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Ce détective rennais enquête pour les entreprises

Depuis la création de son agence AMI Détective il y a deux ans, Nicolas fait partie de la dizaine de détectives privés qui exercent en Ille-et-Vilaine. Une profession qui nourrit les fantasmes et souffre de clichés à la peau dure. Loin d’enquêter exclusivement sur l’incontournable adultère, Nicolas réalise 60% de son chiffre d’affaires avec des entreprises. Réglementation, travail avec les avocats, rapports productibles en justice, la profession a pourtant su évoluer. Dans quel cadre juridique et pourquoi des entreprises font-elles appel à un détective privé ? Rencontre.

En 2021, diplôme, carte et agréments en poche, Nicolas fonde son agence de détective privé à Rennes. ©Studio Carlito

En 2021, diplôme, carte et agréments en poche, Nicolas fonde son agence de détective privé à Rennes. ©Studio Carlito

Un après-midi de mars, le Hercule Poirot rennais patiente dans le lobby d’hôtel où le rendez-vous a été donné. Point de moustache à rebiquettes ni de chapeau melon. Un quadra à l’allure ordinaire. Car c’est là tout l’art du détective privé, se fondre dans la masse pour ne pas « se faire détroncher ». Détective privé : ces deux mots, aux effluves à la fois surannés et sulfureux, en cachent en fait d’autres. Plus réglementaires : agent de recherches privées. Exit les poncifs.

Une profession réglementée

La profession a été drastiquement reformée par le ministère de l’Intérieur en 2003 dans le but d’encadrer les pratiques à coups de réglementation et de déontologie. Fini le temps des barbouzeries. Les photos, par exemple, seulement dans les lieux publics. Quelques subtilités : pas de clichés de quelqu’un sur un balcon, ni dans une voiture si toutes les portières sont fermées. Ces mesures ont fait le tri dans la profession, la faisant passer de 3000 directeurs d’agence en France il y a 20 ans à 950 aujourd’hui. Depuis, il faut un diplôme dispensé par uniquement deux universités et deux écoles privées. Autre obligation : une carte professionnelle délivrée par le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), l’organisme de tutelle de la profession, lui-même sous l’égide de la place Beauvau. Enfin, pour ceux qui souhaitent ouvrir une agence des agréments doivent être obtenus auprès de ce même CNAPS.

Des rapports productibles en justice

Les rapports des détectives sont productibles en justice. Ce n’est pas récent : depuis 1962 et l’arrêt de la Cour de Cassation, dit arrêt Torino. Toutefois, Nicolas note une évolution : « Les magistrats semblent tenir compte de nos rapports car la jurisprudence joue de plus en plus en notre faveur. » Une forme de gage pour ceux qui voudraient avoir recours aux services des détectives. Dans le même esprit, la présence de la profession aux Assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires, à l’initiative du ministère de l’Intérieur est un crédit supplémentaire qui lui est accordé.

« Que nos rapports soient productibles en justice est une vraie responsabilité. Nous sommes des techniciens de la preuve.

Le travail de ces « techniciens de la preuve » avec les avocats

Nicolas a toujours en tête la finalité de sa mission « Que nos rapports soient productibles en justice est une vraie responsabilité. Nous sommes des techniciens de la preuve. Je travaille presque systématiquement avec un avocat pour border juridiquement le dossier. Je peux également œuvrer en synergie avec d’autres professions du droit comme les commissaires de justice ou les notaires. » Au-delà de baliser des dossiers, des avocats en quête de preuves complémentaires peuvent être prescripteurs.

Missions pour les entreprises : 60% de son chiffre d’affaires

©Studio Carlito

« De la TPE à la boîte multinationale, j’ai tous les types. Une part non négligeable dans le secteur du bâtiment, mais aussi de nombreux autres secteurs », détaille Nicolas qui annonce réaliser 60% de son chiffre d’affaires avec les mandats des entreprises.
Exemples (liste non-exhaustive) de suspicions qui peuvent conduire des entreprises à faire appel à un détective privé :

  • Concurrence déloyale
  • Non-respect de la clause de non-concurrence par un salarié
  • Arrêt maladie abusif
  • Travail dissimulé
  • Recherche de débiteurs
  • Vol de marchandises
  • Fraude à l’assurance
  • Harcèlement moral et/ou sexuel

Et aussi recherche de débiteurs et enquête de moralité avant des entrées au capital ou des recrutements clés. En outre, il arrive à Nicolas d’enquêter pour le compte de collectivités publiques, sur des dépôts sauvages d’ordures, des dégradations en tous genres… « Ce sont des demandes de plus en plus régulières. »

Le rôle du détective dans la guerre économique

« On en entend de plus en plus parler. Chaque jour des entreprises ou des organisations sont victimes de hacking. Nous, détectives, nous pouvons intervenir sur des sujets de cybersécurité. Certains sont même spécialisés sur ce thème. J’ai aussi quelques confrères qui peuvent faire du « dépoussiérage », c’est-à-dire détecter si des caméras ou des micros ont été posés dans l’entreprise. Il faut du matériel digne de James Bond pour capter des fréquences et bien d’autres techniques. L’espionnage industriel n’est pas un mythe. »

Des anecdotes d’enquêtes pour les entreprises

Un des morceaux de bravoure de Nicolas est sans aucun doute d’avoir « levé une fausse infirmité. » Mandaté par une grande compagnie d’assurance pour vérifier une paraplégie des membres supérieurs, il débusque sa cible en train de porter des sacs d’une vingtaine de kilos, « des sacs de plâtre ». À ce souvenir, le regard du limier pétille. « Il y a quelque chose de jouissif à prouver une telle fraude. Pour les compagnies d’assurance, ce sont des milliers, voire des millions d’euros qui sont en jeu. Sans parler de la fraude à l’Assurance maladie. » Nicolas peut être saisi dans des cas de harcèlement moral ou sexuel suspectés. « La profession est tout à fait habilitée à faire du recueil de témoignages, par exemple, pour déterminer les agissements ainsi que les auteurs et victimes, et ce, en toute neutralité. J’ai d’ailleurs passé une certification sur le sujet. »
Et le classique : un commercial parti avec le fichier clients de sa précédente entreprise pour vendre les produits d’une marque concurrente. « Là, c’est de la pure filature. »

« Détective, D comme démerde. »

Enquêter sur des salariés : quid du droit du travail ?

« La jurisprudence retient le caractère légal des constats d’huissiers suite aux investigations d’un détective privé, constat utilisable ensuite aux Prud’hommes. Le droit social protège et empêche d’aller trop loin dans l’exploration de la vie personnelle. Par ailleurs, une preuve doit respecter le principe de proportionnalité. Nous ne pouvons pas enquêter sur un salarié en dehors de ses horaires de travail », précise Nicolas. Et d’ajouter : « Au départ d’une mission, il y a un cadre juridique précis et un lien juridique entre l’entreprise et la personne sur laquelle je dois enquêter. Un contrat de travail par exemple. »

Les méthodes

Le matériel de Nicolas ©Studio Carlito

Le matériel de Nicolas ©Studio Carlito

La filature, à pied ou en véhicule, est la méthode par excellence des détectives qui n’ont, rappelons-le, aucune puissance publique. « Si on se fait repérer, il faut faire un désilouhettage, changer d’apparence. Pour cela j’ai toujours une casquette ou un blouson dans mon sac. » Une légende court dans le métier : « Si vous fixez quelqu’un dans la nuque, dans 70% des cas, il se retourne. »
Ils utilisent également la surveillance, les enquêtes de voisinage, les réseaux sociaux, les documents en source ouverte. « Détective, D comme démerde. » Plus rarement, Nicolas a recours à l’infiltration. « Surtout pour les missions sur des suspicions de coulage de marchandises. Dans ces cas-là, le chef d’entreprise doit me faire un contrat de travail et m’intégrer à l’équipe. Une fois, j’avais été mandaté par un garagiste qui voulait me mettre à la mécanique. Finalement, j’ai été à l’accueil, c’était plus raisonnable. » Il insiste : « Pour chaque mission, il y a une stratégie adaptée. Chaque cas est unique. »
Pour compléter, les agents de recherches privées voudraient plus de prérogatives. Par exemple, avoir accès au fichier des plaques d’immatriculation ou des fichiers d’état civil.

« Si vous fixez quelqu’un dans la nuque, dans 70% des cas, il se retourne. »

80 à 200 euros de l’heure

Un détective reçoit de 80 à 200 euros de l’heure. À ceux qui trouveraient le tarif élevé, Nicolas répond : « Ce sont des heures de surveillance, ultra concentré pour ne rien rater. Une filature peut commencer à Rennes et finir à Strasbourg. Il y a beaucoup d’investissement et d’enjeu. Il y a aussi la rédaction des rapports qui prend un temps énorme, chaque mot est analysé et il y a plusieurs relectures. »

« Le risque fait partie du job »

« Je n’ai jamais vu un métier aussi passionnant. On nous appelle souvent au dernier moment, une fois plusieurs solutions tentées, dans le domaine familial comme dans l’entreprise. Nous faisons face à des situations délicates, l’empathie est essentielle. C’est aussi un métier grisant. Il y a une telle dose d’adrénaline. C’est même compliqué quand ça redescend. Je sors complètement rincé d’une surveillance. »
Et le danger ? « Il fait partie du job. Il y a deux types de réactions quand une personne se sait suivie : il y a ceux qui flippent et qui courent, et ceux qui deviennent agressifs. Il faut savoir improviser et réagir au quart de seconde pour se sortir de la situation. En ça, avoir fait du théâtre m’a beaucoup aidé. »

 

Son parcours

Né dans le Morbihan, Nicolas travaille au service publicité d’un groupe de presse. Puis, il intègre le secteur pharmaceutique en tant que commercial et gravit les échelons. À l’aube de la crise sanitaire, un licenciement économique le pousse à changer de trajectoire. « J’ai repensé à un détective privé que j’avais croisé dix ans plus tôt. Il bossait à l’ancienne. J’avais trouvé son métier fascinant et je me disais que ça me correspondrait bien, moi qui déteste la routine. »  À 40 ans, Nicolas retrouve le chemin de l’école. À l’École Supérieure des Agents de Recherches Privée, il étudie le droit « beaucoup », des notions de psychologie et la filature. Un stage est révélateur. « J’ai fait un stage très terrain avec un détective privé de 70 ans, à Paris, qui filochait sur les trottoirs, comme avant. Il m’a beaucoup appris et inspiré. »
En 2021, diplôme, carte et agréments en poche, Nicolas fonde son agence à Rennes. Depuis, les affaires se portent bien. Il prévoit de rejoindre une association de femmes victimes de violences, en qualité de détective bénévole.
Quand il n’enquête pas, Nicolas s’adonne à l’exploration urbaine ou à la lecture. « En ce moment, le livre de la magistrate Jeanne Quilfen, Dans les yeux du procureur. »