Que faites-vous chez Olga ?
Olivier Clanchin : Nous sommes une entreprise agroalimentaire familiale et indépendante depuis 3 générations, Olga a été fondée en Bretagne en 1951 par mes grands-parents Maxime et Olga Triballat. L’entreprise regroupe aujourd’hui 19 marques du secteur laitier et végétal à destination du grand public et des professionnels (Sojasun, Sojade, Vrai, Petit Billy, Grillon d’Or, etc.).
Votre entreprise compte aujourd’hui 1 400 collaborateurs et 330 producteurs pour un chiffre d’affaires de 335 millions d’euros. Vous êtes forts de 25 filières végétales et animales. Comment tout cela a-t-il débuté ?
Olivier Clanchin : Tout a commencé avec Olga et Maxime Triballat et leur rachat en 1951 de l’entreprise Ravalet, première fromagerie de Bretagne créée en 1874. Leur fille Françoise (ma maman) et mon père, Jean Clanchin, ont ensuite repris le flambeau, en 1964. L’entreprise connait sa première révolution en 1968 grâce à l’esprit innovant de mes parents. À l’époque la conservation du lait est un gros problème. Mes parents décident de s’entourer d’ingénieurs pour imaginer des solutions à cette difficulté. La recherche aboutie finalement à la mise au point des premiers laits stérilisés dotés d’opercules en aluminium. Cette avancée technologique lance Triballat sur le marché national, l’entreprise tourne 24h/24 et 7j/7, de nombreux wagons partent de la gare de Noyal pour assurer les commandes vers l’ensemble du pays.
Olga est à l’origine des 1ers produits laitiers bio, de la 1re filière de chanvre bio française, des 1ers desserts et steaks au soja… Vous êtes des précurseurs en matière de transition alimentaire et environnementale. Quel a été l’élément déclencheur ?
Olivier Clanchin : Notre engagement dans le bio est lié à une anecdote. Nous sommes au début des années 70. Mon père se balade et passe devant le champ de haricots verts d’un paysan de sa connaissance. Il lui demande alors de lui mettre une pochonnée de côté pour les goûter. À cela l’agriculteur, qui s’appelait André, lui répond « de ceux-là, je n’en mange point ! ». Cela a été un choc pour mes parents de se rendre compte que les agriculteurs ne voulaient pas manger une production recevant un certain nombre de traitements demandés par les industriels. Cela a été le point de départ de l’engagement de l’entreprise dans le bio en 1975 et un grand tournant qui a conditionné toute la suite de l’aventure Triballat-Noyal.
Solenn Douard : Pour nous il est important de préciser que nous sommes « pour les combats pour et contre les combats contre ». Lorsque l’entreprise est allée sur le marché du bio, ce n’était pas pour s’opposer au conventionnel, mais pour être une force de proposition, pas d’opposition. De la même manière, lorsque nous sommes allés sur le végétal, il ne s’agissait pas de s’opposer à l’animal.
L’épisode des quotas laitiers dans les années 80 vous a amené à faire preuve de créativité et à sortir de nouveaux produits, c’est le lancement d’une filière lait de chèvre en Bretagne et du positionnement sur le soja notamment. Finalement d’une contrainte est née une opportunité ?
Olivier Clanchin : Oui, puisqu’on nous limitait à la source, il fallait imaginer de nouveaux modes de développement. C’est dans ce contexte que des militants pro bio ont interpellé mes parents sur la production de lait de soja, leur expliquant qu’il possédait beaucoup de vertu et connaissait un fort succès en Asie. En temps normal, cette information n’aurait peut-être pas rencontré beaucoup d’écoute, mais dans le contexte des quotas, mes parents se sont dit qu’il y avait peut-être quelque chose à creuser. Il a fallu trouver une recette traditionnelle de soja – il n’y avait pas Wikipédia à l’époque – on l’a ensuite fabriqué puis fermenté, car nous étions très axés sur les yaourts, et cela a fonctionné. Concernant les valeurs nutritionnelles, c’était comme un lait 1/2 écrémé, et le soja poussait en France. On a alors décidé de lancer le produit en réseau bio avec notre première marque Sojade à base de soja en 1986. Puis les produits végétaux se sont développés et nous avons commencé à travailler avec la grande distribution en 1988 avec notre marque Sojasun.
Solenn Douard : La filière Lait de chèvre bretonne est également née de multiples contraintes. Notre chèvre frais « Petit Billy » a été développé en Sologne dans la petite ville de Billy, région des fromages chèvres cendrées. Malheureusement aucun producteur local n’a voulu nous fournir du lait « générique » pour produire notre produit frais. Nous étions toujours dans la période des quotas lai- tiers et nous avons proposé à certains de nos producteurs bretons de se lancer dans le lait de chèvre ! Nous sommes partis d’une feuille blanche, car cette filière n’existait pas en Bretagne : nous avons recruté un ingénieur pour accompagner les producteurs. Tout était nouveau pour eux : l’animal, la manière de produire, le travail sur la nutrition des chèvres… On a tout construit pour créer cette filière en s’appuyant sur de multiples expertises. Aujourd’hui nous travaillons avec une trentaine de producteurs de chèvres et nous produisons 7 millions de litres de lait par an.
Après le soja, vous ouvrez votre production à de nouveaux végétaux. Pouvez-vous nous en parler ?
Solenn Douard : Oui, nous étions très attendus sur cet élargissement ! C’est chose faite avec notre nouvelle marque SOON. Pour nos premiers produits, nous sommes partis sur des végétaux bien installés comme l’amande et le coco puis nous avons élargi la gamme avec des végétaux plus techniques, aux fonctionnalités plus riches comme le chanvre, l’épeautre, l’avoine et le sarrasin. Mais nous n’allons pas nous arrêter là, car si l’on travaille généralement sur une dizaine de végétaux, il n’en n’existe pas moins de 6000 variétés !
Il faut qu’on accepte de remettre de la valeur dans les produits alimentaires
Nous vivons actuellement une crise avec une inflation importante, des pénuries… Comment gérez-vous cela et comment travaillez-vous avec les producteurs, les distributeurs ?
Solenn Douard : Les prix de nos produits vont nécessairement augmenter. Pour nous c’est important d’être vraiment partenaires de nos parties prenantes et du monde agricole, en premier lieu. Si l’on regarde l’évolution de la consommation, on se rend compte que nous avons dévalorisé les produits alimentaires avec le temps. C’est important pour nous de participer à une forme de pédagogie citoyenne expliquant la nécessité de remettre de la valeur dans les produits alimentaires. Être sans arrêt dans la guerre des prix ne rend service, ni au consommateur ni à la planète.
Olivier Clanchin : Oui, car derrière un produit alimentaire, il y a des filières, un environnement à préserver, des mutations à accompagner et cela a une valeur. Je préfère parler de « vouloir d’achat » que de « pouvoir d’achat ». Rappelez-vous, dans les années 60, le budget consacré à l’alimentation était de 36 % contre 12 % aujourd’hui, cela interroge. La grande distribution a fait un formidable travail d’accessibilité. Mais sans croissance, on ne peut plus être dans une mécanique d’économies d’échelle partagées avec l’ensemble des parties prenantes. Il faut sortir d’une logique de guerre des prix pour rentrer dans une logique de pérennisation des filières et de souveraineté alimentaire. En parallèle les pouvoirs politiques ont un rôle à jouer pour accompagner les plus précaires comme ils le font sur l’énergie.
L’industrie agroalimentaire fait face à de grands défis environnementaux. Rien qu’en France, l’alimentation pèse pour 24%(1) de l’empreinte carbone des ménages. Quels sont vos engagements chez Olga ?
Olivier Clanchin : Nous œuvrons à réduire notre empreinte carbone, à limiter nos déchets, à valoriser nos excédents alimentaires, à mieux gérer les emballages, à accélérer la transition agro-écologique en remettant les arbres et les haies au cœur de nos pratiques culturales. Parmi nos actions nous sommes engagés avec la marque VRAI dans le réseau 1 % for the planet et reversons dans ce cadre 1% du chiffre d’affaires de la marque à des ONG de notre choix. Pour rappel – de 5% des fonds alloués aux actions de philanthropie et de mécénat en France sont fléchés vers l’environnement.
Solenn Douard : Nous faisons également partie des 150 dirigeants engagés dans la convention des entreprises pour le climat. L’objectif est de travailler pendant plusieurs mois sur un modèle d’entreprise régénératrice. Nous sommes entourés des meilleurs experts pour repenser nos modèles.
(1) étude de l’I4CE, 2019
Vous citez souvent l’ouvrage de Frédéric Laloux « reinventing Organizations » pour expliquer votre nouveau modèle d’organisation chez Olga, basé sur le modèle OPALE, de quoi s’agit-il au juste ?
Solenn Douard : Le livre de Frédéric Laloux a été un électrochoc, et une évidence pour moi ! L’entreprise a besoin d’être vivante pour contribuer à un monde durable. Nous avons revu nos modes de gouvernances et opté pour une structure plus horizontale, organisée en différentes unités dotées d’un pouvoir de décision sur des sujets dédiés. Toutes ces unités communiquent entre elles, ont beaucoup d’interactions, à l’instar des cellules dans un corps humain ou dans la nature. Des communautés s’ouvrent pour travailler sur des sujets, se développent, se ferment au profit de nouvelles, on souhaitait ce mouvement dans l’entreprise pour au final la rendre plus résiliente.
Olivier Clanchin : Dans nos sociétés modernes, nous sommes passés de résolution de problèmes compliqués à complexes. Le complexe ne se résout pas, ne se planifie pas de la même manière, demande plus d’agilité, de proximité. Comme le dit si bien Einstein « un problème créé ne peut être résolu en réfléchissant de la même manière qu’il a été créé ». Il faut inventer d’autres manières de faire fonctionner les entreprises. Nous devons apprendre à nous réinventer avec des entreprises en harmonie avec le vivant.
Un livre inspirant pour les dirigeants d’Olga
Dans son ouvrage « Reinventing Organizations », Frédéric Laloux explore les mécaniques profondes de la collaboration à travers les âges afin d’identifier les meilleures pratiques. C’est ainsi que l’auteur propose un nouveau modèle de gouvernance d’entreprise : le modèle OPALE. En segmentant l’organisation en petites unités autogérées, le manager devient facilitateur. Il n’est plus question de pouvoir, mais de valeur. Ainsi les membres de l’organisation ont un rôle égal et sont plus libres. Ils peuvent prendre l’initiative d’action et détiennent une plus grande part de responsabilité.