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Jean-François Thony, la justice pénale internationale chevillée au corps

En cette fin 2020, Jean-François Thony quitte l'Ouest après 3 années comme procureur général près la cour d’appel de Rennes. Il va se consacrer pleinement à la politique pénale internationale, fil rouge de sa carrière.

Jean-François Thony

Jean-François Thony ©StudioCarlito

Lutter contre le blanchiment d’argent, le commerce illicite dans les Balkans, travailler à la formation de juges en Afghanistan, au renforcement des droits de l’homme en Égypte. Les missions de L’Institut international de Syracuse en Sicile sont pléthoriques. Jean-François Thony en est le président depuis 4 ans, et à 64 ans il a décidé de s’y consacrer pleinement. À son futur agenda, il ajoute deux autres missions du même ordre, étant également membre du comité exécutif de l’association internationale des procureurs, et vice-président de l’association internationale de droit pénal (AIDP) qui a pour objectif le respect des droits fondamentaux et dont est issue la Cour Pénale Internationale à La Haye.

La loyauté

À quelques jours de son départ, Jean-François Thony nous accueille au deuxième étage du Parlement de Bretagne à Rennes. Dans son bureau des dossiers sont encore ouverts, des effets personnels sont emballés, deux boites de cachou à la réglisse trainent sur le bureau, une manie qui le suit depuis des décennies. « J’ai converti bon nombre de personnes à cette addiction » indique-t-il en riant, « lorsque je travaillais au FMI – le Fonds Monétaire International aux États-Unis – j’en ai fait importer pour l’équipe, c’est très difficile à trouver ! » Cet homme au sourire franc et affable part de Rennes en cette fin 2020. Il va rejoindre son port d’attache dans le Gard où l’attend son épouse. Il restera de la Bretagne le souvenir d’une terre d’engagement et de valeurs. Arrivé en janvier 2018 pour assurer les fonctions de procureur général près la cour d’appel de Rennes, il était à la tête des neuf parquets du territoire qui s’étend sur les cinq départements de la Bretagne historique. « Les équipes sont très investies, en Bretagne il y a un bel esprit d’équipe et de loyauté. Les échanges sont fluides avec la volonté de bien faire. C’est une très belle juridiction, avec une richesse et une plénitude de contentieux. »

Cour d’appel de Rennes

La juridiction a plusieurs spécificités. On y compte notamment un tribunal militaire, un tribunal maritime et du littoral, le Service Central d’État Civil de France qui est basé à Nantes et où sont traités les contentieux dans les affaires d’adoptions à l’étranger, de naissance d’enfant né à l’étranger d’une GPA, gestation pour autrui. En matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière, la Jirs – juridiction interrégionale spécialisée- basée à Rennes couvre 15 départements soit 4 cours d’appel (Rennes, Caen, Angers et Poitiers). Une multiplicité des affaires aussi passionnante que lourde de responsabilités.

Pollution maritime

Au tribunal maritime à Brest (il en existe seulement trois autres en France), s’ajoute la « Julis », juridictions du littoral spécialisées, d’un secteur allant du Mont-Saint-Michel à la frontière espagnole. « Cela a trait aux affaires de trafic de stupéfiants par voie maritime, ou aux affaires de pollutions marines par exemple, aux dégazages. Sur ce sujet une des dernières affaires concerne le Thisseas, ce navire battant pavillon du Libéria à l’origine d’une vaste pollution en 2016 au large de Brest. » Les montants des amendes prononcées à l’encontre des capitaines des navires et des armateurs – de 1 à 3 millions d’euros – sont devenus assez dissuasifs. Se tient en ce moment l’affaire du navire de commerce italien Grande America, qui a coulé en mars 2019 dans le golfe de Gascogne. « La pollution de l’air par le soufre dans les ports est actuellement un point d’attention. Des cargos à l’arrêt continuent d’utiliser du fioul lourd et non le fioul léger, plus onéreux, mais moins polluant. »

 Pillage d’épave

« De manière anecdotique à la Julis, je pense à certains dossiers étonnants en archéologie maritime : il y a cette affaire de mise à sac du chargement du navire Prince de Conty, qui a échoué de retour de Chine au large de Belle-Île au 18e siècle. On a retrouvé encore récemment des lingots d’or issus de ce chargement dans une vente aux enchères aux États-Unis. » Une histoire de pillage d’épave dont il s’était déjà occupé 40 ans auparavant alors qu’il était jeune auditeur de justice à Lorient.

Terrorisme et mafia russe

Son parcours professionnel est particulièrement riche, à des fonctions judiciaires et à l’international. Jean-François Thony est l’un des experts mondiaux reconnus dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Il a occupé de hautes fonctions à l’Organisation des Nations Unies (ONU) et au Fonds Monétaire International (FMI).

« L’expérience au FMI a été particulièrement marquante. Je suis arrivé aux USA quelques mois après les attentats du 11 septembre 2001, vous imaginez bien l’atmosphère… Le G7 avec le GAFI – Groupe d’Action financière – m’a demandé de m’occuper du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme. Et on a réussi à faire fermer certains centres financiers offshore, de paradis fiscaux sans scrupules. Comme Nauro une île du Pacifique Sud, qui comptait par exemple 400 banques offshore détenues par la mafia russe. »

« On ne mettra jamais fin au crime, mais on s’y attaquera incessamment »

Conteneurs de cocaïne, contre containers de vodka

De ces quelques récits ou exemples qui ponctuent l’entretien, difficile de ne pas y voir l’éternel recommencement des luttes judiciaires contre la corruption. « C’est exact, on ne mettra jamais fin au crime, mais on s’y attaquera incessamment. On ne peut pas faire mieux que « Make the bad guys life miserable ! ». On voit par exemple actuellement dans l’économie du blanchiment le développement du troc : conteneurs de cocaïne contre containers de vodka. On assiste à un trafic démonétisé. Il faut voir l’opportunisme des organisations criminelles ! Ce sont comme des microbes, ils mutent, s’adaptent, en permanence. »

Les exemples sont légion, et tout est bon pour ce business. « Les trafics de masques et de médicaments aux premiers jours de la pandémie, les trafics de déchets toxiques. Sur cet échiquier, il faut avoir un coup d’avance. »

 Parcours

Jean-François Thony

Jean-François Thony © Carl Denot

Entré dans la magistrature en 1982, il a été successivement juge d’instruction (Albertville), substitut du procureur (Saint-Pierre à la Réunion), procureur de la République (TGI de Roanne). En 1991, il rejoint le programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID) à Vienne (Autriche), comme conseiller juridique puis directeur du programme mondial contre le blanchiment d’argent. Nommé conseiller à la cour d’appel de Versailles en juillet 2000, il est détaché en 2002 au FMI en qualité de sous-directeur des affaires juridiques et responsable du Groupe d’intégrité financière, créé après les attentats du 11 septembre 2001 pour coordonner l’ensemble des activités du Fonds dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Directeur de l’ENM (École nationale de la magistrature) en 2007, il devient en février 2012 procureur général près la cour d’appel d’Alsace, à Colmar, puis rejoint Rennes en janvier 2018. Il a également été président de la conférence nationale des procureurs généraux de 2017 à 2019. Il a publié de nombreuses études et recherches sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Il a reçu les distinctions d’officier de l’Ordre de la légion d’honneur, de chevalier de l’Ordre national du mérite et de chevalier des palmes académiques.

Jean-François Thony va se consacrer à sa fonction de président de l’institut international sur la justice pénale et les droits de l’homme (Syracuse, Italie).