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GRAND FORMAT. Socomore : la chimie de haut vol

Spécialiste des produits chimiques pour l’aéronautique et l’industrie, Socomore, dont le siège est à Vannes (56), a réussi à conquérir le monde depuis que Frédéric Lescure en a pris la tête en 1998. Avec une entreprise affichant 120 millions d'euros de chiffre d'affaires, le capitaine d’une industrie désormais florissante lève un coin de voile sur une aventure entrepreneuriale singulière.

Frédéric Lescure, devant le nouveau siège de Vannes entièrement rénové grâce à des techniques écologiques

Frédéric Lescure, devant le nouveau siège de Vannes entièrement rénové grâce à des techniques écologiques ©StudioCarlito

3 millions d’euros et 27 salariés en 1998, 120 millions et plus de 400 collaborateurs en 2023 ! Socomore n’est plus une pépite morbihannaise, c’est un véritable gisement que Frédéric Lescure, l’actuel président, a su exploiter avec une redoutable dextérité. Il est à la tête aujourd’hui d’un groupe industriel qui compte six usines et 22 filiales réparties à travers le monde.

Socomore est présente sur tous les continents qui possèdent une industrie aéronautique. Spécialiste des traitements de surface, Socomore s’est imposée à l’international en fournissant notamment tous les avionneurs de la planète. Frédéric Lescure a tout de même désiré maintenir le siège à Vannes et sa principale usine à Elven.

3 millions d’euros et 27 salariés en 1998, 120 millions et plus de 400 collaborateurs en 2023.

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Le business à l’anglo-saxonne

Une réussite industrielle qui est à l’image de son dirigeant. Des débuts hésitants et la construction progressive d’une success-story. « J’étais un cancre version pro jusqu’à l’âge de 20 ans, aime-t-il à plaisanter. Puis j’ai intégré le Cesem (le bachelor de l’ESC Reims). C’est là que j’ai mis un sérieux coup de collier. Avec deux ans passés à Londres, je me suis révélé très bon élève en milieu anglophone. Allez savoir pourquoi ? J’ai tendance à la dyslexie en français mais pas en anglais. » La culture anglo-saxonne de l’entreprise est en lui. Pas de retour en arrière possible. Une école d’officier de réserve, un mariage, une embauche chez Saint-Gobain… La carrière du petit cancre dijonnais est lancée.

Parfaitement bilingue, il représente Saint-Gobain à Boston pour la division fibre de verre de renforcement en Amérique du Nord. Elle lui paie son troisième cycle à Harvard puis, à son retour en France, l’Université du Verre. Il prend ensuite la direction des Cartonneries de Maurepas à Rennes.

« J’étais convaincu que j’allais conquérir le monde en 18 mois. »

Et il ne quittera plus la Bretagne. « En 1997, j’ai démissionné car j’avais très envie de créer ma propre boîte. Mais je me suis aperçu que c’est très compliqué de partir de rien, avoue-t-il sans fard. J’ai d’ailleurs toujours beaucoup d’admiration pour ceux qui y parviennent. » Il choisit de racheter Socomor (sans e à l’époque) avec l’aide d’un fonds d’investissement lyonnais. « J’étais alors convaincu que j’allais conquérir le monde en 18 mois. Il m’a fallu 20 ans et c’est génial ! »

Rebondir après chaque crise

L’enthousiasme du dirigeant est sa force principale. Elle l’aide à convaincre, à établir la confiance, à rassembler les talents… « Ma vie d’entrepreneur repose sur trois piliers : la confiance, que je donne par défaut ; le droit à l’erreur et l’audace, explique-t-il. C’est grâce à ces valeurs que l’entreprise a survécu aux crises de 2002, 2009 et 2020. Nous avons « morflé » de manière XXL et notre pronostic vital était même engagé. »

À chaque fois, l’entreprise s’en sort victorieuse et rebondit de manière spectaculaire en triplant son chiffre d’affaires dans les trois ans. « À quand la prochaine crise ? Ironise le PDG. Je fais le fanfaron mais c’était vraiment dur. Heureusement, nous avons une équipe formidable et des modes de réalisation qui savent tirer parti des crises. »

« Avec les crises, nous avons morflé de manière XXL et notre pronostic vital était même engagé. »

La meilleure illustration reste la période Covid. Quand le confinement survient, l’activité est stoppée nette. « Nous sommes alors passés en mode dictatorial, dit-il. Les équipes m’ont fait confiance et nous avons fabriqué du gel hydroalcoolique à la demande du préfet ! Nous avons rentré jusqu’à 120 000 litres d’alcool pur par jour et nous sommes devenus le premier fabricant français de gel mais surtout le plus gros « trafiquant » d’alcool. » Au nom de l’État, le préfet n’avait qu’à réquisitionner l’appareil productif en surchauffe pour fournir tous les hôpitaux en gel hydroalcoolique et en lingettes désinfectantes. La France, reconnaissante, lui accordera l’année suivante la Légion d’honneur. « On ne peut pas faire mieux comme hommage, reconnaît-il. En plus, j’ai eu la chance que ce soit mon père qui me la remette. »

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Frédéric Lescure est volontaire et sait prendre des initiatives fortes pour « faire sa part ». Quand il a fallu licencier 70 salariés et fermer deux usines au Canada et au Brésil, il n’a confié ce devoir à personne car « c’était ma responsabilité et c’était la bonne décision à ce moment-là ». Il se réjouit néanmoins aujourd’hui que l’usine de São Paulo ait été rachetée par les salariés.

Jamais de regret et beaucoup de patience. « Nos clients établissent des cahiers des charges très précis sur leurs besoins, et nous travaillons dix, quinze ou vingt ans pour les développer, dit-il. En ce moment, nous commençons seulement à vendre des briques technologiques dont le développement a débuté entre 2002 et 2008, et qui seront rentables seulement dans cinq ou six ans. C’est à la fois d’une complexité inouïe et fabuleuse. Qui pourrait venir concurrencer mon équipe de 70 collaborateurs en R&D sur un cycle de 20 ans ? »

« Networking or not working »

Le Petit Poucet de 1998 qui désirait affronter des géants comme PPG, Henkel ou 3M, pesant tous plus de 50 milliards d’euros, s’est fait sa place dans le milieu. « Seul, je me voyais mal tailler des croupières à ces géants alors je suis allé voir mes confrères pour leur proposer de collaborer, principalement aux USA, se souvient-il. Ils me répondaient généralement que ce n’était pas possible car nous étions concurrents. Mais en fait, nous n’étions concurrents que sur 5 % du marché. Cela nous en laissait 95 %. Sensibles à mon argument, 40 d’entre eux ont rejoint Aerochemicals, que je venais de créer. Depuis, on en a racheté dix-sept d’entre eux ! » Une réussite presque insolente qui repose en grande partie sur le réseau. « Networking or not working », disent les Anglo-saxons. Pas de réseau, pas de boulot, Frédéric Lescure en a fait sa devise et presque son quotidien.

Miser sur une stratégie de réseau : « Networking or not working », pas de réseau, pas de boulot.

Il est notamment à l’origine de l’alliance de ses patrons vannetais qui ont participé au succès de Vénétis, devenu l’un des plus grands groupements d’employeurs français mais aussi du Petit Club qui vient d’ouvrir sa huitième crèche interentreprises.

Le réseau, toujours le réseau, quand il crée le Groupement d’intérêt économique (GIE) Albatros avec les Vannetais de Multiplast, les Guidélois de Coriolis Composite et trois collègues nantais. « Nos PME n’étant pas au courant de ce qui se passait dans les pôles de compétitivité, nous avancions un peu à l’aveugle, explique-t-il. Mais en créant ce GIE, nos représentants pouvaient assister aux réunions des clusters, de l’IRT et des pôles de compétitivités, afin de comprendre tous les enjeux et placer nos technologies. Aujourd’hui, nous sommes plus d’une trentaine et c’est un fabuleux moteur d’innovation. » Tout est bon pour travailler ensemble tant que c’est légal, une ligne rouge que celui qui se définit comme « champion du monde de deals polymorphes » ne veut jamais franchir.

Le sens des relations humaines guide le dirigeant

Le sens des relations humaines guide le dirigeant ©StudioCarlito

Intéressement, SAS, mécénat…

Mais le réseau, pour lui, c’est aussi la cohésion de groupe au sein de son entreprise. Il accorde sa confiance mais reste attentif à toute « surchauffe » des collaborateurs qui se fixeraient des objectifs trop ambitieux pour « répondre aux challenges qu’on leur fixe ».

Il entend encore conforter leur sentiment d’appartenance à l’entreprise grâce à un intéressement annuel compris entre 6 000 et 8 000 euros mais aussi en transformant le statut juridique du siège (construit en bottes de pailles) en SAS, dont les salariés sont en partie propriétaires. Il investit également, chaque année, environ 200 000 euros dans le mécénat pour financer les projets portés par les salariés. « Je veux reconnaître le temps passé au service des autres », dit-il avec gratitude.

 

Frédéric Lescure aime par-dessus tout voir les points positifs et les souligner quand cela lui semble nécessaire. Râler, broyer du noir n’est pas vraiment sa tasse de thé. Ses nombreux voyages, en Inde notamment, lui font relativiser un brin la morosité nationale. « Nous vivons dans un pays merveilleux, nous ne nous en rendons même plus compte, déplore-t-il. Nous avons un très bon système de formation, de santé, de transports… Chacun devrait passer au moins un an à l’étranger et je suis sûr que l’on se plaindrait moins. En plus, la France est un paradis pour entreprendre. Nous avons le Crédit impôts recherche, France 2030, les PGE… Certes, il faut les rembourser mais quelles aides précieuses ! Combien de petites boîtes ont été sauvées avec cela ? »

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« Nous visons toujours plus de produits avionnables mais aussi ceux pour l’éolien, le nucléaire et le ferroviaire. »

Conquérir de nouveaux marchés

Le patron continue néanmoins d’aller de l’avant pour conserver la compétitivité de Socomore. Au printemps dernier, il a notamment changé de gouvernance en nommant José Coelho à la direction générale. « À 64 ans, je dois passer la main et c’est bien d’avoir du sang neuf, explique-t-il. Ma grande fierté est que ce changement de gouvernance m’a permis de faire tourner le Comex, sans perdre personne et je les remercie de m’avoir suivi. Nous avons construit ensemble quelque chose d’assez fort. » Mais pas question de retrait, hormis sur l’opérationnel.

Frédéric Lescure reste le stratège en chef. « Nous visons toujours plus de produits avionnables mais aussi ceux pour l’éolien, le nucléaire et le ferroviaire. Ces nouveaux marchés devraient nous rapporter environ 25 millions d’euros d’ici à 2030, précise-t-il. Aujourd’hui, le marché aéronautique nous porte mais il est encore convalescent après le Covid. » Le secteur se relève doucement mais peut-être au prix de la disparition de certains acteurs… Boeing pourrait notamment payer fort cher ses choix stratégiques de financiarisation. « C’est la loi des affaires mais c’est peut-être un mal pour un bien, admet Frédéric Lescure. Le marché devrait doubler d’ici à 2027, voire tripler d’ici à 2030. » L’avenir de Socomore s’annonce prometteur.

Bonus :

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La musique qui vous trotte dans la tête ? Crocodile Rock, d’Elton John. J’adore le morceau et j’aime aussi beaucoup danser le rock.

Votre loisir préféré ? Sans conteste la plongée sous-marine. J’ai passé les niveaux nécessaires pour vraiment prendre du plaisir.

Votre moment préféré de la journée ? Je suis tellement gourmand que je crois que je n’ai pas de moment préféré. La vie est belle.

Pour vous, le Morbihan, c’est… ? Un véritable coup de cœur. Ma femme sait parfaitement que mes cendres seront dispersées dans le golfe.

Et la voile ? J’en fais beaucoup. J’ai même acheté un trois-mâts de 1948, Le Français, que l’on met le plus souvent au service d’associations caritatives. On navigue quand même 240 jours par an grâce à vingt salariés…