116 parquetiers
Il dirige le parquet général de la cour d’appel de Rennes. Cette cour est la plus étendue de la métropole française, et la 2e en termes de population, puisqu’elle couvre les 5 départements de la Bretagne historique, soit près de 4 millions 800 mille habitants ou justiciables. Frédéric Benet-Chambellan encadre l’ensemble des procureurs, vice-procureurs et substituts, des 9 parquets de ce territoire, soit à ce jour 116 personnes. “Nous avons le ratio le plus défavorable : 2,6 procureurs pour 100 000 habitants en Bretagne. » Bien loin des 11,8 / 100 000 en Europe, et même des 3,2 /100 000 en France. “Si l’on ne peut nier que les trois derniers exercices budgétaires ont été marqués par une augmentation des moyens alloués au système judiciaire ( +8% chaque année ), le retard est tel que cela ne comble pas encore le manquement. Dans l’urgence immédiate, il faudrait 10 substituts placés sur notre ressort.” Car cette centaine de femmes et d’hommes a pour mission de diriger les enquêtes, de poursuivre ou en tout cas d’organiser un mode de poursuite judiciaire, au nom du ministère public. Négliger cette mission se ferait au détriment de la défense de la société.
La Bretagne, pas si calme et modérée
“De manière générale, le citoyen est moins respectueux, il a moins la capacité de se raisonner. L’intolérance grandit, ainsi que la frustration, et cela se retrouve dans la délinquance, qui s’accompagne de violence. Il y a une tension concernant les questions d’ordre public. S’ajoutent les violences intra-familiales qui augmentent également avec la libération de la parole des victimes. Autre point : il n’y a plus de manifestation sans incidents, dégradations volontaires, ou vols. C’est flagrant à Rennes, Nantes, et Rouen, ce que l’on nomme le “Croissant Ouest”. De manière générale, je ne dirai pas qu’il y a une aggravation de la délinquance, mais qu’il y a une accentuation des délits graves.”
Le vol organisé de…GPS agricoles
“ Un autre point de vigilance est orienté vers la délinquance itinérante, qui agit dans une logique de pillages, de vols en bandes organisées.” Les malfrats ciblent une zone, la ratissent et la pillent, les larcins partant ensuite directement à l’étranger pour être revendus. Des vols d’équipements technologiques coûteux comme les GPS agricoles, des moteurs de bateaux, ou encore des pots catalytiques comme en juillet 2022 où les enquêteurs de la JIRS ( juridiction interrégionale spécialisée) ont démantelé une filière en Finistère après 8 mois d’enquête. « Quant aux stupéfiants, ce sont de plus en plus des organisations criminelles qui organisent l’approvisionnement.” Du trafic de gros, de cannabis ou de cocaïne, venant des Pays-Bas par go-fast ou caché dans des conteneurs débarquant au port de Montoire Saint-Nazaire.
Tous les maillons de la chaîne pénale doivent être solides
« Dans notre pays, il y a trop peu d’éducation aux sujets judiciaires et policiers. Renforcer les patrouilles de police est une chose, tout comme répondre aux concitoyens qui ne veulent plus voir de jeunes occuper leur hall d’immeuble. Mais le travail des enquêteurs de la JIRS, moins visible, est primordial. Ce sont des missions de l’ombre et de longue haleine, sur des dossiers de trafics et de grandes délinquances.
Je ne suis pas persuadé que ce soit pertinent pour l’action judiciaire, de mélanger des métiers d’officiers de police judiciaire totalement différents entre la grande délinquance et la délinquance du quotidien, comme évoqué dans la réforme en cours de la police judiciaire. Au risque que les enquêteurs se dispersent dans des dossiers du quotidien, alors que les dossiers de grande délinquance se développent.
La délinquance est une hydre, dans la chaîne pénale, tous les maillons doivent être solides.”
Sanctionner les délinquants en s’attaquant à leur portefeuille
Ayant passé 12 ans dans le corps préfectoral, il avait le profil interministériel idéal pour devenir le président du conseil d’administration de l’Agrasc, L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), placée sous la double tutelle des ministères de la Justice et du Budget. L’agence nationale est opérationnelle depuis 2011, et a ouvert une antenne à Rennes début avril. Elle sanctionne les délinquants en s’attaquant à leurs portefeuilles, selon la devise : Nul ne doit tirer profit de son délit. « On remarque que les délinquants acceptent la prison quand ils pensent avoir la belle vie en sortant quelques années plus tard. Le fait de saisir le patrimoine est douloureux, d’ailleurs ils engagent de nombreux recours non pas sur leur peine, mais sur leur patrimoine ». Saisies d’immeubles, de voitures de luxe, de bateaux, de montres, d’assurances vie, les biens sont de nature très variés, cela a représenté en 2021 près de 17 millions d’euros sur le ressort de la Cour d’appel de Rennes. “C’est un outil très efficace.”
La multiplicité des affaires
La juridiction a d’innombrables compétences. La JIRS qui s’occupe de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière est basée à Rennes et couvre 15 départements soit 4 cours d’appel (Rennes, Caen, Angers et Poitiers). Se trouve aussi l’antenne du parquet de Rennes au CNT, Centre National de Traitement automatisé des infractions. On compte également le Service Central d’État Civil de France, basé à Nantes et où sont traités les contentieux dans les affaires d’adoptions à l’étranger, de naissance d’enfant né de GPA, gestation pour autrui. Il existe également un tribunal militaire, un tribunal maritime et du littoral, et un pôle régional environnemental depuis 2021, basé au parquet de Brest. « Les atteintes pénales à l’environnement existent depuis longtemps, à nous de définir à présent avec les référents de chaque parquet les priorités d’actions sur ce sujet. »
Parcours
Diplômé de l’IEP de Paris, et de l’École nationale de la magistrature (1986-1987), il entre dans la magistrature en 1988, comme substitut du procureur près le tribunal de grande instance de Lyon jusqu’en 1995. Il effectue ensuite un parcours professionnel de 12 ans en préfecture, de 1996 à 2008 : respectivement sous-préfet de Saint-Jean-de-Maurienne, sous-préfet chargé de la politique de la ville pour le département de l’Essonne et sous-préfet de l’arrondissement d’Evry-Corbeil Essonne, secrétaire général de la préfecture de la Dordogne et sous-préfet de Périgueux, secrétaire général de la préfecture de la Vienne, sous-préfet de Poitiers.
De 2008 à 2010, il est adjoint au directeur des services judiciaires, chef du service de l’organisation et du fonctionnement des juridictions. Puis officie 5 ans comme avocat général près la Cour d’appel de Paris, adjoint puis chef du service des politiques judiciaires (de 2010 à 2015). En 2015 il devient Procureur général près la Cour d’appel de Rouen, jusqu’en 2021 où il arrive à Rennes.
Il est depuis 2019 le président du conseil d’administration de l’AGRASC.
Chevalier de la Légion d’honneur, officier de l’ordre national du Mérite, chevalier de l’ordre des palmes académiques, il est aussi officier de réserve de l’armée de l’air.