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Sanders : Les pieds sur terre

Sanders, leader de la nutrition animale et filiale d’Avril (basé à Bruz), c'est 1 150 collaborateurs, 28 usines en France, 3,4 millions de tonnes d’aliments du bétail produit chaque année, pour ses 26 000 clients éleveurs ; et un chiffre d’affaires de plus d'1,2 milliard d’euros. Habituellement discrète, l’entreprise a publié, en février dernier, une tribune, alertant sur la dégradation du modèle agricole français. Un bon ressenti puisque, à peine deux semaines plus tard, les tracteurs bloquaient les routes. Rencontre avec Philippe Manry, directeur général de Sanders.

Philippe Manry, directeur général de Sanders.

« Dans les années 1980, nous étions en surproduction, il fallait des quotas laitiers… Aujourd’hui, 40 ans plus tard, en France, on importe massivement. La diminution du nombre d’éleveurs est une tendance structurelle et mesurable, que nous observons au quotidien. Ce phénomène est inquiétant pour notre souveraineté alimentaire, notre économie, notre environnement et notre santé. »

Deux jours avant le Salon international de l’Agriculture de mars 2024, Philippe Manry, directeur général de Sanders, lançait ce bilan alarmant. Un constat né des remontées de terrain et du dernier recensement agricole du Ministère : « En dix ans, près d’un quart des agriculteurs et 30 % des élevages français ont cessé leur activité, notamment faute de pouvoir vivre de leur métier. »

De plus, « aujourd’hui, 51 % des exploitants ont 55 ans ou plus et souhaitent partir à la retraite dans les dix ans. Sans repreneurs à l’horizon, c’est la continuité et la durabilité du modèle agricole qui sont remises en question ».

Tous nos dividendes sont réinvestis dans la filière.

Soutenir les éleveurs

Partant de ce constat, Sanders avait lancé, en 2022 et 2023, deux plans d’aides successifs de 6 millions d’euros chacun, visant à la modernisation, la décarbonation, la reprise ou la création d’élevages.

Bien accueillies par les jeunes installés et leurs aînés, ces aides constituaient un premier pas vers le renouvellement des générations d’éleveurs. « Cependant, pour la pérennité de notre modèle d’élevage, prévient Philippe Manry, l’initiative doit être renforcée par des actions structurelles soutenues par les citoyens. En 2024, et par cette nouvelle action, Sanders veut interpeller les consommateurs et les pouvoirs publics et les encourager à agir concrètement. »

Tous les dividendes sont réinvestis

À la différence de ses concurrents, le groupe Avril a la particularité d’avoir été fondé sur des fonds agricoles et a choisi un modèle capitalistique original. « Les membres de notre conseil d’administration nous challengent comme dans toute entreprise privée, mais tous nos dividendes sont réinvestis dans la filière et cela nous donne beaucoup de moyens, notamment pour l’innovation », explique le directeur de Sanders.

Des investissements qui servent notamment à faire fonctionner la ferme d’innovation installée dans la Sarthe (recherches sur les produits alimentaires et les nouvelles technologies comme la ferme connectée).

3,4 millions de tonnes d’aliments par an

Qu’il s’agisse d’agriculture ou d’élevage, les exploitations agricoles françaises sont aujourd’hui tributaires d’un marché mondial qui fluctue au gré des crises. Et le spécialiste français de la nutrition animale est bien placé pour l’observer : « Depuis plus de 100 ans, Sanders apporte son savoir-faire en matière de nutrition, mais également son expertise économique, zootechnique ou environnementale pour accompagner les projets des éleveurs sur leur exploitation, et contribuer au développement des filières animales françaises »​ ​​​​​​, dit la communication de l’entreprise.

400 recettes à partir d’une trentaine d’ingrédients

Sanders est effectivement bien implanté en France avec 28 usines, produisant chaque année 3,4 millions de tonnes d’aliments pour les animaux d’élevage. Veaux, vaches, cochons, poules…

Sanders c’est 3,4 millions de tonnes d’aliments du bétail produit chaque année

15 % du marché national

« Nous proposons une alimentation de précision, ajoute Philippe Manry. À chaque période de la vie d’un animal correspond une recette spécifique. C’est pourquoi nous pouvons composer plus de 400 recettes à partir d’une trentaine d’ingrédients. Nous travaillons également sur la texture de nos granulés car on ne donne pas la même alimentation à un porcelet ou à un « charcutier », un porc mature. »

Sanders nourrit ainsi près d’un « animal de rente » sur cinq et détient environ 15 % du marché national. À moyen terme, la société ambitionne même d’atteindre les 20 %. Et pour cela, elle a décidé de s’adresser à tous les éleveurs, biologiques comme conventionnels. Côté exportation, le secteur d’activité de l’ingrédient n’est pas le meilleur pour l’international. Les produits étant assez « fragiles », l’entreprise exporte principalement son savoir-faire.

Il est très douloureux d’assister à l’agribashing actuel dans la première région d’élevage française.

300 experts sillonnent les fermes

« Chaque élevage correspond à un projet de vie et nous avons la chance, en Bretagne, d’avoir encore des exploitations à taille humaine, continue Philippe Manry. En revanche, il est très douloureux d’assister à l’agribashing actuel dans la première région d’élevage française. »

Un constat qui a motivé sa tribune publique car Sanders considère qu’il est de son devoir d’accompagner les éleveurs dans la conduite de leur exploitation. L’entreprise déploie donc, sur le terrain, plus de 300 experts du monde agricole qui font bien plus que du conseil en nutrition animale.

« L’élevage nécessitant beaucoup de capitaux et des investissements à long terme, il faut être très bon. C’est pourquoi nos salariés sont sur le terrain en permanence pour conseiller nos clients et pas seulement sur l’alimentation. » Pourtant, le dirigeant ne nie pas que chaque élevage doive encore atteindre une certaine taille critique pour connaître une productivité suffisante.

La décarbonation comme priorité

Mais ces efforts de productivité s’accompagnent d’un enjeu crucial pour l’avenir : la décarbonation de l’élevage. « Nos céréales sont à 100 % françaises et la part du soja d’importation a fortement diminué ces dernières années, dit Philippe Manry. La décarbonation est notre priorité car nous devons diminuer nos émissions de 30 % d’ici à 2030 ! »

Et le dirigeant d’insister sur la nécessité d’y parvenir sans pour autant mettre en danger les exploitations : « Dans l’élevage, nous sommes sur le temps long et nous ne pouvons pas nous permettre de mettre des gros coups de barre. Il faut des évolutions, pas la révolution. »

« Quand on parle de la réduction de notre empreinte carbone, certains préconisent de diminuer le nombre de têtes, mais ce n’est pas du tout comme ça que ça marche, tranche Philippe Manry. Si on supprime une exploitation en France, elle sera recréée dans un pays de l’est ou au Brésil. La valeur est alors faite dans un autre pays ! »

Pour ce spécialiste de l’élevage et ses trente ans d’expérience, la solution réside dans la réduction des gâchis. « Plus vous êtes bon et performant, plus vous décarbonez… Un pilotage d’élevage exemplaire entraîne la consommation de moins d’aliments et génère donc moins d’émissions. » Une logique illustrant la vision de Sanders, qui se définit comme un « architecte de structures ». Le groupe ne se contente pas de vendre de la nourriture aux éleveurs mais leur propose également des améliorations organisationnelles ou des innovations.

Dans l’élevage, nous sommes sur le temps long et nous ne pouvons pas nous permettre de mettre des gros coups de barre.

Prendre sa part

Sanders semble d’ailleurs s’appliquer à lui-même les solutions d’avenir qu’il préconise en matière de décarbonation. « C’est un enjeu majeur pour nous tous et nous tentons de prendre notre part, dit Philippe Manry. Nous avons par exemple pris l’engagement de ne plus acheter de soja provenant de zones déforestées et de travailler à des alternatives et des solutions françaises sur ce type de protéines. » Le dirigeant insiste pourtant sur la nécessité de conserver une densité d’élevages suffisante pour diminuer les coûts et posséder une chaîne agroalimentaire compétitive.

Une prise de parole salutaire ?

La crise agricole actuelle ne serait donc pas uniquement due aux normes ? « C’est un ensemble. C’est nous tous qui sommes responsables de la situation actuelle, insiste Philippe Manry. Il faut bien sûr acheter français et local mais que faire face à de trop fortes distorsions de concurrence ? Nous avons les normes mais nous avons une excellente sécurité sanitaire. Le curseur doit être placé au bon niveau… »

C’est aussi une des raisons de la prise de parole publique de Sanders, incitant tout le monde à se positionner en faveur d’un secteur essentiel. « Nous voulions surtout essayer de fédérer tous les acteurs autour de la ferme France et montrer que le métier a beaucoup changé. Si nous pouvons encourager des vocations, il est de notre responsabilité de le faire. »

 

Sanders en Bretagne, en 2023

2 600 clients éleveurs

283 collaborateurs

6 sites de production

1 200 000 tonnes d’aliment fabriqué ; Sanders en Bretagne représente 45 % du volume d’aliment produit par Sanders

743 millions d’euros de chiffre d’affaires sur Sanders en Bretagne

Questions bonus :

Votre paysage préféré ? Les grands espaces du Massif central… M’asseoir dans une estive au printemps est un vrai moment de décompression.

La petite musique qui vous trotte dans la tête depuis ce matin ? Recommence-moi de Santa, j’ai écouté cela dans la voiture ce matin et cela m’a mis la pêche.

Un hobby, un loisir ? Le rugby : quand nous sommes au stade, l’ambiance, les amis, mes filles et la simplicité des relations dans ce sport.

Votre moment favori de la journée ? Autour d’un café à 10 heures, la première pause après le lancement de la journée.

Un personnage qui vous fascine ? Mon père, ce qu’il m’a transmis, la confiance, l’humilité et le bon sens.