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GRAND FORMAT. Altho Brets : la chips qui secoue le marché

Née en 1995 à Saint-Gérand, près de Pontivy (56), la chips aromatisée du groupe Altho Brets connaît un succès commercial fulgurant. En trente ans, la chips 100 % française a su grignoter d’importantes parts de marché sur un produit de grande consommation et ultra-concurrentiel où les multinationales étaient jusqu’alors prédominantes. Aujourd’hui, le Petit Poucet arrive à faire jeu égal avec les géants de la mondialisation, voire à les détrôner. Au-delà de la réussite économique, le groupe a su également initier un modèle de développement singulier.

Laurent Cavard,PDG du groupe Altho Brets pose devant l'une des neuf

Laurent Cavard,PDG du groupe Altho Brets pose devant l'une des neuf "chapelles" de stockage de pommes de terre du site historique de Saint-Gérand ©7Jours/D-Echelard

« Une chips sur deux mangées en France cette année est sortie de nos usines ! » Fin 2024, Laurent Cavard, PDG du groupe Altho Brets annonçait avec une certaine fierté avoir franchi un palier de développement important et, surtout, se réjouissait de séduire les consommateurs français.

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Ce qu’il ne précise pas forcément au grand public, c’est que 2024 est aussi une grande date pour la marque bretonne car elle passe pour la première fois de son histoire devant son principal concurrent Lays (groupe Pepsi-Cola).

Plus d'une trentaine d'arômes pour la chips 100% française

Plus d’une trentaine d’arômes pour la chips 100% française ©7Jours/D-Echelard

« Au P. 13 (décembre 2024), selon l’institut Nielsen, nous sommes passés devant Lays en tonnages sur le périmètre des hypermarchés, super et proxy mais aussi sur celui du hard discount avec 22,4 % de parts de marché (PDM) en tonnages contre 22,3 % pour Lays, dit Laurent Cavard. Sur cette fin d’année, nous passons aussi devant la multinationale en valeurs avec 26,7 % de PDM contre 23,2%.»

En 2024, Lays occupe donc toujours la première place du podium avec 24,7 % de parts de marché devant la marque Brets (19,4 %) et Vico (12,3 %). Mais quand on considère l’ensemble du marché de la chips en France, il est nécessaire de prendre également en considération la Marque de distributeurs (MDD). Et sur ce secteur, le groupe Altho Brets, revendique 38,8 % de PDM. « Avec une progression de 66 % en deux ans et 10 points de PDM en 3 ans, je crois que dans les marques de grande consommation, nous devons être les seuls à avoir de tels résultats, se félicite le PDG. C’est exceptionnel ! »

« Nous passons devant la multinationale Lays en valeurs avec 26,7 % de PDM contre 23,2 %. » – Laurent Cavard, PDG du groupe Altho Brets.

De la pomme de terre à la chips

La réussite d’Altho Brets, filiale d’Alain Glon Holding (AGH), s’explique bien sûr par le fait que les consommateurs français dévorent ses chips aromatisées mais tient aussi grandement à la personnalité de son dirigeant. Le 10 décembre 2024, lors de la 45e édition des Trophées LSA de l’Innovation, Laurent Cavard a notamment été élu « Personnalité de l’année 2024 » dans la catégorie Industriels PME-ETI.

Dans ses remerciements, le dirigeant a tenu à saluer la réussite collective de l’entreprise et remercier l’ensemble de ses collaborateurs. Car Brets, c’est aujourd’hui 453 employés sur deux sites : Saint-Gérand, à proximité de Pontivy, et Pouzin, en Ardèche, pour un chiffre d’affaires de 280 millions d’euros. La petite entreprise installée dans la campagne pontivienne depuis 1995 est aujourd’hui un poids lourd du secteur.

©7Jours/D-Echelard

Ce sont les frères Glon, Noël, Alain et André, qui décident dans les années 1990 de créer une filière de pommes de terre en réponse à la mise en place des quotas laitiers. Leur objectif est clair : fournir des revenus complémentaires aux éleveurs morbihannais, les principaux fournisseurs du groupe agroalimentaire. Profitant de l’existence locale d’une production de plants de pommes de terre, les trois frères créent une filière destinée à l’industrie.

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Très vite, les agro-industriels doivent structurer la production car les exploitations sont trop petites à la fois pour stocker les récoltes mais aussi pour investir dans du matériel onéreux et très spécifique comme les arracheuses. En 1991, l’idée d’une usine de chips commence à faire son chemin. Alain Glon s’associe à un industriel espagnol, Thomas Feito, pour la concrétiser. Même si l’association fait assez vite long feu entre les deux hommes, Alain et Thomas, le nom du groupe Altho est né.

La Marque de distributeur tire le groupe

Mars 1995, l’usine de Saint-Gérand démarre. « La première année, elle produira 600 tonnes de chips, raconte Laurent Cavard. On vient de loin surtout si l’on compare à notre activité d’aujourd’hui : uniquement pour le mois de janvier 2025, nos prévisions étaient de 1 800 tonnes ! » Les débuts sont compliqués car on ne devient pas chipsier du jour au lendemain. Pourtant, la marque survit puis décolle.

Le succès d’Altho réside encore aujourd’hui dans la Marque de distributeur, c’est-à-dire des chips fabriquées par Altho mais dont les paquets portent le nom de l’enseigne qui les vend. « C’est une notion qui a fortement évolué dans les années 1990, précise Laurent Cavard. Les distributeurs exigeaient des produits de qualité et non plus seulement des prix bas. Ils signaient pour des produits 20 % moins chers mais avec le même niveau de qualité que les marques propriétaires. » Le groupe Altho répond aux exigences mais sans jamais accepter la déflation. Aujourd’hui, le chipsier réalise 85 % de ses ventes en GMS.

« Quand je suis arrivé, j’ai été surpris par cette culture du résultat qui est assez rare dans une PME. »

Mais comme tout bon industriel le sait, il n’est jamais bon de placer ses œufs dans le même panier. Altho crée donc sa propre marque, Brets, dès 1995 en misant sur l’innovation produit : les chips aromatisées. Brets introduit en France un produit de snacking assez courant dans les pays anglo-saxons, notamment en Grande-Bretagne. La saveur poulet braisé bien qu’étant encore un best-seller de nos jours ne fait pas pour autant décoller les ventes. La firme reste à 3,5 % de parts de marché durant de nombreuses années. Mais en 2009, Laurent Cavard, prend la direction du groupe et lui fait franchir des étapes décisives.

L'automatisation sera fortement renforcée dans la nouvelle usine de production

L’automatisation sera fortement renforcée dans la nouvelle usine de production ©7Jours/D-Echelard

Relancer le business sur des bases solides

« Je ne suis pas Breton, je ne travaille pas dans l’agroalimentaire et je suis une pièce rapportée de la famille puisque j’ai épousé l’une des filles Glon, bref, rien ne me prédestinait à prendre cette direction », se souvient-il.

Cadre chez Michelin à Clermont-Ferrand, Laurent travaille dans les services financiers puis la Supply-Chain. « Quand je suis arrivé à Saint-Gérand, j’ai découvert qu’il existait déjà de la reprévision des résultats qui servaient à tirer les achats. Pour être franc, avoue-t-il aujourd’hui, j’ai été surpris par cette culture du résultat qui est assez rare dans une PME. Tout n’était pas complètement rustique… Il y avait notamment une culture qualité extrêmement forte et l’exigence du zéro rupture sur la supply chain avec un taux de service de 99,5 % ». Une belle performance pour un produit météo sensible et saisonnier, qualifié par les professionnels de la pomme de terre de « ruptirisque ».

L’une des premières décisions de Laurent Cavard est de construire une usine « miroir » à celle de Saint-Gérand au Pouzin en Ardèche pour couvrir le quart sud-est de la France et minimiser le dernier kilomètre parcouru. « Construire une usine, c’est une chose mais créer l’organisation qui va avec en est une autre, précise le P.-D.G. Pour avoir des prévisions partagées, des plans de productions et des stocks communs, il a fallu de gros investissements en informatique avec un système de supply chain intégré et un nouvel ERP… »

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Une direction de la supply chain, en la personne d’Alain Alexandre, est même créée. « Nous avons juste professionnalisé ce qui existait déjà », dit modestement Laurent Cavard. Le groupe possédait également une bonne culture du « costing » et du « quadruple net » (chiffre d’affaires moins toutes remises, ndlr.) sur la MDD mais la marque Brets restait sous exploitée.

Un lent processus de fabrication avant le conditionnement

Un lent processus de fabrication avant le conditionnement ©7Jours/D-Echelard

La marque Brets prend sa place sur le marché

En 2012, le chantier Brets débute avec un travail sur le logo, la naissance du terme protégé « Chipsier français », l’affichage du 100 % français, la mise en avant de la traçabilité (le nom du producteur de pomme de terre est indiqué au dos de chaque paquet).

« En travaillant sur la marque nous affirmions notre identité et nos valeurs. En 2011 déjà, nous avons arrêté de jouer les apprentis chimistes en supprimant les A et les E de notre processus de fabrication, explique Laurent Cavard. Cela fait peur au consommateur et n’apporte rien à nos produits. Aujourd’hui, nous n’utilisons que des ingrédients naturels. » Des choix qui semblent payants puisque certains grands distributeurs ont même réservé l’exclusivité pendant deux mois sur certaines nouveautés comme la saveur « aligot à l’aveyronnaise ». Brets n’est plus à la remorque de Lays, le rival historique.

« Construire une usine, c’est une chose mais créer l’organisation qui va avec en est une autre. »

« Nous nous distinguons de plus en plus clairement de Lays, et pas seulement sur nos produits, souligne Laurent Cavard. La filiale de Pepsi-Cola ne produit pas en France, a son siège social aux Pays-Bas, possède une supply chain mondialisée… Leur force, c’est la mondialisation mais sur la nourriture, ce modèle a des limites. En plus, dans cette position, difficile de proposer des chips qui correspondent aux goûts des Français. »

Brets mise donc sur sa différence : des produits « franchouillards » respectueux de l’environnement et des producteurs. « Nous voulons clairement être la marque française alternative aux multinationales », revendique le grand patron. Le pari semble en bonne voie d’être gagné. Sur le mois de décembre 2024, Brets a progressé de 25,5 % tandis que Lays régressait de 22 %.

Près de 2000 tonnes de chips sortent chaque mois de l'usine Altho Brets

Près de 2000 tonnes de chips sortent chaque mois de l’usine Altho Brets ©7Jours/D-Echelard

Répondre à la demande avec exemplarité

Les producteurs semblent également y trouver leur compte. La dernière campagne de recrutement visait un objectif de 1 000 agriculteurs supplémentaires (+ 500 hectares), plus de 1 200 ont répondu favorablement. La juste rémunération, la traçabilité, un travail respectueux des sols (tamisage limité) et la réduction des produits phytosanitaires sont les principaux arguments qui ont fait mouche. « Comme nous voulons couvrir 100 % de nos besoins, dit Laurent Cavard, nous prenons soin de nos producteurs en établissant une liste de traitements culturaux plus restrictive que celle autorisée par l’administration. Le 0 résidu de pesticide est chez nous une réalité. »

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Fort de cette « professionnalisation » et heureuse victime de son succès, le chipsier breton a lancé la construction d’une nouvelle unité de production, économe et performante. Appelée NP2, elle se situe en face de l’usine existante sur la commune de Noyal-Pontivy et occupera une superficie de 12 hectares. Prévue d’être construite en seulement 18 mois, elle devrait entrer en action dès 2026, produire jusqu’à 25 000 tonnes de chips aromatisées en 2030 et permettre l’embauche d’une quarantaine d’employés. L’unité de production ultramoderne sera grandement automatisée et devrait coûter environ 95 millions d’euros.

« Le 0 résidu de pesticide est chez nous une réalité. »

Garantir au mieux la traçabilité

Une seule route départementale séparant les deux usines de production Brets, la mutualisation des moyens sera accentuée. En premier lieu, la station d’épuration sera dimensionnée dès 2026 (pour un coût de 13 millions d’euros) pour recueillir et traiter les effluents de l’équivalent d’une ville de 75 000 habitants.

Une logistique imposante et un stockage très contraignant

Une logistique imposante et un stockage très contraignant ©7Jours/D-Echelard

NP2 sera aussi l’occasion de réutiliser encore plus efficacement les eaux de lavage des pommes de terre (plus 30 à 40 %) permettant au chipsier de passer de 11 litres par kilo de pommes de terre à 7,6 !

Une partie des eaux retraitées et non utilisables dans le circuit de production alimentaire servira à tripler les surfaces agricoles irriguées. Les déchets des deux unités seront également traités dans le même méthaniseur qui couvre aujourd’hui 27 % de la consommation. Une part qui devrait encore augmenter d’ici à 2030.

Toujours à horizon 2030, Brets investira encore 28 millions d’euros dans les infrastructures historiques et construira, sur le même site, sa propre usine d’huile de tournesol. Les produits bruts passeront d’abord par l’usine Sanders voisine qui en extraira l’huile (triturage sans benzène) et commercialisera les tourteaux.

« Le prix mondial de l’huile est déconnecté de toute réalité. »

L’huile sera ensuite acheminée sur le site de Brets, dans l’usine dénommée Bréthéol qui coûtera environ 10 millions d’euros et devrait démarrer dès 2026. « Dans cette unité, nous continuerons à travailler avec les acteurs locaux, des coopératives 100 % françaises, insiste Laurent Cavard. Nous conserverons ainsi une parfaite traçabilité de nos produits, un prix équitable pour les producteurs et nous garantirons aux consommateurs des ingrédients de qualité. »

Même si cet investissement ne génèrera certainement que peu d’économie pour l’industriel, il est sûr de « payer le Cost + et non pas le prix mondial déconnecté de toute réalité. »

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Le petit chipsier français définit son propre modèle de croissance et se laisse parfois entraîner par le rythme du marché. Cela fonctionne parfaitement au niveau comptable mais questionne le degré de maturité de l’entreprise. À l’automne dernier, un bad buzz sur les réseaux sociaux est venu bousculer la communication jusqu’alors sympathique du groupe.

©7Jours/D-Echelard

Quand des petits malins ont proposé des nouvelles saveurs cauchemardesques, la réponse du groupe n’a pas été à la hauteur. « Nous n’avons pas vu le coup venir, admet avec fair-play le dirigeant. En plus, nous avons assez mal réagi et nous n’avons même pas activé notre cellule de crise. C’est une erreur de jeunesse et très certainement une crise de croissance. » Grandir vite n’est pas sans poser de problème.