Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Entreprises : faites vos jeux ! Entretien avec Suzon Beaussant, dirigeante de Evolud

Gamification, Serious Games… les jeux ont fait une entrée remarquée ces dernières années dans le monde professionnel. Suzon Beaussant travaille sur le sujet depuis 16 ans. Cette ancienne élève Montessori et fille d’un créateur de séjours dédiés aux jeux est aujourd’hui à la tête de la société rennaise Evolud’. Elle invente des jeux « sérieux » pour les entreprises, forme des professionnels à l’utilisation de jeux en formation et anime de nombreuses conférences sur l’apprentissage par le jeu. Rencontre.

Suzon Beaussant, dirigeante de Evolud

Suzon Beaussant, dirigeante de Evolud ©Studio Carlito

Le jeu a envahi notre quotidien… Vous en doutez ? Pourtant chaque jour vous êtes sollicité par des activités « gamifiées ». « Prenons votre profil LinkedIn : pour obtenir le badge expert absolu, vous devez réaliser un certain nombre d’étapes » souligne Suzon Beaussant. « La gamification reprend les codes du jeu vidéo : système de points, badges, avatars, challenges et récompenses… Ce terme, que l’on pourrait traduire en français par ludification, a été utilisé pour la première fois au début des années 2000. La gamification a pour objectif de pousser une personne à terminer des niveaux, à interagir. » Et les serious games ? « C‘est différent, ils comportent des objectifs d’apprentissage plus spécifiques. »

Serious game, gamification, de quoi parle-t-on ?

La gamification et les serious games n’auraient donc pas les mêmes objectifs. « La gamification est largement utilisée en communication et en marketing. Elle va donner envie d’interagir. Des plateformes comme genial.ly ont d’ailleurs beaucoup aidé à démocratiser le processus en permettant de créer des supports très facilement. La gamification, ça engage les gens, ça les attire. Avec les serious games il y a une notion de montée en compétences. On pourrait résumer par : la gamification c’est l’engagement, le serious game c’est la transformation des pratiques, ce n’est pas le même niveau d’objectif. »

La gamification donne envie d’intéragir

Suzon Beaussant, dirigeante de Evolud

Suzon Beaussant, dirigeante de Evolud ©Studio Carlito

 

Les 4 piliers de lapprentissage

« Le jeu est un outil extraordinaire pour l’apprentissage » rappelle Suzon Beaussant. « Stanislas Dehaene, neuroscientifique et professeur au Collège de France a identifié 4 piliers de l’apprentissage : l’attention, l’engagement actif, le feedback et la consolidation. Et ces quatre piliers, le jeu permet de les travailler. Dans un jeu on est hyper attentif, c’est engageant et on est actif, on prend des décisions, on discute, on définit des stratégies. On a un retour immédiat avant la fin de la partie. En rejouant, on peaufine nos tactiques, on s’entraîne. » 

Les serious games se développent en entreprise parce que c’est efficace

Le jeu en formation

« Il faut être clair, on a longtemps formé sans réels résultats », analyse Suzon Beaussant. « Aujourd’hui on commence à percevoir l’intérêt de la ludopédagogie : mettre en action, donner le droit à l’erreur, renforcer l’engagement. Les jeux permettent de changer les comportements, les pratiques. Ils apportent une transformation beaucoup plus efficace qu’une formation classique, car les stagiaires sont dans l’action et ils peuvent expérimenter de nouveau comportement, de nouvelles façons de faire à travers le jeu. Lorsque l’on a vécu, expérimenté, reçu un feedback, c’est alors plus facile de mettre en œuvre ce qui a été appris. Les serious games se développent en entreprise parce que c’est efficace. »

suzon beaussant jeux

©Studio Carlito

La chambre des erreurs

D’ailleurs les secteurs de la défense, de l’aéronautique ou encore du médical ne s’y sont pas trompés et ont depuis longtemps intégré le jeu pour former leur personnel. « Les war games ont fait leur apparition très tôt au sein de l’armée, permettant aux militaires de s’entrainer à des choses très concrètes : prise de décision dans l’urgence, analyse de situations complexes, visualisation des conséquences lors d’un bombardement… Dans le secteur médical, on peut aussi citer la Chambre des erreurs, inventée en 2011. Il s’agit d’un outil de simulation visant à améliorer la qualité et la sécurité des soins. La chambre permet aux participants de visualiser et d’identifier des erreurs volontairement glissées dans une scène de soins. On introduit des erreurs en nombre limité (8 à 10 au maximum), cela peut être un bracelet qui n’est pas au bon nom du patient par exemple. Être dans l’action permet d’apprendre très vite et d’acquérir les bons réflexes. »

Les jeux apprennent depuis toujours, c’est juste que l’on redécouvre que c’est un très bon moyen d’apprentissage

A-Z – Petit lexique du jeu

Gamification

Elle consiste à ajouter un élément appartenant à l’univers des jeux (dés, points, badges…) à une activité pour la rendre plus engageante, plus motivante.

Serious Game

C’est un jeu créé spécifiquement pour développer une fonction utilitaire. Dans le cas d’un serious game pédagogique, pour développer un savoir faire ou un savoir être.

Serious modding

Il s’agit de détourner un jeu grand public pour le rendre utilisable en formation. L’un des plus utilisés actuellement est sans doute le jeu Dixit.

Quand les RH misent sur le jeu

Depuis quelques années, le secteur des RH s’intéresse fortement à la gamification et au serious games « Un grand nombre d’entreprises utilisent les activités gamifiées dans leur process de recrutement, lors de l’intégration d’un nouveau salarié, pour détecter les softs skills d’une personne ou encore pour donner envie aux jeunes de rejoindre certains métiers en tension. Beaucoup sélectionnent également les organismes de formation qui proposent des méthodes ludo pédagogiques », confirme Suzon Beaussant. En effet, des jeux immersifs pour découvrir l’entreprise fleurissent sur les salons professionnels, des escapes games sont régulièrement proposés aux équipes pour booster le collectif. « Il faut cependant faire attention dans certaines situations » alerte la spécialiste « les jeux de rôles par exemple peuvent être déstabilisants et difficiles à vivre pour les participants. Une simulation de vente peut être compliquée à vivre si la situation est trop similaire à son quotidien. Peur du jugement, des retours. C’est pourquoi il faudrait toujours penser à décaler la situation. Pour un commercial cela pourra être de vendre des crayons sur mars à des extraterrestres ! Il est nécessaire d’apporter un cadre souple et ludique, car jouer doit redonner la liberté d’expérimenter. Il faut trouver un équilibre subtil entre le jeu sans conséquence, libre, et l’apprentissage. »

Jouer redonne la liberté d’expérimenter

Suzon Beaussant, dirigeante de Evolud

Suzon Beaussant, dirigeante de Evolud ©Studio Carlito

Jeu préféré

La version jeu de plateau de Civilisation ! C’est un jeu de stratégie ultra-complet qui se joue sur plusieurs heures. On développe une société à travers les âges. Il faut gérer des ressources, négocier entre pays, s’adapter aux évènements… c’est très riche.

Coup de cœur du moment

Minecraft version jeu de plateau, un jeu avec lequel je peux jouer avec mes enfants. C’est un jeu de stratégie. J’adore les jeux qui font réfléchir, où l’on peut tester des stratégies, anticiper plusieurs coups à l’avance, tenir compte de plein d’informations différentes.

Un jeu à offrir à un chef d’entreprise ?

Magic Rabbit ! C’est un jeu très rapide où l’on peut tout de suite se rendre compte de l’importance de la communication dans une équipe. Le dirigeant, où la dirigeante, verra tout de suite l’impact que cela peut avoir sur le travail en équipe et l’intérêt du jeu sur la montée en compétence. Les parties durent 2 minutes et cela convient aussi aux personnes qui n’aiment pas jouer, c’est supportable pour eux !

Je recommanderais aussi Carboniq parce que c’est un jeu qui parle d’environnement et qui permet vraiment de prendre conscience de son impact carbone.