« Monsieur, chef d’entreprise établi à Megève (72) était gravement malade. Il possédait l’intégralité du patrimoine familial, un important patrimoine immobilier situé en France, tandis que Madame résidait à Genève, en Suisse, avec leurs six enfants. Leur séparation menaçait de dilapider une part importante de leur patrimoine familial. Entre les frais de divorce et les coûts fiscaux associés à la succession, le couple risquait de perdre jusqu’à 16 millions d’euros.
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Changement de régime matrimonial et pacte successoral
Plutôt que d’acter le divorce, la family officer suggère un changement de régime matrimonial : passer de la communauté réduite aux acquêts à la communauté universelle avec une attribution intégrale au conjoint survivant. Cette option est généralement choisie afin de protéger le conjoint survivant en France, mais dans notre cas, c’était la seule option leur permettant d’éviter toute imposition au décès de Monsieur.
Cette solution était bien sûr très originale. Alors que les époux étaient sur le point de divorcer, je leur conseillais non seulement de ne plus divorcer mais d’intégrer tous les biens de Monsieur à une communauté universelle qui reviendrait à Madame intégralement lors de son décès. Ce changement de régime matrimonial ne coûtait rien à l’époque mais le risque était que Madame dilapide le patrimoine sans le transmettre à leurs enfants.
Toutefois, adossé à ce changement de régime matrimonial, j’ai recommandé un pacte successoral, une pratique permise en Suisse mais interdite en France.
Contrairement à un testament, un pacte successoral est un accord signé par plusieurs parties – dans ce cas, les époux et leurs 6 enfants – qui ne peut être modifié unilatéralement. Madame s’engageait dans ce pacte, après le décès de son époux, à vendre le patrimoine immobilier français et à effectuer des donations équitables à ses enfants. Madame étant résidente genevoise, tout comme ses enfants, elle pouvait leur donner l’argent issu de la vente des immeubles, sans payer de droits de donation à Genève.
Cette solution leur a coûté 450 euros de changement de régime matrimonial en France et 400 francs suisses pour le pacte successoral reçu par un notaire à Genève, au lieu des 16 millions que le divorce et la succession auraient coûté. À l’époque, nous étions satisfaits de ce montage, car il a permis à aux enfants de conserver un patrimoine durement acquis par leur père et surtout, car il a permis à Monsieur de partir en paix et non en plein divorce.
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Mais il y a un point que nous n’avions pas suffisamment anticipé, alors qu’il y avait deux avocats et deux notaires (en France et à Genève), c’est le déménagement d’un enfant à l’étranger.
Fiscalité et égalité : des défis persistants
Entre-temps, l’un des enfants s’est installé à Biarritz, en France, devenant ainsi soumis à la fiscalité française sur les donations. Contrairement à ses frères et sœurs restés en Suisse, cet enfant doit payer les droits de donation français, lorsqu’il reçoit sa part des immeubles progressivement vendus. Il reçoit donc moins que ses frères et sœurs, ce qui soulève une question fondamentale : l’égalité entre héritiers se mesure-t-elle dans ce qui est donné ou dans ce qui est reçu, une fois les fiscalités locales appliquées ?
Cette situation illustre un dilemme fréquent dans les successions internationales : comment concilier la volonté d’égalité exprimée par les parents avec les disparités fiscales entre pays de résidence des héritiers ? Un Breton ayant des enfants installés à l’étranger devra s’adapter aux régimes fiscaux et successoraux locaux, imposant parfois une réorganisation patrimoniale ou simplement d’affiner les termes de son testament. »