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[ Neutralité carbone ] Mytilimer-La Cancalaise pousse le bouchot plus loin

Récompensé pour sa solution innovante de valorisation des petites moules, le groupe Mytilimer-La Cancalaise renforce un peu plus son engagement environnemental tout en continuant à proposer des produits de la mer de qualité.

Sébastien Cleugnou

© Sébastien Cleugnou

Les petites moules n’ont pas toujours eu la frite. En effet, si leur taille est inférieure au standard de moules marchandes, qui se situe aux alentours de 4 cm, elles restent sur le carreau, ou plutôt sur l’estran. 20 à 25% des moules produites sont ainsi rejetées, occasionnant des nuisances visuelles, olfactives et environnementales. Comment valoriser les petites moules ? À cette question, Christophe Le Bihan, Directeur Général du groupe Mytilimer-La Cancalaise, et ses équipes, ont trouvé la réponse. Leur botte secrète : l’hydrolyse enzymatique, une technique brevetée dans laquelle l’enzyme découpe la partie organique de la moule et la restitue sous forme liquide. Résultat : d’un côté un liquide organique commercialisable notamment dans l’industrie agro-alimentaire : soupes, fumets, petfood… De l’autre, une coquille indemne de toute matière organique qui pourra être employée dans les bio-plastiques, les compléments alimentaires pour gallinacés ou l’amendement des sols en agriculture. En bref, une large palette de débouchés. « Il existe même des lunettes très à la mode fabriquées en écailles de moules et d’huîtres ! », sourit Christophe Le Bihan.

Remarqué, ce projet VPM (Valoriser les Petites Moules) a valu à l’entreprise de recevoir en juin le Blue Challenge, un prix décerné par le Pôle Mer Bretagne-Atlantique. « C’est une grosse fierté pour nous d’avoir reçu ce prix. Je pense que ce qui a été récompensé, c’est notamment notre façon très pragmatique de travailler », confie Christophe Le Bihan. Une récompense qui vient couronner un travail de longue haleine, car le projet VPM est en germe depuis bientôt 10 ans.

Alexandre Thévenot, responsable du projet Kerbone et de l’activité co-produits, avec le prix Blue Challenge, et Christophe Le Bihan, DG, ambassadeur pour le climat à travers le label Coq Vert, lancé par BPI France.

Alexandre Thévenot, responsable du projet Kerbone et de l’activité co-produits, avec le prix Blue Challenge, et Christophe Le Bihan, DG, ambassadeur pour le climat à travers le label Coq Vert, lancé par BPI France. © Sébastien Cleugnou

En travaillant en mer, on voit certaines choses se dégrader fortement, ce n’est pas une légende

Réduire l’empreinte carbone

Saviez-vous que la moule a par nature un bilan carbone négatif ? Elle en consomme en effet de grandes quantités pour son développement. C’est à partir de ce constat, réalisé en 2012 avec l’INRA, que la société cancalaise a décidé d’étendre la logique de neutralité carbone à toute sa politique. Le projet VPM s’inscrit ainsi dans le cadre plus large du projet « Kerbone », la construction d’un nouveau bâtiment de près de 10000 m2, à côté du bâtiment existant à Cancale, et qui regroupera sur une même plateforme l’ensemble des activités du groupe. Cette centralisation permettra notamment de réduire l’empreinte carbone liée aux nombreux allers et retours des véhicules. L’usine verra également la mise en place d’emballages plus respectueux de l’environnement que les actuels emballages plastiques. Autres particularités : une digitalisation forte, un magasin intégré, des circuits de visites et un bâtiment qui répondra à la norme BREEAM, une certification pour l’engagement environnemental et le bien-être au travail. La fin des travaux est prévue pour décembre 2023.

La question à Christophe Le Bihan

Quelle est votre recette de moules préférée ?

« Je ne vais pas être très exotique : les moules marinières ! En revanche, je suis très exigeant sur leur qualité. Quand j’étais jeune, ma mère faisait toujours des moules marinières en début d’été. Si elles étaient bonnes, on en mangeait toute la saison. Sinon, on n’en mangeait plus ! C’est un souvenir que je raconte souvent aux producteurs, et je pense que les consommateurs réagissent aussi beaucoup comme ça. Donc nous devons nous aussi être très pointus sur la qualité. »

L’économie bretonne doit profiter aux Bretons

Sébastien Cleugnou moules de bouchot

© Sébastien Cleugnou

En France, les moules de bouchot représentent l’essentiel de la production. Les bouchots sont des pieux de bois autour desquels on enroule des moules accrochées à des cordes. La mytiliculture est l’activité d’élevage de ces moules.

Sur l’engagement environnemental du groupe, son Directeur Général considère qu’il n’y a plus le choix. « Quand j’ai commencé, il se produisait beaucoup plus de moules », explique-t-il. « En travaillant en mer, on voit certaines choses se dégrader fortement, ce n’est pas une légende », à l’image des bancs de daurades qui, suivant les courants chauds, viennent manger les moules. « Dans la rade de Brest, on a eu 80 tonnes de moules mangées par des daurades en 2 jours ».

La neutralité carbone est ainsi devenue partie intégrante de la philosophie du groupe, notamment dans sa politique commerciale. En 2022, Mytilimer-La Cancalaise présentera différents produits avec différents bilans carbone à ses distributeurs. « On ne peut pas rester les bras croisés », confie le Directeur Général. D’autant que, par ailleurs, un bilan carbone peut permettre sur le plan économique d’optimiser certains coûts. « C’est un exercice très comptable qui nous oblige à regarder les choses différemment ».

L’emploi local, un cheval de bataille

Avec la construction de la nouvelle usine, ce sont pas moins de 60 emplois directs qui doivent être créés, faisant passer ainsi la barre des 200 aux effectifs du groupe, un important vivier d’emploi local pour la région. « Nous portons une marque, La Cancalaise, et nous voulons démontrer le savoir-faire qu’il existe à Cancale », souligne Christophe Le Bihan. Le groupe recrute notamment beaucoup de jeunes, à tous les niveaux de la production. « Nous intégrons très jeunes nos collaborateurs que l’on essaie ensuite de faire progresser via l’alternance et l’intégration d’équipes à plein temps ». Surtout, le groupe essaie d’ancrer les jeunes sur le territoire : « c’est stratégique pour nous ». Roscovite d’origine, Christophe Le Bihan, directeur général depuis 18 ans, est très attaché à l’amarrage local de la filière. « Il nous faut des acteurs bretons forts pour ancrer les métiers de la mer en Bretagne », estime-t-il. À l’heure où de plus en plus de groupes qui ne sont pas bretons viennent s’implanter dans la région et où des actifs partent à l’étranger, Christophe Le Bihan assume : « L’économie bretonne doit profiter aux Bretons ».

Une des plus belles saisons depuis 20 ans

2021 s’annonce comme une bonne année pour le groupe. « Et la saison des moules qui s’ouvre sera peut-être l’une des plus belles de ces 18 années, tant en termes de volume que de qualité », se réjouit le Directeur Général. C’est la qualité, ce maître-mot porté dès les débuts de Mytilimer par Charles Beaulieu, qui a poussé Christophe Le Bihan à rejoindre le groupe. Symbole de cette qualité : la barquette de moules de bouchot de la baie du Mont-Saint-Michel, produit phare, est certifiée AOP. Une appellation atypique pour un produit de la mer, mais un vrai gage de qualité. Parmi les autres produits : rillettes de Saint-Jacques, de truite ou de langoustine, tapas de moules, soupes de poisson ou encore acras de truite.

Si le groupe a été impacté par la crise Covid, et notamment sa partie restauration, il a pu compenser en partie par la grande distribution, l’un de ses piliers forts. Mais le marché s’est régulé et Mytilimer-La Cancalaise entrevoit le bout de la crise sans avoir à déplorer trop de casse. Et si les exports à l’international ont fait le yo-yo pendant la crise, ils vont avoir à nouveau le vent en poupe grâce à un nouveau procédé innovant de congélation par ondes électro-magnétiques, développé pour la filiale Marie Luxe. Une solution qui va permettre, dans une logique de neutralité carbone, d’exporter mieux en évitant l’aérien, tout en conservant intacte la haute qualité des produits.