Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

La production bretonne, un modèle inspirant dans le monde. Entretien avec Anne-Marie Quéméner, Commissaire Générale du SPACE

Anne-Marie Quéméner travaille pour le SPACE depuis 30 ans, en est devenue la commissaire générale il y a 6 ans. À la tête de l’un des plus grands salons de l’élevage au monde, on retrouve une femme ayant grandi à la campagne, dans la ferme familiale à Plusquellec près de Callac (Côtes-d’Armor). Quelques jours avant le marathon qui s’annonce à l’ouverture du 36e SPACE, elle s’enthousiasme à l’idée de retrouver ce rendez-vous phare pour les éleveurs de l’Ouest : « Trois jours d’énergie positive, ensemble, nous en avons tous besoin. Toutes les filières font corps, autour de ces enjeux fondamentaux, qui sont de se nourrir et de préserver la terre. »

Anne-Marie Quéméner, Commissaire Générale du SPACE production

Anne-Marie Quéméner, Commissaire Générale du SPACE © Studio Carlito

Que gardez-vous de l’époque de la ferme familiale vous avez grandi, dans les années 70 ?

Je me souviens d’une très grande proximité avec la nature, de ce travail exigeant pour les éleveurs et les agriculteurs. C’était un travail gratifiant, de par ce rapport privilégié avec les animaux et la nature, mais aussi pour le rôle et la place que ces agriculteurs prenaient dans la vie sociale. La communauté agricole animait le monde rural et les communes. Il y avait aussi une place importante pour la solidarité et l’entraide.

Ces métiers liés à la terre et à l’élevage ont évolué, pouvons-nous dire que l’on est passé de paysan à chef d’exploitation ?

Les paysans étaient déjà des chefs d’exploitation, des chefs d’entreprise, avec une multitude de facteurs à gérer. Ce qui a changé aujourd’hui, ce sont les conditions dans lesquelles ils exercent leur métier. Les fermes ont parfois grandi, nécessitant de se mettre à plusieurs, d’avoir une organisation du travail différente, des outils et des équipements adaptés… Mais parfois pas ! Quand certains ont recours aux robots, d’autres reviennent à la traite traditionnelle par exemple. Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas un seul modèle, et que tous peuvent coexister. Et si le nombre d’éleveurs et agriculteurs a diminué*, l’empreinte de l’activité agricole sur le milieu est toujours importante en Bretagne.

*Chiffres clefs

(sources : chambres-agriculture-bretagne.fr)

25000 exploitations agricoles en Bretagne en 2021, contre 35 000 en 2005.

66000 actifs en Bretagne en 2021 : 35 000 chefs d’exploitation et conjoints associés, alors qu’ils étaient 45000 il y a 10 ans, auxquels on ajoute 31000 salariés ETP (25000 il y a 10 ans).

64 % du territoire régional est consacré à lagriculture

59 % du territoire breton correspond à la SAU (Surface Agricole Utilisée ) : 600000 ha de céréales, 460 000 ha de prairies, 300 000 ha de maïs à fourrage, 42 000 ha de légumes frais, 13000 ha de pommes de terre, etc.

1 poulet français sur 3 est produit en Bretagne : la filière avicole bretonne compte 17800 emplois directs

1 porc français sur 2 est élevé en Bretagne (56 % en 2021).

La collecte de lait en Bretagne représente le quart de la collecte nationale : la filière laitière bretonne compte 38200 emplois directs

1 tomate française sur 4 est bretonne, mais aussi 63 % des artichauts, 64 % des échalotes et 78 % des choux-fleurs.

Le salon a été créé par des agriculteurs il y a 35 ans, s’y retrouvent-ils encore aujourd’hui ?

Le salon a été fondé en 1987 par Jean-Michel Lemétayer, Georges Letellier et Joseph Jouzel. Il existait d’autres salons de l’élevage aux Pays-Bas, au Danemark… vu la puissance de la Bretagne et du Grand Ouest en terme agricole, il y avait la place et toutes les raisons de monter un événement professionnel ici ! Défi lancé, avec 32 000 visiteurs la première année. 35 ans après, nous recensons plus de 1 200 exposants (dont un tiers à l’international) et 100000 visiteurs : plus de la moitié sont des agriculteurs du Grand-Ouest. Ils sont fiers de cet événement et ils s’y retrouvent bien sûr ! C’est conforme à la vision qu’en avait Jean-Michel Lemétayer : de faire un salon professionnel et international certes, mais aussi convivial. Cette volonté est toujours portée par le président actuel Marcel Denieul.

Anne-Marie Quéméner, Commissaire Générale du SPACE production

Anne-Marie Quéméner, Commissaire Générale du SPACE © Studio Carlito

Une dynamique très forte porte les gens qui y viennent, par les nouvelles rencontres, les débats, les échanges, entre éleveurs et fournisseurs. On y trouve des solutions, car nos filières sont très modernes et innovent beaucoup, que ce soit pour améliorer la qualité de travail des éleveurs, le bien être des animaux. Notre agriculture est l’une des plus reconnues en tant que modèle dans d’autres régions agricoles au niveau mondial, en phase avec son environnement, en tout cas qui tente de l’être au mieux !

Cette dimension de retrouvailles s’exprime aussi pleinement dans l’effervescence autour du ring lors des présentations animales… Il faut vivre le SPACE pour comprendre ! C’est un événement qui associe la passion pour ce travail – qui est importante pour exercer le métier d’éleveur -et tous ses aspects techniques et économiques.

Cest devenu l’un des plus grands salons de productions animales au monde, la production bretonne serait-elle un modèle à suivre ?

En effet, c’est un modèle inspirant pour d’autres régions de France, et pour l’étranger, car nous accueillons 15 000 visiteurs de 120 pays différents. Je pense notamment aux délégations d’Afrique de l’Ouest, qui viennent chercher au SPACE – connu dans le monde entier comme « Le Salon de Rennes » , des solutions pour développer leurs élevages, leurs productions, leurs cultures, mettre en place des filières de production et gagner en autonomie alimentaire. Ils viennent s’inspirer de toute cette organisation collective qui s’est mise en place en Bretagne après guerre, avec les outils de collecte, d’abattage, les syndicats professionnels, les organismes consulaires…C’est la force du collectif qui a permis de développer l’agriculture bretonne.

SPACE production

Le Salon International des Productions Agricoles et de l’Élevage se tient du mardi 13 au jeudi 15 septembre au Parc-Expo de Rennes.

Le programme en détail à consulter sur www.space.fr

De quoi êtes-vous la plus fière ?

De pouvoir contribuer au développement agricole, de la Bretagne et des autres pays. Le Space permet aussi parfois aux agriculteurs de retrouver du moral et de la motivation. C’est une joie très forte de retrouver ce Salon après 2 ans, entre annulation, rencontres virtuelles et format adapté au contexte sanitaire. Nous ressentons une très forte attente autour de ces trois jours à venir.

C’est une grande satisfaction et une grande fierté d’organiser cet événement phare, avec les 9 salariés du SPACE qui forment une équipe soudée, compétente, dévouée, visionnaire et extrêmement motivée. Pendant le Salon, nous sommes partout, pour accueillir les participants, les délégations étrangères, les invités officiels, veiller aux aléas, parer aux imprévus, veiller à la sécurité de tous et assurer les mille détails de l’organisation.

Diplômée de Licence d’espagnol et d’anglais passées à l’UCO d’Angers, d’un diplôme de traducteur trilingue, et d’un 3e cycle de commerce international Rennes School of Business. Chevalier de l’ordre national du Mérite en 2019. Conseiller du Commerce Extérieur en 2022.

Les thèmes chauds de cette rentrée ?

Il y a notamment des questions sur le prix du lait, la hausse des coûts de l’énergie, les coûts de production qui flambent pour les éleveurs pour des raisons multiples, accentuées par la récente sécheresse estivale, la situation sanitaire préoccupante pour la filière avicole, et aussi la question du renouvellement des générations pour assurer l’avenir de notre agriculture.

Les bonus !

  • Lecture : Je lis quand j’ai le temps, des piles de livres  m’attendent ! Le livre auquel je pense souvent : « Si tout n’a pas péri avec mon innocence » de Emmanuelle Bayamack-Tam, une écriture incroyable. Parmi les derniers lus il y a aussi « Connemara » de Nicolas Mathieu, un parcours de vie et un retour en milieu rural, la question de sa place au sein du monde et de la société. Ce sont les expériences humaines qui me parlent dans ces livres.
  • Un film ? « Au nom de la rose ! » C’est un film qui me bouleverse, par l’intrigue, le poids de l’histoire, son intensité… J’adore aller au cinéma. Je pense aussi à « As Bestas », le dernier film vu, qui se passe en Galice, où un couple de Français tente de s’installer comme agriculteurs, s’intégrer dans le village, malgré les rivalités. C’est un univers noir et austère, avec une belle photographie du film, qui me fait penser au Caravage.
  • Un lieu ? « L’Espagne ! J’y ai passé 4 mois en Erasmus à Valladolid, ensuite j’ai toujours eu besoin d’y retourner. C’est un pays qui me ressource, par sa langue, ses gens, ses paysages et surtout son art de vivre.