Voiles, tulles brodés, dentelles, guipures, et autres étoffes de soie, ce matin-là, une quinzaine de femmes et un homme s’affairent dans l’atelier de conception Lambert Créations, situé depuis 2015 à Montgermont, au nord de Rennes. Dans cet espace lumineux où les machines à coudre ronronnent paisiblement, chacun oeuvre à de multiples tâches, découpe des tissus, montage, patronage, incrustation de dentelle, couture de boutons, et d’expédition. Un salon d’essayage à l’étage accueille une cliente venue de Nantes, un boudoir élégant avec une vue plongeante sur l’atelier, ce qui ne manque pas d’émerveiller chaque visiteuse. Ici le Made in France n’est pas un slogan et ne s’affiche pas outrancièrement. Chez Lambert Créations, l’élégance se conjugue avec discrétion.
Une gamme accessible
“1 800 robes de mariée sont sorties de cet atelier l’an passé” indique Manuëla Coulombel, la directrice de Lambert Créations. Aux 22 robes de la collection 2023, conçues avec la styliste Adélie Métayer, s’ajoute une quinzaine de modèles des années précédentes, toujours demandés. « Nous façonnons des robes sur-mesure, reconnues pour la qualité de l’ouvrage de conception française. Du haut de gamme qui reste accessible, avec des prix entre 1 700 et 2 000 euros la robe.”
De 12 à 165 boutiques en 18 ans
“ Lorsqu’en 2004 nous avons repris l’affaire, 12 boutiques proposaient des robes Lambert Créations, dont 1 en Belgique et 1 en Suisse. Aujourd’hui il y en a 115 en France et 50 autres à l’étranger, en Europe du Nord principalement (Allemagne, Suisse, Belgique, Autriche…), et de manière anecdotique nous faisons quelques envois au Japon, ou au Chili par exemple. »
Comment faire vivre le “Made in France” ?
Peu d’ateliers textiles français ont passé le cap de la mondialisation, face à la concurrence impitoyable des coûts de production, délocalisant la fabrication au mieux au Portugal, en Europe de L’Est, ou encore, à plus bas coût, en Asie.
“En 2007-2008, nous avons fait face à de grandes difficultés : c’était le boom des franchises, des robes à bas prix, le monde change, internet se développe, une véritable révolution, et nous avions à cœur de préserver notre savoir-faire en France. Une seule option possible : monter en gamme. Notre force est que cet atelier a une excellente réputation. Il était – et reste aujourd’hui – une référence, connu pour la qualité des ouvrages et son style. Mais cela ne fait pas tout ! En 2007, il nous fallait rationaliser, et optimiser la production de l’atelier : notre solution a été de travailler pour des maisons françaises de haute couture, en sous-traitance, lors des trois mois creux d’activité en novembre, décembre et janvier.” Un savoir-faire mis ainsi au service d’autres maisons de luxe, pour la confection de robes du soir, ce que l’on nomme “le flou” dans le jargon de la mode. Cette diversification représente aujourd’hui environ 30% de l’activité de l’atelier.
“Autre difficulté : quand un magasin vend nos modèles, il en veut l’exclusivité. Le marché n’est donc pas extensible et avec nos 115 boutiques françaises nous arrivions aux limites de notre maillage territorial. Alors depuis 2 ans nous développons une “marque blanche” de robes de mariée, à destination de boutiques qui souhaitent avoir la qualité et les service Lambert sans pouvoir distribuer la marque. Cela permet également d’avoir une démarche de recyclage de nos tissus et de nos patronages. Nous proposons également des accessoires, des étoles et boléros en mohair pour les mariées d’hiver entre autres, tricotés par un autre atelier de fabrication bretonne : Royal Mer. Il faut sans cesse s’adapter, être créatif et à l’écoute du marché, faire évoluer l’offre et le service tout en préservant l’ADN de la marque, c’est peut-être cela le secret de la durabilité. »
2023, année record de mariages ?
“Il y a eu 2 années marquées par le covid, une période compliquée où les mariages ont été bousculés, les futures mariées stressées, les importations de robes difficiles, les boutiques se sont tout naturellement tournées vers notre atelier pour assurer la confection de leurs modèles. Le Made in France est devenu la valeur refuge et notre atelier a toujours poursuivi son activité pendant le confinement. Le futur lui s’annonce beaucoup plus radieux : 2023 devrait être une année record avec 300 000 mariages prévus. Pour preuve : les carnets de rendez-vous sont pleins. Pour ma part, j’ai déjà les yeux tournés vers l’avenir et nous travaillons sur les tendances 2024.
Le calendrier de distribution
“Nous proposons notre collection dans les salons professionnels européens chaque printemps. Les revendeurs choisissent les modèles qu’ils proposeront en boutiques, que nous leur envoyons entre juillet et octobre.” Lorsqu’une future mariée a choisi sa robe, la boutique passe commande à l’atelier avec tout un cahier des charges : les mensurations exactes bien sûr, mais aussi les potentielles modifications, car tout est possible, c’est l’intérêt du sur-mesure ! Ajouter des manches, une traîne ou en retirer, changer les matières, adapter une robe à une future mariée enceinte… “Nous sommes réactifs et flexibles, avec des délais de livraison assez courts de 5 semaines.” Il y a aussi la vente en direct, au showroom de Montgermont, « les clientes viennent de Rennes, Nantes, Paris… La boutique de Rennes est LA boutique historique dont la réputation n’est plus à faire, nos mariées d’hier accompagnent aujourd’hui leur fille, leur sœur, leur cousine, leur copine. Le bouche-à-oreille est la meilleure des publicités même si aujourd’hui il faut aussi compter sur les réseaux sociaux comme Instagram, vitrine incontournable de la marque. »
L’histoire
Lambert Créations naît à Rennes en 1920. Monsieur Georges Octave Lambert s’inscrit dans l’univers nuptial par la création de coiffes, diadèmes, et couronnes de fleurs. Le nec plus ultra à l’époque. De l’atelier rue Poullain Duparc, où sont assemblées les couronnes, partent des colis dans toutes les capitales européennes. On prétend même que les bouquets des demoiselles d’honneur de la reine Elisabeth II auraient été façonnés par la manufacture Lambert. C’est lorsque Michel Vignes reprend l’affaire en 1962 que se développe la confection de robes de mariée. Avec sa femme Sissy, créatrice prolixe, ils déploient des confections illustrant l’élégance à la française. En 2004, c’est en famille que Manuëla Coulombel, son mari Hervé et son beau-frère Roland reprennent le flambeau. Les deux hommes qui travaillent comme conseils à l’export pour les PME bretonnes ambitionnent de restructurer l’outil de production pour développer la distribution de la marque en France et à l’étranger. Manuëla qui vient de la communication a pour mission de moderniser l’image, le style, les collections. “On y est allé la fleur au fusil” se rappelle-t-elle. Et en 18 ans, ils ont développé l’entreprise, passant les crises, et gonflant l’effectif de 10 à 25 salariés.
Les questions bonus !
Un livre à conseiller ? “Ce sera même deux : “D’autres vies que la mienne” d’Emmanuel Carrère, parce qu’il remet les choses en perspective, c’est un livre humain qui m’a beaucoup touchée. Et “100 ans de solitude” de Gabriel Garcia Marquez… Un livre qui ne laisse pas indifférent, on est embarqué par cette épopée incroyable… ou pas . C’est donc difficile de le conseiller, mais pour ma part, sa découverte a été une révélation.
Côté musique ? “Ooooh je suis très éclectique ! Avec quand même un penchant pour l’électro allemande : Paul Kalkbrenner, Boris Brejcha ou encore Moderat, dont j’attends le concert à Nantes début novembre avec impatience! C’est un univers sonore et visuel, pareil on aime ou on déteste ! (rire). Je pense aussi à Bashung que j’adore, notamment le morceau “l’apiculteur” en live avec un passage de guitare fabuleux.”