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PORTRAIT. Marcelino Truong, illustrateur : « Travailler avec le sérieux d’un enfant qui joue »

Illustrateur, auteur, peintre, installé à Saint-Malo (35), dans la maison de ses grands-parents, Marcelino Truong est un artiste au parcours singulier. Il a travaillé pour de grands titres de presse, de belles maisons d'édition et réalisé des romans graphiques, sur la guerre du Vietnam, mais pas seulement. Sa vie, comme son art, est une talentueuse fusion d'influences et de réflexions personnelles.

Marcelino Truong ©D-Echelard

Marcelino Truong ©D-Echelard

Il est des rencontres indigo, qui laissent des traces. Desquelles le visiteur repart avec une odeur, une couleur, un souvenir qui a davantage de relief que les autres. Celle avec Marcelino Truong et son épouse Clémence, est de celles-ci. Cherchez au fond du regard de Marcelino, vous y trouverez à la fois une lueur et une tristesse. Un syncrétisme à son image.

Dans la cuisine de sa maison malouine, où les murs sont vert couleur du jade, des artichauts côtoient un porc caramélisé sur le feu de la cuisinière. ​​​À l’image de son style aussi, plein de grâce, qu’il définit comme du réalisme poétique. « J’ai un côté scolaire donc je pars du réel puis j’essaye de styliser.«  L’expression a vu le jour avant lui, pour désigner un mouvement cinématographique français des années 1930-1940, dont Jacques Prévert a été un artisan.

​​Pour son père, diplomate Vietnamien, issu de la classe des lettrés, « qui n’est pas l’aristocratie de l’argent, c’eut été la consécration que je fasse l’Ena ». Ça sera Sciences Po Paris pour le jeune Marcelino ; un accident à l’écouter. Puis l’agrégation d’anglais : « C’était la période post-bab, il fallait être cool ».

Diplômé, il enseignera un an en Savoie, juste de quoi confirmer qu’il ne veut surtout pas être professeur. « Je suis un déserteur de l’Éducation nationale. J’étais très déprimé car j’étais là où je ne voulais pas être. Avec l’intransigeance de la jeunesse, j’en ai beaucoup voulu à mon père. Toute ma vie, j’ai évité les positions hiérarchiques. Je sais bien que chaque client est le patron, mais je ne voulais pas avoir quelqu’un sur le dos en permanence. »

« Lorsque l’on est artiste, la fainéantise nous est interdite. En même temps, notre travail nous passionne. »

C’est avec un simple carton de dessins réalisés pendant son service militaire que Marcelino Truong fait ses premiers pas dans le monde de l’illustration en 1983. Dès le début, il se rend compte de l’exigence du métier : « Dans le milieu de la BD, le niveau est super élevé. En France, c’est l’équivalent de la pop au Royaume-Uni », dit-il. Il se lance dans sa première mission, pour la revue Samouraï, où il illustre des portraits de maîtres d’arts martiaux.

Ce contrat signe sa première expérience dans la presse, qu’il retrouve quelques années plus tard. Son travail pour le quotidien Libération – entre autres – lui laisse un bon souvenir. Sous la direction artistique d’Alain Blaise, autour de 2010, il se voit confier des sujets délicats : l’armée, la justice, la religion, l’immigration. Ce sont autant de thèmes complexes qu’il aborde avec une sensibilité façonnée par sa propre expérience « de métisse Franco-Vietnamien, ayant souffert de la caricature des Asiatiques. Quand je dessine, je ne juge pas », explique-t-il. L’édition aussi doit à Marcelino Truong de belles couvertures, telles que celles de romans d’Éric-Emmanuel Schmitt.

Derrière ses airs de dandy se cache un bourreau de travail. « Je m’arrange pour travailler le plus possible. J’ai été endoctriné », analyse Marcelino Truong. Son goût pour l’effort lui vient de ses racines. Du côté vietnamien, il hérite « d’un milieu industrieux », celui de son arrière-grand-père, orfèvre. « Quand on est artisan, on ne peut pas être paresseux », confie-t-il. Du côté français, c’est l’influence de ses grands-parents, enfants de la classe paysanne, qui a œuvré. Sa grand-mère, institutrice à Saint-Malo, incarnait « cette France de Doisneau. Le travail était son souci. »

« Lorsque l’on est artiste, la fainéantise nous est interdite. En même temps, notre travail nous passionne. Il faut travailler avec le serieux d’un enfant qui joue. » Le grand pédiatre et psychanalyste Winnicott n’aurait pas mieux dit.

Sa mère était bipolaire. Il se confie sur le sujet dans son dernier ouvrage Si loin dans le bleu. Il raconte s’être beaucoup occupé de ses trois enfants qui ont à présent 34, 32 et 28 ans. Aujourd’hui aux côtés de son épouse, Clémence, victime d’une rupture d’anévrisme et qui en conserve de lourdes séquelles, il veille. D’où vient ce soin accordé aux autres ? « J’ai très vite été exposé à une obligation de me débrouiller. Ma famille vietnamienne me disait toujours d’être prévenant, d’aller au-devant du désir de mes parents. Au Vietnam, tu nais, tu prends ta place dans le groupe. Le Moi est haïssable. Il faut de la mesure et écouter les maîtres. »

Marcelino, du nom d’une rue de Manille où il est né, est officiellement à la retraite depuis début octobre 2024. Cela ne saute pas aux yeux. Le prochain projet est un livre « en noir », en prose, sans dessin, dans lequel il a prévu de raconter ses ancêtres du Vietnam, en se mettant à la place de son père. Il n’en fallait pas moins pour clore cette rencontre.