Né en 1992, remarqué pour ses reportages sur la condition humaine, Elliott Verdier livre au regard le fruit d’une immersion de deux ans au Libéria, un petit morceau de côte en Afrique de l’Ouest, terre de mangroves infestées par le paludisme et dont l’épaisse jungle chaude et humide abritait autrefois quelques tribus isolées. C’est au début du 19e siècle en 1822 que le gouvernement des États-Unis s’en est emparé, pour fonder sans jamais la nommer ainsi, sa première colonie. Baptisée République du Libéria, elle porte dans son nom les fondements d’une histoire bâtarde.
« Dans les capitales intellectuelles nord-américaines, à une période où un nombre croissant d’esclaves noirs affranchis et alphabétisés se manifestaient, la population blanche fut confrontée à ses idéaux raciaux, culturels et moraux. Elle se débarrassa du problème en envoyant des centaines d’hommes et de femmes à la peau noire sur cette terre censée être celle de leurs ancêtres ».
L’immigration fait prospérer la colonie, mais l’asservissement de la population autochtone par ces nouveaux arrivants américano-libériens entraîne de vives tensions réprimées dans la violence. Elles atteindront leur paroxysme dans une sanglante guerre civile (1989-2003) dont le pays ne parle pas : aucun mémorial, aucune journée commémorative. Encore tenu par certains protagonistes du carnage, le pays se refuse toujours à condamner ses bourreaux.
« Ce silence, amplifié par un mutisme international, balaie toute reconnaissance sociale de la tragédie et renie l’essence même d’une mémoire collective, engendrant un profond sentiment d’abandon doublé d’une résignation somnolente. Le traumatisme d’une population entière se cristallise dans une société aux fondations d’argile, encore imbibée d’un américanisme fasciné et transpire sur une nouvelle génération à l’avenir trouble. »
Atteindre l’aube après une longue nuit…
Les prises de vue d’Elliott Verdier, réalisées en grand format à la chambre 4×5, explorent l’ensemble du territoire, des mines de diamants de Gbarpolu au port de pêche de Harper, en passant par l’immense bidonville de West point. Ses images composent deux récits entrelacés, l’un en noir et blanc, l’autre en couleur et se répondent dans un dialogue sourd. Les paysages sombres et pesants plantent le décor des portraits en couleurs. Du silence qui en émane jaillissent les mots de femmes et d’hommes, victimes ou bourreaux, qui « narrent leurs destins abîmés » dans des enregistrements réalisés en studio. Ce travail photographique et sonore explore, sans manichéisme, les mécanismes de la résilience et les invisibles ressorts du traumatisme psychique de la guerre. Un reportage poignant !
Galerie Le Carré d’art, Centre culturel Pôle Sud, 1 rue de la Conterie à Chartres de Bretagne.
Tel. 02 99 77 13 27
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Jusqu’au 4 mai 2022