« J’en ai assez de vivre dans un État où des émissions comme Touche pas à mon poste touchent à tous les sujets, avec des non-experts sur le plateau, où, du moins, des personnes indirectement informées des faits dont ils débattent. Où les procès médiatiques sont faits avant même que les jugements ne soient rendus par les tribunaux.
Cela me dérange profondément de vivre dans un État où certains jugements rendus par les tribunaux sont parfois le reflet d’une opinion, plus que l’expression de la bouche de la loi.
Cela m’inquiète que l’adoption de ces lois se fasse parfois avec un mépris affiché de façon décomplexée, eu égard aux normes supérieures, aux principes fondamentaux de la République Française, selon que l’opinion publique l’exige ou non. Opinion publique faite à son tour par les faiseurs professionnels d’opinion.
Cela m’exaspère de vivre dans un État où la vitesse d’exécution l’emporte sur la profondeur de la réflexion et où les décideurs s’empressent de réagir, la où les penseurs d’un temps réfléchissaient en amont aux garanties de la paix sociale.
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À la fois comme citoyen et comme Avocat
Déjà selon le penseur grec Aristote, « il est plus juste que la loi gouverne que n’importe lequel des citoyens ». Selon Cicéron, « nous sommes tous les serviteurs des lois afin que nous puissions être libres ».
C’est donc, à la fois comme citoyen et comme Avocat, serviteur de la loi, que je suis doublement troublé d’entendre le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, dire : « L’État de droit ça n’est pas intangible ni sacré. » Ce même ministre de l’Intérieur qui a tout de même tenu à dissiper tout doute sur sa pensée, lorsque quelques jours après avoir prononcé cette phrase, il a ajouté que, grosso modo, les atteintes à l’État de droit se justifiaient, y compris dans les pays démocratiques, notamment « lorsque les textes en vigueur ne garantissent plus tous les droits, à commencer par le premier d’entre eux : le droit d’être protégé ».
Après tout, les démocraties populaires des pays de l’Est ont bien existé, entre les années 1945 et 1990, de l’autre côté du mur de Berlin. Après les démocraties populaires, les démocraties populistes…
Égalité des sujets de droit devant les normes juridiques
Cette tribune ne se veut pas politique, de sorte que je garderai pour moi l’opinion que je nourris à l’égard de cette façon de gouverner par « punchlines » incessantes. Je partagerai avec vous bien volontiers en revanche, le besoin qui est le mien, de m’opposer, de résister, à cette volonté de porter atteinte à l’État de droit, au seul État dans lequel je souhaite vivre. Et je le ferai en NOUS rappelant à nous tous ce qu’est l’État de Droit.
L’État de Droit est une notion d’origine allemande (Rechtsstaat), théorisée au début du XXe siècle par le juriste autrichien Hans Kelsen. Il voyait l’État moderne comme un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées, de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée.
Dans ce modèle, chaque règle tire sa validité de sa conformité aux règles supérieures. Un tel système suppose, par ailleurs, l’égalité des sujets de droit devant les normes juridiques et l’existence de juridictions indépendantes. Au sommet de cet ensemble pyramidal figure la Constitution, suivie des engagements internationaux, de la loi, puis des règlements. À la base de la pyramide, figurent les décisions administratives ou les conventions entre personnes de droit privé.
Cet ordonnancement juridique s’impose à l’ensemble des personnes juridiques. L’État, pas plus qu’un particulier, ne peut ainsi méconnaître le principe de légalité : toute norme, toute décision qui ne respecterait pas un principe supérieur seraient en effet susceptibles d’encourir une sanction juridique. L’État, qui a compétence pour édicter le droit, se trouve ainsi lui-même soumis aux règles juridiques, dont la fonction de régulation est ainsi affirmée et légitimée.
La définition ci-dessus je l’ai trouvée sur le site officiel de l’Assemblée nationale française, l’institution qui décide les normes en ayant reçu mandat du peuple français.
Il y a en ce moment, une instrumentalisation que je trouve malhonnête de tous ces faits divers et donc aussi ce discours qui consiste à interpréter ce que veulent les Français. Ne devenons pas paresseux à l’ère d’internet, où l’information est disponible en un clic. N’attendons pas que le service de « prêt-à-penser » s’adresse à nous car il est dangereux.
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Droit à la sûreté
Il y a aussi une opposition dangereuse entre le droit à la sûreté et les autres droits, laissant volontairement penser que la sécurité serait le premier des droits.
Or, le droit à la sûreté, dans la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens, est contre l’arbitraire de l’État. C’est le fait de ne pas risquer d’être incarcéré sans motif. Ce sont les lettres de cachet. On en fait aujourd’hui le droit à la sécurité pour pouvoir exercer ses libertés. Ce sont les juridictions qui « libèrent les voyous et les violeurs sous OQTF » en ne faisant en réalité que preuve de courage dans le climat actuel, en leur qualité de serviteur de la loi, celle-ci fixant les règles de procédure qui protègent les libertés.
C’est aussi le Conseil constitutionnel, « accusé » parfois par certains de vouloir confisquer le pouvoir législatif et donc la souveraineté du peuple, là où il protège la constitution, qui protège notre vivre ensemble. À ce sujet, je suis outré de voir la part de budget consacré à la justice qui, avec les forces de l’ordre, assure la paix sociale.
Je me perds parfois au milieu de tant d’incohérences volontairement entretenues. Les faits divers sont dus à beaucoup de facteurs, mais quasiment jamais à un vide législatif. Et pourtant, à chaque fois, une nouvelle loi est proposée. Le coupable est identifié et jugé médiatiquement avant le procès. Et chaque jour, (par peur peut-être ?), nous consentons un peu plus à cela…
L’État dans lequel j’aimerais vivre, c’est le pays des droits de l’Homme ! Ce n’est pas un pays imaginaire, il existe déjà. Il « suffit » de le préserver contre les atteintes quotidiennes. »