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Rencontre avec Maurice Bourrigaud, Président de la Fédération des Banques de Bretagne

Maurice Bourrigaud est un enthousiaste, et un enthousiaste très occupé. Directeur général de la Banque Populaire Grand Ouest (BPGO), jusqu’au 16 mai, jour à compter duquel il fera valoir ses droits à la retraite, il est également président de l’IUT de Saint-Malo. Depuis 2022, il est président du Comité breton de la Fédération bancaire française, qui regroupe les établissements bancaires de la région. Compte tenu de ses responsabilités, Maurice Bourrigaud a une vision fine de l’économie bretonne, nationale et internationale. Rencontre.

Maurice Bourrigaud au siège de BPGO (Saint-Grégoire) dont il est le directeur général. ©Studio Carlito

Maurice Bourrigaud au siège de BPGO (Saint-Grégoire) dont il est le directeur général. ©Studio Carlito

7J : Quelle analyse faites-vous de la conjoncture économique en France ?

Maurice Bourrigaud : 2020, le choc du Covid et une contraction énorme de l’activité, dès le premier trimestre. Puis une reprise assez vive. Aujourd’hui la dynamique s’est tassée. La hausse des prix était déjà en marche avant la guerre en Ukraine, depuis 2020, ce qui explique que le retour à la normale soit lent. L’économie va trouver son chemin d’équilibre. Le gros défi, y compris pour les Bretons, c’est l’inflation. Vivre avec moins qu’avant, c’est possible que ce soit le schéma.

7J : Comment se porte l’économie bretonne ?

MB : Il y a plusieurs choses exceptionnelles en Bretagne. À commencer par la cohésion du territoire. Il n’y a pas de logique politique partisane. Dès qu’on parle de choix d’investissement ou d’innovation, il n’y a pas de perturbateur politique. Il n’y a que l’intérêt supérieur de la Bretagne qui compte. Sur ce point, il y a des figures inspirantes et qui ont tiré l’ensemble vers le haut en intelligence et en énergie telles que Jean- Yves Le Drian ou Pierre Méhaignerie, qui ont d’abord travaillé pour le territoire.
La Bretagne est aussi dynamique qu’elle est attrayante. Une information sensationnelle concerne la population, c’est le ratio des entrées sur les sorties par région de France. La Bretagne est en tête de toutes les régions de France. En 2022, en Bretagne 1,90 entrée a lieu pour 1 sortie. Il y a l’effet LGV assurément. De plus, le territoire est homogène. Si l’on prend le nombre de TPE pour 10 000 habitants, donc ce qui irrigue le territoire en initiatives économiques et services de proximité, il est harmonieux sur toute la Bretagne, le tissu est très bien réparti : 140 en Ille-et-Vilaine, 142 dans les Côtes-d’Armor, 133 dans le Finistère, 155 dans le Morbihan. Enfin, le territoire montre une magnifique résistance, même si depuis quelques mois les anticipations sont plus compliquées pour tout le monde, sur l’emploi, sur les chiffres d’affaires…

7J : Dans un contexte macroéconomique tendu et incertain, comment poursuivre l’accompagnement du territoire breton, particulièrement dynamique que ce soit au niveau des particuliers et des entreprises comme vous l’avez dit ?

MB : L’économie a besoin de plus en plus de financement. Une voiture, par exemple, coûte plus cher aujourd’hui qu’il y a 30 ans, elle embarque bien plus de technologie. L’État peut financer à partir des recettes fiscales. Or, les entreprises et les ménages français sont parmi les plus imposés au monde. Donc, il faut trouver une solution pour financer les investissements, notamment les transitions écologique, sociale et numérique. L’endettement des ménages, de la puissance publique, des collectivités, des entreprises a toujours été une solution. L’effet de levier de l’apport en capital aussi. Le système bancaire breton répond à 85% des demandes de crédits. C’est heureux, car les Bretons sont des conquérants.

« Le système bancaire breton répond à 85% des demandes de crédits. »

7J : Et ce malgré le contexte de remontée des taux des crédits ? Concernant les prêts immobiliers, on entend pourtant une petite musique qui souffle que les banques sont moins prêteuses, particulièrement s’il s’agit de primo-accédants.

©Studio Carlito

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MB : Il y a eu un effet d’éviction sur les 18 derniers mois à cause d’un taux d’usure beaucoup trop bas. Nous avons buté sur le taux d’endettement, autour d’un tiers, et le reste à vivre. Désormais, le taux d’usure est revu tous les mois par la Banque de France. Cet ajustement permet de mieux réguler la rencontre entre l’aspiration des Français d’avoir un toit sur la tête et leur capacité à concrétiser. Les taux restent orientés à la hausse et devraient se stabiliser à un niveau plus élevé qu’il y a deux ans. Le taux du crédit à l’habitat reste supérieur à 3%. L’argent va très probablement rester sur un palier supérieur à ce qu’on a connu en 2018 – 2019. Mais les banques sont toujours aussi prêteuses. Il y a certes eu un tassement relatif, corrélé à l’inflation, mais après des années de réelle euphorie.

7J : Peut-on parler d’un retour en vogue de l’épargne ? Doit-on s’en satisfaire ou s’en inquiéter ?

MB : Les gens épargnent un peu plus, sous forme d’épargne financière. Le taux du livret A est passé à 3 %, des centaines de millions d’euros ont été collectés en quelques semaines. Le taux d’épargne global des ménages est de 15-16 % en France. Il ne bougera pas trop. L’épargne découle d’une anticipation de l’avenir, par exemple d’une volonté de se protéger. Ce n’est pas négatif de se protéger. Et l’épargne irrigue l’économie.

7J : Un repreneur a finalement été trouvé pour la banque américaine Silicon Valley Bank (SVB), mais le système a montré ses failles, l’écosystème bancaire français est-il protégé d’un impact ?

MB : Si, aux États-Unis, la SVB avait fait faillite, cela aurait donné l’image d’un pays qui ne sait pas protéger ses investisseurs. Pour Joe Biden, c’est impensable. En France, les banques sont régulées. Nous sommes soumis à des normes strictes sur au moins deux sujets. D’une part, le niveau de solvabilité, la capacité à prendre des risques en proportion de nos fonds propres. Le taux de solvabilité des banques bretonnes se situe entre 15 % et 20% pour une exigence d’environ 11%, ce qui atteste de la très grande solidité des banques bretonnes. Chez BPGO, il est de 16,24%. D’autre part, les liquidités. Est-ce que les épargnants bretons confient assez d’argent aux banques pour répondre à l’essentiel des besoins de financement ? Les banques françaises répondent à des normes de liquidités à un mois avec le ratio de liquidité à court terme (LCR). Et aussi à un an avec le ratio NSFR, qui permet d’anticiper de forts besoins de liquidités de la part d’un nombre important de clients. En bref, nous garantissons que nous avons suffisamment de liquidités à mobiliser sans que cela affecte la confiance. Ce type de contraintes n’a pas cours pour les banques américaines de second rang.

 « Le taux de solvabilité des banques bretonnes se situe entre 15 % et 20% pour une exigence d’environ 11%, ce qui atteste de la très grande solidité des banques bretonnes. »

7J : Craignez-vous les banques en ligne ou les néo-banques professionnelles par exemple ?

MB : Ces banques sont des intermédiaires sur des flux de financement. Par exemple, les néo-banques professionnelles n’ont pas fait de PGE et n’accompagnent pas les entreprises en situation plus ou moins dégradée. Et elles ne participent pas significativement au financement de l’économie. Elles participent de façon marginale à la circulation de l’argent dans l’économie. Leurs initiatives nous intéressent, mais nous n’évoluons pas sur les mêmes planètes.

©Studio Carlito

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7J : Qu’est-ce qui fait la résilience des banques françaises ?

MB : Leur puissance, à l’image de BNP Paribas, qui est une banque mondiale de référence, et le modèle coopératif. Celui-ci est en effet basé sur le fait que nous sommes des banques universelles, avec des sociétaires propriétaires de leur banque et avec lesquels nous sommes ancrées dans les territoires en y travaillant dans le temps long. Nous mettons des êtres humains en face d’êtres humains. Ces banques coopératives racontent une histoire de territoire. C’est la force des banques et du monde coopératif en Bretagne !

7J : La digitalisation est un des enjeux de la banque de demain, en découlent les problématiques de cybersécurité. Comment les banques s’équipent-elles ?

MB : La cybersécurité est la clef, car les attaques sont quotidiennes. Chez BPGO, alors que notre niveau de sécurité est extrêmement élevé, nous avons fait auditer tous nos outils et cela nous a coûté 250 000 euros. Nous sommes très heureux d’avoir mis en place des plans d’action pour affiner nos protections. Cela demande des compétences très pointues.

7J : Avec la digitalisation, verra-t-on les conseillers en agence disparaître ?

MB : BPGO enregistre 300 000 connexions smartphone par jour et près de 5000 rendez-vous quotidiens en tête à tête. L’être humain est toujours essentiel, car les questions à résoudre sont assez souvent compliquées et parce qu’on gère des risques de toutes natures. Il y aura un peu moins de monde en agence, mais du personnel beaucoup plus qualifié en relationnel, en connaissances et niveau d’expertise.

« BPGO enregistre 300 000 connexions smartphone par jour et près de 5000 rendez-vous quotidiens en tête à tête. L’être humain est toujours essentiel. »

7J : Quid des cryptomonnaies ?

MB : La cryptomonnaie répond à des besoins de spéculation pour des profils assez joueurs. Des gens ont besoin d’investir avec plus ou moins de technicité et plus ou moins d’émotions. Une cryptomonnaie n’est pas une monnaie, elle vaut ce que vaut une ligne d’écriture informatique. C’est de l’argent mis sur un support et le support vit sa propre vie. Les gens prennent un risque à 100 %. Le Bitcoin valait trois centimes à sa création, il est monté à 60 000 dollars. Il n’y a aucun actif adossé ni aucun État pour en répondre. Enfin, des flux occultes servent parfois au blanchiment de l’argent et au financement du terrorisme ainsi qu’en attestent des saisies judiciaires.

7J : De quel œil voyez-vous le développement d’une monnaie numérique, à l’instar du projet d’euro numérique actuellement à l’étude à la Banque Centrale Européenne ?

MB : Tout d’abord nous avons bel et bien l’équivalent d’un système concurrent de Visa en train d’émerger en Europe, le projet EPI. Celui-ci pourrait servir de support au projet MNBC, monnaie numérique de banque centrale, qui est un projet de compte en banque détenu à la banque centrale par les citoyens. Ce projet verra le jour et les Chinois et les Américains y travaillent eux aussi. C’est une évolution normale dans une perspective de dématérialisation facilitant la circulation et la sécurité de la monnaie.

 Les GAFAM sont les plus gros concurrents des banques.

7J : Demain, est-ce que les plus gros concurrents des banques ne sont pas les GAFAM ?

MB : Oui, même si le Data Act de l’Union Européenne change vraiment la donne. Les GAFAM utilisent massivement l’intelligence artificielle pour la captation et la valorisation des données, ils s’intéressent aussi à de véritables offres utilisant des solutions pour la circulation et la détention de véritables monnaies et non pas des cryptomonnaies.

Bonus

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