Couverture du journal du 04/11/2024 Le nouveau magazine

« L’espace, nouvel Eldorado commercial » avec Jonathan et Clément Galic, cofondateurs d’Unseenlabs

L'Homme repart à la conquête de l’espace. Après avoir été réservées aux États et aux grands opérateurs de satellite, émergent depuis dix ans de nouvelles activités spatiales et commerciales. C’est le « New Space », ou comment le secteur privé a pris le pas sur les agences gouvernementales. Dans cette galaxie de PME mondiales, un fleuron breton : Unseenlabs. Rencontre avec les cofondateurs, les frères Galic.

Jonathan & Clément Galic, cofondateurs d’Unseenlabs

Jonathan & Clément Galic, cofondateurs d’Unseenlabs © Studio Carlito

Météo, télévision, internet, téléphone, géolocalisation… Depuis dix ans, les satellites abreuvent de données notre vie quotidienne. Ceux développés par l’entreprise rennaise Unseenlabs, permettent la surveillance des océans, ou plus précisément des navires. « Pêche illégale, pollution, actes de piraterie, notre technologie permet de localiser les navires non-coopérants », indique Jonathan Galic. Ils ont à ce jour mis en orbite 3 nano-satellites (de moins de 10kg), nommés BRO – comme Brother mais aussi Breizh-Recon-Orbiter en hommage à la Bretagne. « L’objectif est d’en avoir 25 autour de la Terre en 2025 », précise Clément Galic. Cette flotte doit permettre de quadriller chaque point du globe et ses océans au moins toutes les heures.

Leur technologie ? « la meilleure au monde ! »

Le premier satellite BRO-1 est opérationnel depuis 2019, BRO 2 et BRO-3 ont suivi en 2020, tous lancés depuis la Nouvelle-Zélande, en orbite autour de la Terre à 550 km d’altitude. La collecte de données radiofréquences, et leur analyse, intéressent les États et organisations, garde-côtes, Marine Nationale, pour géolocaliser et traquer les navires qui font du dégazage en mer par exemple ou pêchent en dehors des zones autorisées. « Une autre entreprise privée aux USA est sur ce marché, avec une technologie utilisant trois nano-satellites quand nous un seul. Et nous sommes plus précis ». Une technologie unique et secrète bien sûr, qui à ce jour les propulse au-devant de la scène « les moins chers, les plus fiables, les meilleurs au monde. »

Unseenlabs

Les écussons font partie intégrante d’un programme spatial et de la panoplie d’Astronaute. Voici les trois écussons des missions BRO-1, BRO-2 et BRO-3 d’Unseenlabs

La nouvelle filière SpaceTech

« Nous travaillons dans le « New Space », l’industrie du spatial, mais nous sommes une entreprise de service, finalement », rappelle Jonathan. « Toute technologie – ordinateur, téléphone portable, etc – se développe d’abord dans un cadre militaire. Et puis un jour, parce que les matériaux évoluent, les coûts sont réduits, les entreprises du secteur privé s’emparent de cette technologie pour la proposer à un plus large usage. Et demain les entreprises privées seront dominantes dans l’espace, comme dans tout marché. »

Fin 2019 BRO-1 ramène à Unseenlabs ses premiers clients. Ici un contrat de géolocalisation sur le Golfe de Guinée, là sur la Manche. Une dizaine de clients à ce jour dans le portefeuille d’Unseenlabs, une centaine d’autres intéressée et en attente.

Elon Musk, Jeff Bezos, les cowboys de l’Espace

L’Espace est aujourd’hui comme le nouveau Far West. Pour autant cette industrie renaissante, n’est pas qu’une lubie de milliardaires comme Elon Musk (Tesla-SpaceX) ou Jeff Bezos (ex-Amazon). Pléthores de sociétés de l’industrie aérospatiale se lancent dans cette nouvelle aventure entrepreneuriale. Pour autant ces icônes fantasques forceraient un peu l’allure dans cette conquête de l’espace.

« Elon Musk a relancé l’appétence des gens vers le Spacial, c’est indéniable ! Et puis tout ce qu’il a dit, il l’a fait. Bon, après… envoyer 50000 satellites télécom dans l’espace ce n’est pas la meilleure idée. Il y a bien sûr un côté mégalo. Les risques d’embouteillage, de collision sont un danger. Il ne faudrait pas refaire les erreurs de démesures que l’on a déjà faites sur Terre, mais pousser les choses un peu trop loin est tellement humain. »

Demain les entreprises privées seront dominantes dans l’espace, comme dans tout marché.

Et la pollution spatiale dans tout ça ?

Jonathan & Clément Galic, cofondateurs d’Unseenlabs

Jonathan & Clément Galic, cofondateurs d’Unseenlabs © Studio Carlito

« Et bien justement, on y pense », souligne Jonathan. « En France il y a des règles, la loi relative aux opérations spatiales est contraignante et c’est très bien. Les autorisations de lancement sont conditionnées. Par exemple, nos nano-satellites brûleront dans l’atmosphère au bout de 25 ans. Mis en orbite à 550 km d’altitude, ils vont atteindre les 300 km d’altitude d’ici 25 ans et vont se dissoudre naturellement. C’est aussi pourquoi il est impossible d’envoyer un satellite contenant des matériaux dangereux : pas de gaz toxique, pas de plomb ou certains plastiques par exemple. »

La France audacieuse sur ce marché de l’Espace ?

« On est une vieille Nation du Spatial. Mais paradoxalement la France n’a pas perçu l’arrivée de ce nouveau marché, de l’ouverture au privé, le « New Space ». On n’a pas pris le virage il y a 10 ans, mais aujourd’hui il faut y aller ! » indique Clément. Des obstacles plus culturels que techniques à lever : aux USA, startups et PME sont missionnées par les agences spatiales, et la NASA ne rechigne pas à collaborer avec le privé. De plus ces jeunes entreprises sont portées par des fonds d’investissement pour se développer et occuper le marché.

Aujourd’hui s’il manque un peu de ce sens de l’aventure dans l’hexagone, les frères Galic ne tarissent pas d’éloges sur l’écosystème breton, qui les a accompagnés dans leur histoire entrepreneuriale.

Space-Breizh

« On n’est pas peu fiers d’avoir monté Unseenlabs et conçu ces nano-satellites depuis la Bretagne. Au niveau Européen la Bretagne est reconnue dans le Spatial. Il y a ici beaucoup d’activités en électronique, en métallurgie… Et une ambiance de confiance et d’échanges constructifs. Ce n’est pas négligeable, nous n’avons pas eu à nous embarrasser d’une barrière mentale, de défiance ou de concurrence. L’écosystème breton est un réel soutien. En plus il y a le Booster MORESPACE à Brest monté en 2015 au Pôle Mer Bretagne Atlantique, sur les thématiques du Spatial et de la Mer… C’était top et inespéré pour nous ! »

En 2018, Unseenlabs a fait une levée de capitaux de 7,5 millions d’euros auprès du fonds d’investissement Definvest, géré par Bpifrance et la Direction générale de l’Armement (DGA), de Hemeria et du fonds régional breton Breizh Up géré par Sofimac Innovation. Une autre levée de fonds s’annonce en 2021.

« On pourrait auto-financer notre développement, mais l’objectif aujourd’hui est d’accélérer cette phase, pour cela les investisseurs sont essentiels », précise Clément.

Il faut aujourd’hui prendre le virage du New Space

Leurs trajectoires

Unseenlabs est un projet pensé à trois : Clément, Jonathan et Benjamin Galic. Deux en seront les cofondateurs, l’aîné Benjamin avocat d’affaires sur la place de Rennes intervenant en conseil juridique.

Retrouvez l’article de Maître Benjamin Galic / Expertise – Avocat, sur un pan du droit assez peu connu, le droit de l’Espace : « Être opérateur privé d’une constellation de satellites ».

Jonathan et Clément sont issus des classes préparatoires de Physique au Lycée Chateaubriand à Rennes. Clément poursuit son parcours à l’ENAC de Toulouse École Nationale de l’Aviation Civile, Jonathan à Supélec Rennes. Avant l’aventure Unseenlabs Clément travaillait sur le futur centre de contrôle du CNES (Centre national d’études spatiales). Jonathan travaillait chez Airbus Defence and Space (ADS).

La jeune pousse Unseenlabs est née en 2015 dans la pépinière d’entreprises numériques Digital Square de Cesson-Sévigné. Cinq ans plus tard, en 2020 la PME de 18 salariés déménage dans ses bureaux à Rennes.

 

Les bonus perso :

À ces questions badines, Clément et Jonathan Galic répondent de concert.

Un souvenir : Les avions. Notre père a été pilote de chasse pendant quelques années, on a donc traîné dans les meetings aériens dans l’enfance. De là vient ce goût de l’atmosphère… mais on est allé plus haut, plus haut que les avions, c’est l’Espace.

Un film : Ceux des Monty Python.

Un personnage : Bill Murray

Un livre : « Le Disque Monde », de Terry Pratchett… En fait ce sont 35 livres, une saga, mélange de satire, d’humour, de fantaisie, de polar, de parodie… Le Disque-Monde est une planète plate et ronde qui repose sur le dos de quatre éléphants géants, eux-mêmes placés sur le dos d’une tortue interstellaire.

Une musique : Celle que l’on joue ! Du funk, réunissant encore les trois frères à la batterie/piano/ clavier, ainsi que d’autres musiciens.

 

L’humanité a déjà mis en orbite 8 000 satellites depuis le tout premier Spoutnik soviétique, 3372 satellites sont encore actuellement en orbite autour de la Terre (source : UCS, l’Union of Concerned Scientists).

© D.R.