sa philosophie est d’encourager la stabilité et la continuité des entreprises familiales, en réduisant la pression fiscale, afin de préserver le tissu entrepreneurial. L’objectif était d’éviter les cas où les familles se voyaient contraintes de vendre l’entreprise pour régler les droits de mutation.

« Dispositif fiscal conçu pour faciliter la transmission des entreprises familiales, le Pacte Dutreil offre une exonération de 75 % de la valeur de l’entreprise ou des titres transmis pour le calcul de ces droits. »

Quelles sont les grandes étapes d’une transmission de TPE – PME ?

C. Duc. D’abord, déterminer le repreneur – un enfant, un neveu ou une nièce, un salarié… – puis le chef d’entreprise qui transmet doit, préalablement, étudier sa situation personnelle au regard de son régime matrimoniale, son patrimoine, sa situation familiale etc. Parfois, il peut être opportun de changer de régime matrimonial. Cela nécessite d’anticiper parfois plusieurs années en amont de la transmission.

A. Bou. Ensuite, il faut procéder à la valorisation de l’entreprise, qui servira de base au dispositif de transmission. C’est là que l’expert-comptable intervient. Pour se faire, il existe plusieurs méthodes : analyser la rentabilité intrinsèque de l’entreprise à partir des comptes historiques et des comptes en cours ou bien étudier les perspectives futures à partir des prévisions. Ces analyses peuvent être couplées avec une approche patrimoniale.

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Dans les TPE-PME, le dirigeant incarne souvent fortement l’entreprise. Tenez-vous compte de son départ dans la valorisation ?

A. Bou. Non, car j’estime que la transmission est anticipée et bien préparée. La valorisation repose sur ce que l’entreprise représente à un moment précis, indépendamment du départ du dirigeant.

Depuis 2018, environ 2 000 pactes Dutreil sont conclus chaque année, sur les 50 000 à 60 000 transmissions recensées annuellement (selon des estimations de la Direction générale des entreprises du ministère de l’Économie et de la DGFiP). Comment expliquez-vous cette proportion relativement faible ?

C. Duc. Le Pacte Dutreil reste un dispositif complexe, avec quelques zones grises. Cela demande un effort de pédagogie pour en clarifier les avantages. Il ne doit pas être détourné de sa finalité première, qui est de transmettre l’entreprise familiale. Les actifs à inclure dans le périmètre du Pacte ne doivent donc concerner que ceux nécessaires à l’activité professionnelle du chef d’entreprise.

Fin 2024, lors des débats sur le projet de loi de finances qui visaient à réduire les niches fiscales, il avait été question d’apporter des modifications au Pacte Dutreil qui offre un abattement fiscal très avantageux. Qu’en pensez-vous ?

A.Bou. Les ajustements proposés visaient à clarifier certaines zones grises, afin de préserver le dispositif sans en détourner la philosophie initiale. Il était également question de réduire l’exonération actuelle de 75 % sur la valeur des titres, dans le but de limiter le coût fiscal pour l’État. Ce qui est certain, c’est que le Pacte Dutreil doit être préservé dans son principe.

C. Duc. Tout à fait, il est crucial de maintenir ce système, qui est très intéressant pour les chefs d’entreprise.

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