Ils sont là, tous les deux. Accueillants et souriants, Nathalie et Arnaud Beauvais ouvrent les portes de leur repaire lorientais. Un restaurant limité à quarante-cinq places par choix, au décor impeccable et à l’ambiance intimiste, mais certainement pas intimidante. Tout est fait ici pour se sentir un peu comme à la maison.
À la différence que le menu est très gourmand, avec des produits simples travaillés par une inspiration très « beauvaisienne ». « Quand j’avais dix-huit ans, mon livre de chevet était celui de Stella et Joël de Rosnay sur la malbouffe, se souvient Nathalie. Ma mère nous a sensibilisés très tôt, mes sœurs, mon frère et moi, à l’alimentation bio et aux courses chez les petits producteurs du marché de Lanester. » Maman institutrice, papa commerçant et une « enfance heureuse ». Reste la crise de l’adolescence qui, avec une certaine ironie, s’empare de l’alimentation pour tourmenter Nathalie. La jeune fille, bien sous tous rapports, exprime sa révolte en devenant anorexique. « Mais pas parce que malheureuse dans ma vie, insiste-t-elle. Comme toutes les jeunes filles, je me trouvais trop grosse mais je crois que c’est plutôt dû à mon super professeur d’histoire du lycée Colbert, dont je buvais les paroles et qui nous parlait des pays en voie de développement et de la malnutrition. Et je pense que c’est cette injustice qui m’a influencée. Du coup, je ne mangeais plus de viande car les animaux s’alimentaient avec des céréales vivrières… Il a fallu que je rencontre Arnaud pour être plus cool avec l’alimentation. »
Le couple se rencontre au lycée hôtelier de Dinard. Un coup de foudre en deuxième année qui ne cesse de faire des étincelles aujourd’hui. « La première fois qu’il est venu chez moi, il a vidé mon frigo de la semaine, dit-elle, dans un grand éclat de rire. Il a toujours été très gourmand. » Pendant que Nathalie se réconcilie peu à peu avec son corps, sa vocation de cuisinière se confirme.
« Mon stage de fin d’études chez Flunch à Lorient n’a fait que renforcer ma volonté de faire de la cuisine et de rendre les gens heureux, dit-elle. Car acheter du cher pas bon n’a fait qu’alimenter ma colère. Ça rendait pourtant les gens contents mais, moi, je trouvais cela dur. » Son combat pour le droit à la bonne bouffe débute. Quarante ans plus tard, elle donne des cours de cuisine et sensibilise les gens des quartiers populaires aux bons produits du marché. « Dans le cadre du festival Pêcheurs du monde, j’animais récemment un atelier autour des poissons délaissés comme la vieille ou la roussette. Quand j’ai proposé d’aller chez le poissonnier du marché plutôt qu’au Leclerc, les gens m’ont dit qu’on n’avait pas le temps, s’offusque-t-elle. Finalement, nous y sommes allés et nous avons payé moins cher, tout en bénéficiant de super conseils. Nous avons passé un très bon moment et nous avons fait travailler un artisan qui ne sait toujours pas s’il va tenir. »
Nous ne voulons plus nous embêter avec ces histoires de rentabilité.
Arnaud nous rejoint enfin. Il discutait jusqu’alors avec Karim, son fidèle adjoint depuis 21 ans. Aujourd’hui, c’est un jour de repos comme les autres, en somme, où l’on passe boire le café chez des amis. « Ici, on fait attention aux femmes et aux hommes, prévient Nathalie. Nos apprentis, par exemple, sont des réfugiés, originaires du Bangladesh, du Mali, de Côte d’Ivoire et de Guinée. D’abord parce que l’on a besoin d’eux et qu’eux, ils n’ont que cette solution. Arnaud les défend devant l’administration, au point de créer un CDI pour faciliter l’obtention de la nationalité française et moi je leur apprends à cuisiner. Nous essayons de redistribuer au maximum. » Outre la volonté d’accueillir (et de sauver) des jeunes isolés, les Beauvais ne trouvent pas de jeunes alternants.
« Bref, passons. Nous sommes en fin de carrière, donc nous nous donnons les moyens de les soutenir du mieux que nous pouvons, précise Arnaud. Nous avons déjà un peu calmé le jeu au restaurant, en nous recentrant sur le week-end. Après la crise de 2008, nous avions une concentration de clients le week-end, donc nous avons optimisé les jours d’ouverture pour éviter le gaspillage. » Faire plus de chiffre pour s’épuiser n’est pas du goût du couple. Encore moins de réduire les portions pour dégager plus de marge. « Nous, nous préférons travailler moins mais que les clients soient vraiment détendus. Et nous nous en sortons plutôt pas mal », dit Arnaud, le gestionnaire.
Malgré cet épanouissement, Nathalie et Arnaud Beauvais veulent passer à autre chose et vendre leur affaire. « Nous voulons arrêter le restaurant pour nous consacrer à nos activités associatives et à notre maison d’édition, continue Arnaud. Nous ne voulons plus nous embêter avec ces histoires de rentabilité. » Nathalie acquiesce.
Elle acceptera bien volontiers et bénévolement les sollicitations des associations qui aident les autres. « Si on peut apporter quelque chose, c’est bien, confirme Arnaud ». Et Nathalie de conclure : « Nous profiterons encore plus de nos trois enfants. » De belles perspectives pour ceux qui ont fait du partage, leur petit jardin gourmand.