Couverture du journal du 29/03/2024 Le nouveau magazine

Réindustrialisation, « la Bretagne est prête » : entretien avec Hervé Kermarrec, président du Medef Bretagne

Bien connu des milieux d’affaires bretons, Hervé Kermarrec a été réélu en mars à la présidence du Mouvement des entreprises de France Bretagne. Pour trois années supplémentaires, il est à la tête de cette organisation interprofessionnelle qui réunit 20 000 entreprises, via 4 Medef départementaux, 18 branches professionnelles et 3 entreprises associées (SNCF, EDF, ENEDIS). Pragmatique, le « patron » des patrons bretons navigue entre une conjoncture économique incertaine et des projets identifiés comme stratégiques pour la région, telles que la réindustrialisation et la mobilité. Rencontre avec un représentant qui entend porter haut l’économie bretonne. 

Hervé Kermarrec, 51 ans, a été réélu à l’unanimité, le 8 mars lors de l’ Assemblée générale, président du MEDEF Bretagne, pour un son second mandat de trois ans. ©Studio Carlito

Hervé Kermarrec, 51 ans, a été réélu à l’unanimité, le 8 mars lors de l’ Assemblée générale, président du MEDEF Bretagne, pour un son second mandat de trois ans. ©Studio Carlito

Il ne faut que quelques minutes avant qu’Hervé Kermarrec ne revendique le statut d’organisation « représentative ». Il faut dire que le Medef, qu’il soit breton ou de toute autre région, a à faire face à une image d’organisation réservée aux grandes entreprises. Pourtant, « 98% des adhérents sont des PME et TPE et 30% sont des entreprises de moins de 10 salariés ».
L’entreprise, ce natif de Cholet, mais aux origines finistériennes, est tombé dedans quand il était petit. Son père crée sa première agence immobilière à Rennes en 1985, première pierre du groupe Kermarrec*. Hervé Kermarrec n’a alors que 14 ans. Il intègre l’entreprise en 1997 et en est aujourd’hui le président. Il intègre d’ailleurs le Medef dans ses jeunes années de dirigeant. D’abord représentant des entreprises d’Ille-et-Vilaine, il est élu président du Medef Bretagne le 6 février 2020. Chevalier de la Légion d’honneur depuis septembre 2021, Hervé Kermarrec incarne une certaine idée que l’on peut se faire de la Bretagne : rigueur, discrétion et sérieux.

« 98% des adhérents sont des PME et TPE et 30% sont des entreprises de moins de 10 salariés »

©Studio Carlito

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Bilan du premier mandat et perspectives

Hervé Kermarrec a eu affaire à un premier mandat à la tête du Medef régional pas comme les autres. « Nous avons été au plus près des entreprises afin qu’elles puissent organiser leur arrêt, le chômage partiel, les reports URSSAF. Fermer une entreprise était totalement inédit, il n’y avait pas de manuel. » Le dirigeant se souvient d’un « travail en collectif, tourné vers l’intérêt économique de la région, notamment concernant le plan de relance. Nous avons milité pour que la Bretagne puisse en bénéficier à sa juste mesure, alors qu’au départ une région comme Bourgogne-Franche-Comté avait été mieux dotée. »
Sa mandature précédente est également marquée par les élections régionales. Un enjeu pour le Medef puisque la Région a la compétence du développement économique, même si « il convient de ne pas surévaluer, de ne pas surpondérer les capacités d’intervention et d’influence de la Région sur l’économie », peut-on lire dans « Nos priorités pour la Bretagne » publié par le Medef Bretagne lors de la campagne. Dans la droite ligne d’un « Medef de propositions » prôné par Geoffroy Roux de Bézieux, le président national, ce document dresse 23 priorités, de l’énergie au numérique en passant par l’équilibre territorial et la construction, accompagnées de 125 propositions. Le nouveau mandat d’Hervé Kermarrec sera d’ailleurs « dans la continuité, pour que la Bretagne tire son épingle du jeu. Croissance démographique, industrialisation, mobilité, logement, emploi, formation, RSE, nous devons être au rendez-vous. »

La réindustrialisation de la Bretagne : + 5,3 milliards d’euros à horizon 2030

Pour Hervé Kermarrec, aucun doute, « la Bretagne est prête. » Des éléments lui donnent en partie raison. D’abord, la prise de conscience et la demande grandissante des consommateurs de produits fabriqués localement. Le plan France 2030 qui fera son œuvre de façon régionalisée. Des exemples concrets, comme l’implantation de la manufacture Doudous et Compagnie à La Guerche de Bretagne ou Talendi (anciennement Bretagne Ateliers) qui avait levé 5,7 millions d’euros afin de relocaliser.
À ce propos, l’étude Reloc’h 2020-2021 (co-financée par le Medef) aboutit à un potentiel de relocalisation et de localisation d’activités de 5,3 milliards d’euros et plus de 130 000 emplois nouveaux pour la Bretagne. Parti de cette question « Quelles réindustrialisations peut-on envisager en Bretagne à horizon 2030 ? », le cabinet Goodwill démontre que si la région couvre 73% de ses besoins grâce à son offre, le potentiel de relocalisation demeure important. La baisse des écarts de coûts de production entre la France et la Chine favorise ce mouvement de relocalisation. Dans les années 2000, l’écart était de 80%, il aurait chuté à 30% aujourd’hui d’après les données de l’étude. Si l’on ajoute le coût de transport, le coût des stocks, les coûts liés aux risques et les droits de douane, l’écart résiduel est estimé à moins de 10%.
Malgré des indicateurs au vert, le président du Medef Bretagne reconnaît que dans l’immédiat les entreprises sont « surtout focalisées sur leurs marges qu’elles ont dû écraser en raison de la crise énergétique et de l’inflation. »

Les écarts de coûts de production entre la France et la Chine auraient chuté à 30% d’après l’étude Reloc’h et -10% si l’on ajoute le coût de transport, le coût des stocks, les coûts liés aux risques et les droits de douane.

Et les oppositions ?

Des dossiers d’implantations de sites industriels connaissent des oppositions, notamment d’associations environnementales. C’est le cas du projet d’usine Bridor du groupe Le Duff à Liffré, près de Rennes. « L’industrie devra faire face à des oppositions, mais dans la baisse des gaz à effets de serre le secteur prend sa part. Il convient aussi de rappeler des ordres de grandeur : la part de terres artificialisées liées à l’industrie est de 2 %. La démarche ZAN (Zéro Artificialisation Nette, ndlr) est une crainte à court terme. Nous demandons une franchise d’artificialisation pour l’industrie, qu’elle soit sortie des calculs. Le défi est de garder les industries sur notre territoire. À commencer par l’industrie agroalimentaire, très performante, qui soutient la souveraineté alimentaire en nourrissant plus de 20 millions de personnes. »

« Nous demandons une franchise d’artificialisation pour l’industrie. »

©Studio Carlito

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Terre, mer, air : les enjeux de mobilité et d’équilibre territorial

La mobilité et l’accessibilité sont des enjeux cruciaux pour le développement économique du territoire breton dans son ensemble. « Le territoire finistérien souffre de sa périphéricité, en grande partie dû à des difficultés de déplacement. Pour y remédier, il est essentiel de mettre en place des solutions concrètes, telles que raccourcir le temps de trajet avec Paris grâce aux derniers tronçons de la ligne grande vitesse jusqu’à Brest comme Quimper, et la création d’un hub ferroviaire à Landerneau. »
Concernant la mer, le Medef demande une plus forte intégration et interconnexion de la Bretagne et ses ports au réseau portuaire européen. Côté transport aérien, il milite pour une région Bretagne « leader d’une offre d’aviation privée plus respectueuse de l’environnement, notamment avec le recours à une flotte d’avions électriques. »

La relève !

« En Bretagne, il y a une capacité à travailler ensemble. On retrouve les mêmes valeurs chez les jeunes dirigeants : le souci de toujours trouver le point de convergence, l’esprit combattif et la volonté que la Bretagne rayonne. En Ille-et-Vilaine, le Comex 40 fonctionne très bien. » Le Comex 40 est un organe constitué de la jeune génération de dirigeants qui réfléchit aux grands enjeux sociétaux pour anticiper leurs impacts sur les entreprises.

Des ambitions nationales ?

Membre du Bureau national du Medef, Hervé Kermarrec préside aussi le Comité des régions (qui réunit les présidents et délégués généraux des Medef régionaux) qui se réunit une fois par mois pour partager les bonnes pratiques et échanger sur des problématiques communes. Verra-t-il ses responsabilités évoluer avec l’élection du nouveau président en juillet ? « Nous verrons », répond dans un sourire le dirigeant qui a récemment affiché sur Twitter son « soutien personnel » à l’actuel numéro deux du Medef, Patrick Martin, faisant figure de favori. Les autres candidats sont la porte-parole et vice-présidente Dominique Carlac’h, le président délégué de la Fédération française de la sécurité Pierre Brajeux et Guillaume Cairou, administrateur du Medef Yvelines. Une audition des candidats par le Medef Bretagne est prévue le 1er juin.
Affaire à suivre.

 

Bonus

La pépite bretonne ? « Il y en a plein : Klaxoon, Leocare, Beaumanoir qui fait preuve d’une résilience incroyable, Maison Felger et bien d’autres encore. »
Le chef d’entreprise qui vous a inspiré ? « Tous les capitaines d’industrie qui ont défendu leur territoire. Les Roullier, Beaumanoir, Le Duff, Pinault. Également quelques confrères de l’immobilier très innovants dans leur façon de développer leur entreprise. Et mon père bien sûr. »
Conseil aux chefs d’entreprise ? « Être curieux de ce qui marche et audacieux. Il faut prendre des risques. J’ai un père qui m’a laissé faire des erreurs en me disant  » tu en assumeras les conséquences ».»
Comment arrivez-vous à tout concilier ? « Je suis très bien organisé et surtout très bien entouré par des équipes fidèles qui ont tout mis en œuvre pour me permettre de me consacrer à mes autres engagements. Mais je ne suis jamais loin. »
Une passion ? « Le golf que je pratique avec mes fils et la voile. »

 

*Le groupe, co-présidé par Nolwenn Lam-Kermarrec et Hervé Kermarrec, compte 140 collaborateurs répartis sur une vingtaine d’agences.