« Oui, l’expert-comptable a un avenir prometteur. » Ce n’est pas le président de l’Ordre breton des experts-comptables qui le dit, c’est Chat GPT. Présentée comme la plus grosse concurrente de ces professionnels du chiffre, l’intelligence artificielle elle-même (si l’on peut dire) affirme que « les évolutions technologiques ne peuvent pas remplacer complètement les compétences et l’expertise humaines offertes par les experts-comptables. » N’en déplaise aux pessimistes brandissant l’étude de l’université d’Oxford* qui voyait le métier d’expert-comptable sacrifié. Ces travaux de recherche, déjà datés de 2013, stipulent que la probabilité pour que les métiers de comptable et d’expert-comptable disparaissent sous le coup de la numérisation est de 95%. Pour le Finistérien Gwennog Grall, « il faut voir ces transformations comme des opportunités. »
La révolution de la facture électronique
Le bouleversement majeur de la profession est sans nul doute la facture électronique interentreprises. Sa généralisation est en marche dès cette année et une accélération interviendra dès le 1er juillet 2024 avec l’obligation pour toutes les entreprises de recevoir ces factures dématérialisées. À compter, du 1er janvier 2026, l’impératif pour toutes les entreprises de les émettre enfoncera le clou d’une mutation qui « va changer la réalité du métier, car les experts-comptables vont gérer des flux, de la data. » La saisie est morte, vive la data.
« Les experts-comptables vont gérer des flux, de la data. »
Nouveaux services : « coachs d’entreprise », « assistants administratifs »
L’information sera désormais accessible en temps réel. Selon Gwennog Grall, cette transformation devrait diversifier l’activité des cabinets en donnant naissance à deux grands types de professions : la gestion de la data et son analyse. D’autant plus que la loi Pacte, promulguée en 2015, a élargi le champ des possibles et des opportunités commerciales pour la profession. « Les experts-comptables seront des coachs d’entreprise. Ils accompagneront le chef d’entreprise dans la gestion puisqu’ils auront une vue globale du marché et des concurrents. » Pour le président du CROEC Bretagne, élu en décembre dernier, « la notion de facilitateur restera, notamment sur le volet fiscal, car il y a des changements de réglementation tous les ans. Le conseil sera prédominant. »
Autre rôle qui pourrait fleurir dans les cabinets, celui d’assistant administratif. Il endosserait « le paiement de factures fournisseurs et l’encaissement de créances clients avec le suivi et la relance ». Une orientation naturelle pour ces spécialistes de la trésorerie.
« Nous sommes de moins en moins des professionnels libéraux, centrés sur l’expert, mais devenons des entreprises de services. »
Faire évoluer les pratiques professionnelles
Rome ne s’est pas faite en un jour et Gwennog Grall le sait. Il faut « donner aux cabinets les moyens de prendre le virage. » Pour faire face, l’Ordre anime un club dédié à la transition numérique. Au programme des rencontres, les évolutions technologiques, l’impact sur les collaborateurs et les nouvelles approches commerciales, en particulier les relations avec les clients à l’ère du digital. « Nous sommes de moins en moins des professionnels libéraux, centrés sur l’expert, mais devenons des entreprises de services. »
L’attractivité, le nerf de la guerre
Ce pivot accentue la diversité des métiers au sein des cabinets, un axe sur lequel s’appuie l’Ordre régional pour attirer du sang neuf dans la profession. Sans nouvelles recrues, point de salut. La question du recrutement et de la formation est au cœur des préoccupations. En cause, le déficit d’attractivité du métier, « victime de préjugés ». Un sujet auquel Gwennog Grall est particulièrement attentif puisque, avant de prendre la tête du CROEC breton, il a été président de la commission attractivité et vice-président du Finistère. Pour faire naître des vocations, les experts-comptables ne ménagent pas leurs efforts : communication, portes ouvertes des cabinets, présentation dans les lycées et les établissements d’enseignement supérieur… Dans les cabinets bretons, 400 postes restent à pourvoir, tous métiers confondus. Une donnée qui est loin de doucher l’optimisme du chef des troupes : « Les statistiques récentes en notre possession montrent un grand dynamisme de la profession, avec une progression significative du nombre tant de sociétés d’expertises comptables que de personnes physiques. »
« Dans les cabinets bretons, 400 postes restent à pourvoir, tous métiers confondus. »
S’associer à d’autres professions : serpent de mer ou évolution logique ?
Depuis 2015, la loi permet une organisation capitalistique pluriprofessionnelle et son application à l’avocature, au notariat et à l’expertise comptable. « En Bretagne, il y a eu des tentatives, mais rien d’abouti à ce jour. Il reste encore des aspects pratiques à débroussailler, à commencer par la question du secret professionnel. L’intérêt de l’interprofessionnalité c’est de pouvoir communiquer au service d’un même client. Nous avons, entre autres, des échanges sur ce sujet avec la chambre régionale des notaires. Il y a des envies. »
Les critères ESG
« L’expert-comptable va de plus en plus vers l’exploitation de données non financières. Nous pouvons réaliser des bilans carbone. » D’évidence, les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) seront de plus en plus scrutés. « Il est possible d’imaginer des taux bonifiés pour des prêts bancaires si un certain nombre de critères est respecté. Idem pour l’attribution de subventions. »
Au-delà des suppositions, la question n’est plus une vue de l’esprit. Cousins germains des experts-comptables, les commissaires aux comptes commencent déjà à voir leurs missions évoluer. Une directive européenne, la Corporate Sustainability Reporting Directive, prévoit de rehausser les exigences de transparence des entreprises en matière d’ESG, impliquant une obligation d’audit des données de durabilité.
Les experts-comptables, dans leur couloir de nage, prendront part aux transitions. Gwennog Grall évoque la norme ISO 26000, premier standard international en matière de RSE. Les experts-comptables pourraient-ils accompagner les entreprises dans les démarches de labellisation ? L’avenir le dira. En attendant, « pour être convaincus, il faut y être passés donc nous réfléchissons sur la façon d’inviter nos confrères et consœurs à se saisir du sujet au sein même des cabinets. »
Bonus
Un livre ? « En ce moment, je me passionne pour la fermentation. Je suis en train de lire le livre de Sandor Katz sur toutes les formes traditionnelles de fermentation à travers le monde. Mon livre de chevet c’est Le Guide Noma de la Fermentation. »
Une musique ? « Le nouvel album de Miossec est génial. J’aime particulièrement trois chansons. « Il s’appelle Charles » qui fait référence au patron du Vauban (hôtel – restaurant – cabaret emblématique de Brest, ndlr). « Mes voitures », le clip est fabuleux. Et la chanson « Meilleur jeune espoir masculin » consacrée à Gérald Thomassin, ce jeune espoir du cinéma français, soupçonné d’être l’auteur d’un meurtre et porté disparu depuis (après avoir été soupçonné pour l’homicide d’une postière dans l’Ain survenu en 2008, il bénéficie finalement d’un non-lieu, ndlr). »
Un lieu ? « Tokyo au Japon. »
* « The future of employment : how susceptible are jobs to computerisation ? » de Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne.