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Entretien avec Loïg Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne : La Région demande plus d’autonomie à l’État

Le 8 avril dernier, la Région Bretagne s’est prononcée en faveur d’une plus grande autonomie, législative, réglementaire et fiscale. Des discussions devraient s’ouvrir prochainement avec le nouveau Gouvernement.
Pour Loïg Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne, il n’est pas question d’indépendance, mais de donner aux élus locaux plus de moyens pour agir « vite, de manière ciblée et cohérente en fonction des typicités des territoires ». Rencontre.

Loïg Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne

Loïg Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne ©Studio Carlito

Aziliz Gouez, porte-parole du groupe Breizh a-gleiz à l’origine du vœu sur l’autonomie voté en session, a reconnu le « caractère quelque peu sulfureux de la notion d’autonomie dans la grammaire politique française ». Il est vrai que le mot autonomie questionne. De quoi parle-t-on précisément ?

Loïg Chesnais-Girard : Nous ne sommes pas dans une forme de défiance vis-à-vis de notre État. La Bretagne est fière d’être une région européenne, fière d’être une région dans la République et il n’est évidemment pas question d’indépendance. Ce que nous souhaitons, c’est obtenir une capacité d’agir plus grande, plus rapide, avec des moyens adaptés. Aujourd’hui, la Bretagne est dotée d’un budget de plus de 1,7 milliard d’euros. C’est un petit budget, si je le compare à une région allemande, autrichienne ou espagnole. Et nous assurons un grand nombre de compétences : les transports, les lycées, l’enseignement supérieur, la recherche, la formation professionnelle, l’aménagement du territoire, les logements, le développement économique, mais aussi la culture, le sport et le tourisme, tout ce qui contribue à une bonne qualité de vie dans un territoire. En partant des grandes lignes fixées par l’État, nous souhaitons pouvoir adapter la réglementation localement en fonction des spécificités de notre territoire et disposer d’une capacité budgétaire plus large pour agir.

Il n’est pas question d’indépendance

Il existe des contrats de plan État-Région (CPER) qui constituent un outil de développement entre l’État et les Régions pour la mise en œuvre de projets structurants. Le contrat de plan pour la période 2021-2027 mobilise près de 1,6 milliard d’euros d’investissement pour la Bretagne et ses habitants. Cet outil n’est donc pas suffisant ?

Loïg Chesnais-Girard : Effectivement, nous avons un plan Etat-Region qui a été négocié l’année dernière avec le gouvernement de Jean Castex. Je ne dis pas que tout est mauvais, mais on peut faire plus fort, plus vite. Quand le GIEC nous dit qu’il ne nous reste que quelques années pour agir contre le réchauffement climatique, quand les citoyens sont exaspérés par les bouchons routiers dans les villes, par l’absence de métiers pour nos enfants, par l’incapacité à loger les jeunes, on a le devoir d’agir vite. Et à la Région, nous sommes au plus près des problématiques, nous pouvons être plus agiles et cibler les besoins. On ne veut pas, on ne peut pas, tout attendre du Gouvernement. Nous souhaitons des moyens pour agir nous-mêmes. C’est ça l’enjeu. C’est encore une fois de pouvoir répondre rapidement aux citoyens.

Pourriez-vous donner des exemples concrets de ce qui pourrait changer si la Bretagne obtenait une plus grande autonomie ?

Loïg Chesnais-Girard : En Bretagne, nous avons expérimenté l’adaptation du dispositif Pinel, permettant la construction de logements neufs. Sur le territoire national, Paris fixe les zones qui peuvent en disposer. Avec notre « Pinel Breton », Rennes et Saint-Malo, uniques bénéficiaires en Bretagne, ont pu transférer une partie de leur droit au Pinel à des villes moyennes comme Fougères, Concarneau et Brest. La construction de logements neufs en centre-ville était nécessaire dans ces zones et nous avons pu adapter localement le dispositif.

On veut prendre et assumer nos responsabilités

Chaque territoire a des spécificités. Prenez l’agriculture, le ministre a face à lui des régions qui ont des zones de montagne, des zones viticoles, des grandes plaines céréalières et des territoires qui se sont développés sur l’élevage, les légumes, la production de lait, comme en Bretagne. Toutes ces régions ont des sujets différents. Je souligne au passage que contrairement à ce que l’on pense, l’agriculture bretonne est plus pauvre que celle des grandes plaines céréalières ou des zones de montagne. Et quand le ministre se trouve face à cela, il fait des moyennes. Je le dis souvent, je l’ai dit à Julien de Normandie (ministre de l’Agriculture du gouvernement Castex, ndlr) et à ses deux prédécesseurs, si vous donnez la main aux Régions sur ces sujets, elles vont adapter leur politique agricole en fonction des typicités des territoires. Et ce n’est pas un gros mot ! Comme l’autonomie n’est pas un gros mot ! Encore une fois, à quoi cela sert-il de mener la même politique pour le vignoble d’Aquitaine, les plaines céréalières des Hauts de France et les zones de montagne ? Posons des lignes et traitons les enjeux de performance environnementale, sociale et économique de nos exploitations par du travail local. Il ne faut pas voir le pouvoir réglementaire comme un risque d’avoir des lois différentes d’un territoire à un autre, comme je l’entends de temps en temps. Il faut le voir comme une adaptation d’un principe républicain voté par l’Assemblée nationale au territoire.

Loïg Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne

Loïg Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne ©Studio Carlito

Cette autonomie renforcée peut-elle concrètement accélérer la transition écologique dans nos territoires ? Quel rôle supplémentaire la Région peut-elle jouer ?

Loïg Chesnais-Girard : L’État pourrait nous donner la main sur la production d’énergie renouvelable, nous mettre en capacité d’être plus agile. Rendez-vous compte qu’entre la décision d’implanter un champ éolien à Saint-Brieuc et sa réalisation il va se passer 12 années ! Là, on attaque le volet de l’appel d’offres en Bretagne sud, j’espère que nous allons aller plus vite, mais, même si l’on met 5 ou 6 ans, c’est encore long. Quand je regarde les modèles au nord de l’Europe, il ne faut compter qu’entre 2 et 4 ans de la décision à la réalisation… À partir d’une vision nationale forte, faisons-en sorte que cela avance avec des délégations dans les territoires pour négocier avec les pêcheurs, avec les occupants, les usagers de la mer, avec les riverains, et ensuite pour négocier avec les entreprises qui vont venir, pour que le territoire en tire un bénéfice. Si les citoyens voient arriver des éoliennes partout et que les emplois ne viennent pas avec, cela n’a pas beaucoup de sens. Cela ne veut pas dire que la Région fera mieux toute seule, la Région fera mieux si elle est prise en considération comme un partenaire de cette transition parce qu’il y a des investissements qui se chiffrent en dizaine de milliards d’euros. On ne peut pas continuer à bricoler avec une pince à épiler et un cure-dent. Il va bien falloir investir massivement et lever tous les freins qui sont devant nous.

On ne peut pas continuer à bricoler avec une pince à épiler et un cure-dent !

On parle de 1 000 térawatts-heures d’énergie fossile par an à supprimer. Le champ éolien de Saint-Brieuc c’est 500 mégawatts. À un moment il faut se rendre compte des volumes ! Alors soit on se dit que c’est l’effondrement généralisé et la décroissance absolue et cela va être très difficile pour tout le monde ; soit on se dit qu’il va falloir y aller, et on se relève les manches !

Vous parlez de fatigue démocratique et évoquez un besoin de transparence renforcée. En quoi une adaptation de la réglementation en fonction des territoires peut-elle y contribuer ?

Loïg Chesnais-Girard : Prenez l’exemple des textes législatifs, devenu un sport national. Des petits amendements s’accumulent et définissent des règles, qui, comme par magie, ne s’appliquent que dans tel ou tel endroit. Nous restons bloqués par le sentiment que l’on va déchirer le pacte républicain ou que l’on va amoindrir la République ou, pire, qu’un Normand n’aurait pas les mêmes règles qu’un Breton. Mais c’est déjà le cas ! Par exemple, dans une loi portant sur l’aménagement des zones d’urbanisme commercial, on va injecter un amendement qui va parler de l’aménagement des plages sur les côtes françaises. On ne sait pas pourquoi ce texte arrive comme ça, enfin si : c’est pour régler des problèmes que l’on n’arrive pas à régler autrement. Alors, plutôt que de procéder de cette manière, encore plus obscure pour les citoyens, moins transparente et éloignée du terrain, il serait préférable que le Gouvernement fixe les grands axes et ensuite des volets opérationnels qui seront mis en œuvre sur les territoires avec les bons niveaux de collectivités et notamment les Régions. Qu’il nous donne les outils pour le faire. C’est plus démocratique. Pourquoi se départirait-on de la chance d’avoir des élus qui assument des responsabilités dans notre pays en se disant que ça marcherait mieux en remettant tout à Paris ? Car cela fonctionne mieux si les élus assument leurs responsabilités et si on leur donne les moyens pour agir. Cela permettrait de construire la république performante de demain.

Logement, mobilité, santé, transition environnementale sont des priorités sur lesquelles il faut se répartir les tâches

En donnant davantage d’autonomie fiscale, législative et réglementaire aux Régions, n’est-ce pas un modèle fédéral qui se dessine ?

Loïg Chesnais-Girard : Non, je ne le pense pas. La république des territoires n’est pas un état fédéral. C’est une république qui assume de transférer aux collectivités des capacités à agir, des compétences pour pouvoir répondre aux concitoyens. Ce n’est pas le même modèle que des états qui s’organisent en fédération pour assumer leurs responsabilités. Certains diront que je ne vais pas assez loin. Je suis pour une Europe fédérale et une République des territoires, mais ce n’est pas la même chose.

Loïg Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne

Loïg Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne ©Studio Carlito

Loïg Chesnais-Girard

est originaire de Lannion dans les Côtes d’Armor. Diplômé d’un DESS en finance d’entreprise à l’université de Rennes 1, il commence sa carrière professionnelle au Crédit lyonnais en 2002 avant de se mettre en disponibilité en 2010, au lendemain de son élection au sein du Conseil régional de Bretagne, dans l’équipe de Jean-Yves Le Drian. Engagé dans la politique depuis 1995, il est maire de Liffré de 2008 à 2017, Président de Liffré-Cormier Communauté de 2008 à 2020. En 2017, il succède à Jean-Yves Le Drian à la présidence de la Région Bretagne.

Quels pourraient être les freins à l’élargissement de l’autonomie bretonne?

Loïg Chesnais-Girard : La peur et le conservatisme. Le conservatisme n’est pas réservé à la droite. Il y a du conservatisme de gauche, de droite. Quelquefois on ne sait même plus pourquoi les gens sont contre. On a peur du changement, que la République, une et indivisible, s’affaiblisse avec des régions fortes. Pourtant, je constate que toutes les organisations modernes sont décentralisées, à l’instar de plus en plus de grands groupes internationaux, et il peut en être de même pour les collectivités.

Le vœu d’autonomie a été adopté par l’ensemble de l’hémicycle du Conseil régional, (à l’exception du RN) quelle est, à présent, la feuille de route ?

Loïg Chesnais-Girard : Maintenant que le nouveau Gouvernement est installé, nous allons (re)prendre attache avec lui et expliquer en quoi, nous pouvons être une solution aux problématiques actuelles. L’autonomie que nous appelons de nos vœux peut se concrétiser ensuite par des textes ou des conventions, qui nous permettront d’agir par des transferts de compétences de l’État. L’objectif étant de piloter nous-mêmes certaines politiques. Et les priorités à mon sens dans la période, sont le logement, les mobilités, la santé et les transitions environnementales. Ce sont des sujets sur lesquels, très concrètement, il faut se répartir les tâches.

Le questionnaire Breizh

Un lieu coup de cœur : Mon Trégor, mes plages d’enfance à Trebeurden et bien sûr Liffré ma ville de cœur dont j’ai été maire durant de nombreuses années.

Un Artiste : Alan Stivell. Il a fait un concert merveilleux avec l’Orchestre National de Bretagne et on s’est promis de voir comment continuer cette belle aventure avec l’ONB. Un auteur : Olivier Adam. Il a écrit un très beau livre qui parle de la Bretagne des lotissements, celle dans laquelle j’ai grandi.

Un Événement : La victoire de Rennes contre le PSG en finale de la Coupe de France de football 2019 (2-2, 6-5 aux t.a.b.). Voir au Stade de France, rempli de Gwenn ha Du (drapeaux bretons, ndlr), une Bretagne unie renverser le Paris-SG d’une très belle manière, c’est la Bretagne qui gagne !

Un mot breton : Le titre de la chanson de Alvan & Ahez à l’Eurovision 2022 : « Fulenn », qui veut dire étincelle. C’est un très beau mot de la langue bretonne que j’ai découvert.

Texte relatif au vœu d’autonomie de la Bretagne :

Voeux autonomie Bretagne